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La gifle, le maire et le procureur

Justice au singulier - philippe.bilger, 5/02/2012

Comme je comprends Maurice Boisart quand il murmure effondré après avoir écouté des réquisitions d'une humiliante, arrogante et unilatérale pédagogie : "Je crois que je n'ai pas été compris. J'ose plus rien dire".

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Cela s'est passé au tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe. Le prévenu était Maurice Boisart, 62 ans, le maire de Cousolre, une petite commune du Nord. On lui reprochait d'avoir giflé un adolescent de 16 ans qui l'avait insulté et menacé. Le procureur a requis contre lui une amende de 500 euros tandis que la défense invoquait la légitime défense. Le jugement sera rendu le 17 février.

Affaire ordinaire comme il en arrive partout en France, avec des maires mis de plus en plus à contribution, souvent dépassés par une incivilité, voire une violence qu'ils ne parviennent plus à maîtriser parce que, d'abord, ils ne les comprennent pas. Ils ne reconnaissent plus leur commune avec sa tranquillité et sa familiarité enfuies.

Je sais : je n'ai pas consulté la procédure et je n'écris ce billet qu'à la suite de la relation faite par trois quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro et Le Parisien) mais qui concordent. Je vais sans doute encourir les reproches habituels de me mêler de ce qui ne me regarde pas et de manquer de solidarité même si, magistrat honoraire, je me sens évidemment délié de toute obligation - qui serait au demeurant inepte - à cet égard.

Le parquet d'Avesnes-sur-Helpe est-il à ce point sourcilleux, pointilliste, ou peut-être désoeuvré, pour qu'un tel dossier n'ait pas immédiatement été classé sans suite ? Quel exemple fallait-il donner à ce maire, quel retentissement à cette claque, quelle portée à cet incident pour que, d'une certaine manière, on se trompât de victime ?

L'avocat de l'adolescent a dénoncé "une violence gratuite" tandis que celui de Maurice Boisart a questionné : "Qu'aurait-il dû faire ? Se laisser insulter, lui et la collectivité qu'il représente ?" Maurice Boisart lui-même, alléguant "un geste réflexe à cause des insultes", a mis en lumière, approuvé par une douzaine d'habitants venus le soutenir et par une motion de quatre cents pétitionnaires, "le malaise des maires face à l'incivilité". Selon lui, ce jeune homme et sa bande multipliaient les transgressions au mépris des arrêtés municipaux : "Provocation, harcèlement, la goutte d'eau a fait déborder le vase" !

Si j'en crois les extraits rapportés, l'attitude du procureur a été "d'une ironie glaçante" (Le Monde, sous la plume de Pascale Robert-Diard), d'une autorité condescendante et déplacée envers ce maire conscient de ses devoirs et qui n'avait accompli ce geste qu'au bout de l'énervement. La manière dont le ministère public lui a fait la leçon est pour le moins indélicate. Qu'on fasse la morale à ceux qui s'en moquent, pourquoi pas, mais pas à quelqu'un qui la tient en haute estime. Il est trop facile de jouer au personnage accusateur en face d'un honnête homme.

Puisque le maire avait refusé le plaider coupable et désiré ce procès en correctionnelle, mille nuances auraient dû être apportées et une forme de bon sens aurait pu heureusement compléter la définition juridique de la légitime défense. "Je n'ai jamais donné de gifle à personne dans ma vie, j'ai eu un geste instinctif. Ce n'est pas la meilleure chose que j'ai faite. Je le regrette. Mais croyez-moi, la fonction de maire n'est pas toujours facile à assurer" : cette argumentation ne valait-elle pas mieux que le discours rigide, corseté et déconnecté d'en face ?

Est-ce le jeunisme qui a encore frappé ? Gifler un adolescent de 16 ans qui a créé du désordre et des nuisances durant un an - les cheveux du maire blanchis en deux mois après l'engagement de cette procédure ! -  est-il un acte à ce point odieux qu'il faille oublier tout ce qui est de nature à largement le relativiser, voire à l'absoudre ? L'hostilité à l'égard de cette autorité municipale qui s'est permis de mettre en oeuvre - mais si peu, si modestement - sa justice personnelle ? L'aberration qui contamine les pratiques judiciaires et peu ou prou les conduit à tout coup vers "la justice pour l'exemple" ? La confusion entre une sévérité sans discernement et la justesse pénale ?

L'intelligence et l'honneur de la justice pénale ne concernent pas seulement les affaires où il convient de résister à l'emprise du Pouvoir et de faire preuve d'indépendance. Pas uniquement les dossiers à tonalité politique. Il me paraît évident qu'Avesnes-sur-Helpe en dit autant que Paris sur ce qu'on attend de l'institution, ce qu'elle impose ou qu'elle conquiert. La lucidité chassée au quotidien fait autant de mal que les éclatantes dérives judiciaires.

Sur le plan social, sans répudier le singulier des situations qu'elle a à appréhender, la justice n'a-t-elle pas pour mission aussi de tenter de restaurer un équilibre et de s'opposer au fil regrettable du temps ? Pour un procureur, outre la gifle et la légitime défense alléguée, l'essentiel n'était-il pas de percevoir qu'aujourd'hui le poids de sa fonction devait venir au secours d'une faiblesse plus grave et plus profonde que celle résultant d'une péripétie équivoque ? Celle du, des maires confrontés à des troubles, des incivilités, des désordres contre lesquels la justice saisie est trop souvent impuissante et qui pourrissent une vie collective. Il faut aider ceux qui se battent contre eux comme ils peuvent, au lieu de se tromper de cible et de les accabler, et d'abord par une atteinte injustifiée à leur honneur.

Comme je comprends Maurice Boisart quand il murmure effondré après avoir écouté des réquisitions d'une humiliante, arrogante et unilatérale pédagogie : "Je crois que je n'ai pas été compris. J'ose plus rien dire".

 


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