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Profession insoumis ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 24/07/2013

Eric de Montgolfier aura, j’en suis persuadé, une retraite en même temps paisible et bien remplie. Il ne se lancera pas dans la politique puisqu’Eric Halphen et Eva Joly s’y sont perdus. Mais il tentera d’être toujours un homme libre. Bien plus dur, malgré les apparences, que de faire profession d’insoumission.

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Eric de Montgolfier, qui vient de prendre sa retraite, est l’une de ces personnalités qui exaspèrent autant qu’elles peuvent séduire. J’en ai connu quelques-unes et, à vrai dire, leur atypisme, leur manière roide, parfois brutale d’imposer leur identité m’ont toujours paru plus estimables que les tiédeurs et les conformismes de tant d’autres.

Je n’en suis que plus à l’aise pour relever, dans le très aimable portrait que Libération lui a consacré sous la signature de Pascale Nivelle, une dénonciation provocatrice qui ne peut qu’enchanter les adversaires d’une magistrature classique sans être fondée pour autant.

En effet, l’ancien procureur général de la cour d’appel de Bourges, sur un registre qui lui est familier et dont certains médias raffolent, déclare, au sujet de ses collègues d’hier : « Beaucoup ont la tentation de la carrière, des médaillons, le problème du magistrat est de parvenir à l’insoumission ».

Outre que je trouve qu’il globalise abusivement et que lui-même n’a pas aussi été détaché qu’il l’affirme de l’ambition professionnelle, à en croire sa légère aigreur sur son passage tardif de Nice à Bourges, et pour si peu de temps dans ce dernier poste, je dénie que « le problème du magistrat est de parvenir à l’insoumission ».

Il y a dans cette revendication quelque chose d’extrême qui n’a plus rien à voir avec la quête de la justice et de la vérité. Le contraire de la soumission et de la dépendance, pour un juge ou un procureur, n’est pas l’insoumission qui vous a un parfum révolutionnaire et quasiment libertaire mais le courage, la mesure, l’équilibre et une indépendance conquise largement autant sur soi-même, ses préjugés et son arrogance que sur l’Etat, les pouvoirs et les mille obstacles qui empêchent les pratiques judiciaires d’être libres et exemplaires.

L’insoumission – je ne crois pas qu’Eric de Montgolfier, maîtrisant bien son langage, ait choisi ce terme sans le peser – inscrit abusivement le magistrat dans une posture confortable de contestation politique qui le constitue, comme si cela était sa vocation, en opposant systématique de l’autorité et des institutions. Cette démarche, qui sent le soufre et bénéficie comme telle de tous les soutiens progressistes, est confortable dans la mesure où elle se persuade trop vite de l’implication des privilégiés et déguise avec une totale bonne conscience le juge en idéologue et le procureur en justicier. Il a fallu du temps, par exemple, pour que l’affaire de viol reprochée à Johnny Hallyday gagne en vérité judiciaire et perde en charge partisane.

L’insoumission, en dépit de ce à quoi elle renvoie et qui tend à flatter celui qui s’en prévaut, n’est pas éloignée pourtant de ce que le Mur des cons a moins noblement exprimé et qui banalement représente l’emprise du politique sur une justice tentant d’être impartiale.

Je suis persuadé que pas un de ceux qui ont participé à cette déplorable entreprise n’est hostile à cette dissidence si bien vue aujourd’hui. Etre à la fois magistrat et insoumis, quel rêve, quelle réussite !

Eric de Montgolfier aura, j’en suis persuadé, une retraite en même temps paisible et bien remplie. Il ne se lancera pas dans la politique puisqu’Eric Halphen et Eva Joly s’y sont perdus.

Mais il tentera d’être toujours un homme libre. Bien plus dur, malgré les apparences, que de faire profession d’insoumission.


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