Actions sur le document

La vie dévastée d’Anne Litas, première épouse de Maurice Agnelet

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 4/04/2014

En regardant Annie Litas s'avancer vendredi 4 avril à la barre des témoins, on n'imaginait pas que de ce bout de femme aux cheveux courts et gris, aujourd'hui âgée de 72 ans, sourdrait à la fois le plus implacable réquisitoire … Continuer la lecture

Lire l'article...

En regardant Annie Litas s'avancer vendredi 4 avril à la barre des témoins, on n'imaginait pas que de ce bout de femme aux cheveux courts et gris, aujourd'hui âgée de 72 ans, sourdrait à la fois le plus implacable réquisitoire moral jamais prononcé contre Maurice Agnelet et la plus grande plaidoirie en faveur de son acquittement.

C'est la première fois qu'Annie Litas dépose devant une cour d'assises. Première épouse et mère des trois fils de Maurice Agnelet, elle n'existait jusqu'à lors que dans les mots des autres et dans la lecture qui avait été faite de ses procès-verbaux pendant l'instruction. Ses absences aux deux premiers procès de Nice et d'Aix avaient fait naître toutes les conjectures, elle affirme aujourd'hui n'avoir jamais été touchée par les précédentes convocations. Peu importe. La voilà, bloc de colère, de larmes, d'immense fragilité et de force mêlées, qui dépose devant la cour et les jurés une vie dévastée.

A la barre, sa voix tremble de rage:  "Ce que vous lisez dans les journaux, mes enfants et moi, nous le lisons chaque jour dans les yeux du facteur, du voisin, de la boulangère. Tous les efforts de reconstruction que j'ai tentés ont été systématiquement détruits".  Du long calvaire qu'a été son existence depuis la disparition d'Agnès Le Roux à l'automne 1977 et la mise en cause de son ex mari, elle décrit chaque étape, depuis son expatriation au Maroc avec ses trois enfants pour tenter de les protéger jusqu'à son retour à Nice où elle a subi tous les rebondissements judiciaires d'une affaire qui ne cesse de la ramener à l'homme qu'elle avait voulu fuir.

"De ce maelström qu'a été ma vie, il ne reste que des questionnements. Que dois-je penser d'une justice qui dit non-lieu, puis qui dit blanc, puis qui dit noir, puis qui remet à nouveau toutes les cartes sur la table. Pourquoi? Chronologiquement, plus on est près des faits, plus les sentences sont légères. Plus on s'en éloigne, plus elles sont complexes et lourdes. Comme si l'imaginaire boursouflait et suppléait à la simplicité du concret. Dans la loi, poursuit-elle, il existe quelque chose qui s'appelle la prescription. Pour tourner la page, fermer le livre et permettre à la vie de reprendre. Et la loi dit aussi très précisément ce qu'il faut faire quand il y a doute. Pour moi il y a doute dans le fait que la justice dit blanc, dit noir, doute à cause de tout ce temps passé.".

A ceux qui jugent Maurice Agnelet pour la troisième fois - après un acquittement à Nice en 2006, une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle en appel à Aix-en-Provence en 2007, une annulation de cet arrêt suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme et le renvoi devant une nouvelle cour d'assises - cette mère forteresse, cette femme détruite adresse une supplique: "Je fais un vœu pour que la décision qui sera prise ne soit pas sujette à appel, à cassation, à CEDH. Il faut que cela s'arrête".  La défense de Maurice Agnelet ne pouvait rêver plus forte plaidoirie en faveur de son acquittement.

Mais voilà que sous les questions du président de la cour, Philippe Dary, puis de l'avocate de la famille Le Roux, Julia Minkowski, et de l'avocat général, Philippe Petitprez, Anne Litas dresse aussi le portrait accablant de l'homme qu'elle a épousé il y a  cinquante ans jour pour jour, le 4 avril 1964 et dont elle s'est séparée pour assurer sa survie.

"Je l'ai rencontrée, j'avais 16 ans, j'étais naïve et fleur bleue. J'ai vécu avec un homme que je ne connaissais pas". Elle se tait, sa main trace dans l'air les ondulations d'un serpent. "Avec lui, toutes les conversations sont tronquées. Maurice est quelqu'un qui vous fait croire qu'il fait jour en pleine nuit. Quand je discutais avec lui, sa logique primait. Il fallait qu'il tourne les talons pour que je retrouve la mienne."

- Diriez-vous que vous étiez sous emprise?  lui demande le président.

- Absolument. J'avais peur de perdre mon intégrité et de ne plus être moi-même. Je n'ai retrouvé ma liberté que le jour où j'ai décidé de cesser de lui parler. Quand vous lui dîtes bonjour, vous mettez déjà le doigt dans l'engrenage.

Elle décrit l'homme qui n'a cessé de la tromper et qui imposait la présence de ses maîtresses dans sa vie. Qui, après le divorce et alors qu'il vivait au Canada avec sa deuxième épouse, Françoise Lausseure, une richissime héritière, l'a laissée sans le sou élever seule les trois enfants. Qui avait refusé de financer le corset dont son fils cadet, gravement malade, avait besoin pour quitter l'hôpital. Qui, alors qu'il avait hérité d'une fortune de ses parents, placée sur des comptes en Suisse, l'avait menacée d'une procédure pour lui faire perdre la maison acquise par le couple à Nice et où elle vit toujours.  Qui a conduit cette femme à faire trois tentatives de suicide et à traverser une longue dépression.

Mais que l'on s'approche du dossier et de ce qu'elle a pu savoir ou penser de le disparition d'Agnès le Roux et de la responsabilité de son ex mari dans la mort de cette jeune femme, et Anne Litas se referme. "C'est un mauvais mari et un mauvais père, mais je ne dis rien de plus." Tout juste convient-elle qu'il lui est arrivé de "faire des hypothèses. Mais elles ne m'ont jamais amenée à une certitude". 

Le président se tourne vers les bancs de la défense.

- Je ne poserai pas de questions à Madame Litas, dit sobrement Me François Saint-Pierre.

Le président s'adresse à l'accusé.

- Voulez-vous réagir? 

D'une voix méconnaissable, sourde, Maurice Agnelet souffle "non" dans le micro, pendant que celle qui a été son plus terrible procureur et son meilleur défenseur quitte la salle, le visage inondé de larmes, soutenue par son fils cadet.

________________________

Lire également: L'éruptif, l'obsessionnel et glaçant Maurice Agnelet

Les chroniques des deux premiers procès de Maurice Agnelet peuvent être retrouvées dans la catégorie Affaire Agnès Le Roux de ce blog.

 


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...