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Saisie des correspondances d’avocat : Comment ça marche ?

Actualités du droit - Gilles Devers, 29/07/2013

Avec le dernier épisode de l’affaire Tapie, à savoir les lettres qui...

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Avec le dernier épisode de l’affaire Tapie, à savoir les lettres qui auraient été adressées par son avocat à l’un des arbitres, bien avant l’arbitrage, j’ai d’abord bien ris avec Tapie nous expliquant que si les lettres sont restées chez l’avocat, c’est qu’il s’agissait de projets qui n’ont pas été postés. Heureusement pour lui que Tapie a de vrais avocats, car là, on est dans le ridicule pur sucre. Dans leurs dossiers toujours très bien tenus, les avocats ont une cote « correspondance », qui regroupe toutes les correspondances échangées, et c’est bien indispensable pour un travail sérieux. Argument nul.

Mais je me suis ensuite vite inquiété, tant il apparaissait comme banal que les lettres entre un avocat et son client puisent être saisies par un juge, pour élucider une enquête pénale. De quoi inquiéter tous ceux qui ont une affaire délicate chez un avocat… La défense ne peut se comprendre sans le respect du secret, qui est un devoir permanent de l’avocat, et toute violation du secret engage sa responsabilité pénale et disciplinaire.

Alors, oui, je vous rassure : vous pouvez tout dire et tout écrire à votre avocat. La saisie de documents n’est possible que dans un cadre exceptionnel, lorsque c’est une étape indispensable pour se prononcer sur des fautes pénales susceptibles d’impliquer l’avocat. Le cadre législatif est aujourd’hui bien balisé, et le débat ne ressort que pour l’examen des modalités pratiques. Cet acte – la saisie des correspondances  de l’avocat – est tellement contre nature que le contentieux est permanent. Pour Tapie, les saisies ont été contestées, mais le juge, en l’état actuel de la procédure, les a admises. Voici les principales références.

1/ Le secret professionnel

13389-1.jpgLe texte général, qui pose le caractère pénal de cette obligation, est l’article 226-13 du Code pénal.

« La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende ».

Ce texte, pratiquement inchangé depuis le premier code pénal de 1808, bénéficie d’une jurisprudence très sûre sur son  caractère d’ordre public, général et absolu.

Pour les avocats, la règle est précisée par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

2/ Le texte qui permet les saisies de correspondances 

510441.jpgLa saisie des correspondances est une violation flagrante du secret professionnel. Elle n’est donc pas impossible, mais elle doit être prévue par la loi, et accompagnée de garanties pour vérifier que cette violation est proportionnée aux nécessités de la défense de l’ordre public.

Le cadre légal est défini par l’article 56-1 du Code de procédure pénale :

« Les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué par le magistrat. Celui-ci et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité.

« Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat.

« Le bâtonnier ou son délégué peut s'opposer à la saisie d'un document ou d'un objet s'il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou d'autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure.

« Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

« A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l'avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.

« S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.

« Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction.

« Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l'ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats. Dans ce cas, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal de grande instance qui doit être préalablement avisé de la perquisition. Il en est de même en cas de perquisition au cabinet ou au domicile du bâtonnier.

3/ Qu’en dit la Cour de cassation ?

19407470.jpgOn peut citer deux arrêts.

·         Chambre criminelle, 27 juin 2001, n° 01-81865, publié

« Si les pièces échangées entre l’avocat et ses clients sont couvertes par le secret professionnel aux termes de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, il n’en demeure pas moins que le juge d’instruction tient des articles 96 et 97 du Code de Procédure Pénale le pouvoir de saisir de telles pièces lorsqu’elles sont de nature à établir la preuve de la participation de l’avocat à une infraction ».

·         Chambre criminelle, 3 avril 2013, n° 12-88021, QPC, publié 

La Cour de cassation estime que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne présente pas de question sérieuse de constitutionnalité dès lors que la disposition contestée « prévoit des garanties de procédure sauvegardant le libre exercice de la profession d'avocat ».

En effet :

« - la perquisition dans le cabinet ou au domicile d'un avocat est exécutée par un magistrat à la suite d'une décision motivée indiquant la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations ainsi que les raisons et l'objet de la mesure,

« - le contenu de cette décision étant, dès le début de son exécution, communiqué au bâtonnier ou à son délégué dont l'assistance obligatoire à la perquisition se déroule ainsi en connaissance de cause ;

« - la confidentialité des documents susceptibles d'être saisis est assurée par la circonstance que leur consultation est réservée au magistrat et au bâtonnier ou à son délégué,

« - ce dernier peut s'opposer à la mesure envisagée, toute contestation à cet égard étant alors soumise au juge des libertés et de la détention,

« - ne peuvent être saisis que des documents ou objets relatifs aux infractions mentionnées dans la décision de l'autorité judiciaire, sous réserve, hors le cas où l'avocat est soupçonné d'avoir pris part à l'infraction, de ne pas porter atteinte à la libre défense ;

« - la décision de verser des pièces saisies au dossier de la procédure n'exclut pas la possibilité pour les parties de demander ultérieurement la nullité de la saisie ou de solliciter la restitution des pièces placées sous-main de justice ».

Bref, si la contestation par le Bâtonnier de passe pas,  les personnes concernées peuvent encore former des contestations ultérieures.

4/ Qu’en dit la Cour Européenne des Droits de l’Homme ?

malle-en-bois-de-rose-ref-002boxmrf011-157343.jpgDeux arrêts font référence.

·         CEDH, 24 juillet 2008, André et autre c. France, requête n° 18603/03

« Des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. D’ailleurs, la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé ».

·         CEDH, 23 novembre 2010, Moulin c. France, n° 37104/06

« La perquisition au domicile professionnel de la requérante n’était pas, dans les circonstances particulières de l’espèce, disproportionnée par rapport au but visé et elle ne relève aucune apparence de violation des dispositions de l’article 8 de la Convention ».

« La perquisition effectuée au domicile professionnel de la requérante constitue une ingérence de l’Etat dans le droit au respect de la vie privée et du domicile du requérant (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 30, série A n° 251-B, Roemen et Schmit c. Luxembourg, n° 51772/99, § 64 , CEDH 2003-IV, André et autre c. France, n° 18603/03, §§ 36-37, CEDH 2008-… , et Xavier Da Silveira c. France, n° 43757/05, 21 janvier 2010).

« L’ingérence avait une base légale et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir celui de la défense de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales. La requérante ne le conteste d’ailleurs pas.

« Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et que leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante (Crémieux c France, 25 février 1993, § 38, série A n°256-B, Roemen et Schmit, précité, § 68, et André et autre, précité, § 40).

« Des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client (André et autre, précité, § 41). Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans un cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction.

« Reste qu’il est alors impératif d’encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l’administration de la justice et leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice (André et autre, précité, § 42).

« En l’espèce, la Cour note qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner la requérante d’avoir commis ou tenté de commettre, en sa qualité d’avocate, une ou plusieurs infractions. Lors de la notification de la garde à vue, elle était soupçonnée de faits de révélation d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours.

« Par ailleurs, la perquisition s’est accompagnée d’une garantie spéciale de procédure, puisqu’elle fut exécutée en présence du Bâtonnier de l’Ordre des avocats, et que la saisie a pu etre contestée devant le Juge des Libertés et de la Détention ».

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