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François Hollande en direct

Justice au singulier - philippe.bilger, 22/01/2012

Si François Hollande est élu, ses espérances remarquablement exprimées aujourd'hui deviendront-elles les déceptions de 2017 ?

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Le bonheur du blog et l'analyse du journalisme.

François Hollande sur le vif.

On l'attendait au Bourget. Il est venu, on l'a vu. A-t-il convaincu, vaincu ?

Un discours d'une durée de 80 minutes, de 15 heures 15 à 16 heures 35, avec un léger fléchissement physique vers 16 heures 5 mais une conclusion magnifiquement conduite et proclamée sur le rêve français (LCI).

Une structure articulée, cohérente et au fond assez classique : quel président de la République serai-je, quel homme suis-je, au nom de quoi vais-je agir et, enfin, quelle sera ma politique pour la France et en Europe ?

Il y a eu des thèmes dominants et des oublis mais il est évident qu'on ne peut pas tout appréhender, même en 80 minutes. Je regrette, pour ma part, que la vision internationale du candidat n'ait pas été développée ni même abordée et qu'il n'ait pas traité de la justice dans son aspect non pas de valeur démocratique en général mais de l'institution en particulier.

Les concepts à la fois éthiques et opératoires qui ont rythmé le discours de François Hollande : la France, la confiance, l'égalité, la jeunesse et, je l'ai souligné, le rêve français à la fin de son propos.

Ces notions fortes ont été déclinées au travers de passages qui n'ont pas échappé au caractère nécessaire, mais inévitablement répétitif et fastidieux, des propositions dans tous les domaines qui sont aujourd'hui au coeur du malaise français dans le rapport de notre pays avec lui-même et avec les autres nations européennes.

François Hollande m'est apparu à l'aise, persuasif - sans doute sa fraîcheur initiale n'y était-elle pas pour rien ? - dans les séquences politiques et éthiques de son allocution qui constituaient, avec beaucoup de talent, de finesse et d'exhaustivité, une critique en règle de Nicolas Sarkozy jamais cité et de la manière dont celui-ci avait présidé durant son quinquennat. Il est évident que, sur ce plan qui soulignait la nécessité de l'allure, de la correction constante, d'une représentation digne de soi et de la France dans tous les actes de la fonction présidentielle, François Hollande n'a pas eu de mal à susciter l'approbation, sans doute bien au-delà des 25 000 auditeurs du Bourget (15000 dans une annexe).

Je l'ai trouvé encore remarquable dans sa tentative, qui s'est gardée de tout exhibitionnisme, de fendre l'armure et de révéler qui il est vraiment. Ce qu'il a exprimé sur la gauche, sur ses origines, sur son histoire, sur son expérience politique n'a pas manqué de séduire beaucoup de ceux qui attendaient de lui de telles confidences.

La part technique du discours, avec la réserve que j'ai manifestée, est structurellement moins passionnante mais s'il y a à juste titre insisté, c'est pour montrer que le flou lui est étranger et que son projet existe, qu'on en approuve ou non toutes les orientations. En tout cas, il est clair que, si le monde n'est pas tranquille ni la France, comme il l'a rappelé, sa présidence elle-même, au moins dans son principe, ne souhaitera pas s'alanguir en pouvoir tiède et en immobilisme mais visera à constituer une rupture d'une autre sorte que celle de 2007, mais une rupture tout de même : justice, égalité, dénonciation et mise au pas du monde de la finance dans ses pratiques scandaleuses, réforme profonde et effective du système bancaire, lutte énergique et vigoureuse contre toutes les formes d'insécurité et les transgresseurs de luxe ou les "petits caïds" seront "rattrapés par la République" !

La politique européenne de la France, fondée plus que jamais sur l'axe franco-allemand mais renégocié, à entendre François Hollande, ouvrira une nouvelle page, non seulement parce qu'il tentera de persuader ses partenaires de favoriser, dans leur action commune, l'emploi mais parce que le candidat, sentant bien le poids des contraintes et des pesanteurs qu'on prétend lui opposer, affirme haut et clair qu'il n'y a jamais "une seule politique possible". L'avenir est ouvert donc, en France comme en Europe.

François Hollande est un homme de qualité, de culture et de tenue. En le regardant et en l'écoutant - discours qu'il a préparé seul ! - on n'éprouve à aucun moment ce sentiment désagréable d'un décalage, d'un hiatus, d'une infime contradiction entre son être apparent et la charge qu'il espère. Il ne sera peut-être pas notre nouveau président de la République mais rien, s'il le devenait, ne serait de nature à nous affliger et à nous faire honte. C'est important, selon moi, pour la France, pour l'Europe et pour le monde.

Je suis persuadé que sa conception de la présidence de la République est juste dans la mesure même où il ne s'est pas engagé dans des promesses inconcevables comme par exemple un "Etat irréprochable" mais seulement à promouvoir une pratique présidentielle au service de tous les Français sans que privilèges, magouilles, favoritisme, perversion des institutions, emprise du pouvoir sur les instances capitales pour la République viennent pervertir et salir cette ambition initiale. François Hollande donne au moins l'impression d'être capable de relever ce défi d'une présidence constamment exemplaire.

Sur le fond, il est difficile, dans le mouvement d'une écoute spontanée et attentive, d'avoir, sauf partialité imbécile et ancrée d'un côté ou de l'autre, la possibilité de se prononcer, dans l'instant, sur l'orientation générale de ce projet socialiste à la fois revendiqué mais élargi et les mesures particulières plus ou moins essentielles égrenées tout au long de ce discours ayant échappé sans cesse à la médiocrité.

Il n'est pas besoin d'un examen approfondi pour comprendre que François Hollande - sera-ce une difficulté pour lui, je ne sais - devra sans cesse se frayer un chemin entre l'idéologie pure et dure et le pragmatisme intelligent, entre ce qu'il doit, et qu'on lui réclame, au socialisme dogmatique et un empirisme de gauche clairvoyant et honnête. Il me semble que là est sa faiblesse. Par exemple, entre la désinvolture rapide avec laquelle il valide le mariage et l'adoption homosexuels et le souci qui est le sien d'apparaître compétent et crédible dans la gestion économique et financière. Sera-t-il un futur président cohérent, uni en lui-même, ou divisé entre les gardiens de la vraie foi socialiste et les conseillers réalistes de la quotidienneté avec, à l'horizon, le terme d'un quinquennat voulu proritairement consacré à redonner de l'espoir à la jeunesse ? Et les autres, ai-je envie d'interroger ?

Nicolas Sarkozy, qui continue à croire qu'on est dupe, va ressasser "je suis président jusqu'au bout". Il est candidat, va mettre en oeuvre son formidable talent, avec le poids de l'Etat en sa faveur, mais il ne pourra pas jeter dans l'espace démocratique des espérances, comme en 2007. Il sera contraint de s'adosser à un bilan imparfait, avec une modestie obligatoire. François Hollande et François Bayrou sont des candidats neufs d'une certaine manière : ils en sont, eux, toujours au stade des espérances.

Si François Hollande est élu, les siennes remarquablement exprimées aujourd'hui deviendront-elles les déceptions de 2017 ?


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