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A propos de "l'émotion" suscitée par une décision de cour d'assises jugeant des accusés de viol collectif

Paroles de juge - , 13/10/2012

Par Michel Huyette


  Il est fréquent, et il n'y a en cela rien de malsain, que les décisions judiciaires soient commentées par les medias. Si en principe les audiences sont publiques, permettant ainsi aux citoyens et aux journalistes de regarder ce qui s'y passe, c'est justement pour que tout ceux qui le souhaitent puissent observer d'abord, commenter ensuite, la façon dont la justice traite les dossiers qui lui sont confiés.

  Mais dans l'affaire qui vient d'être jugée à la cour d'assises des mineurs du Val de Marne, les commentaires sont d'une toute autre ampleur et leur caractère inhabituellement critique impose de s'y arrêter quelques instants. Rappelons que devant cette cour d'assises des mineurs, et selon les informations transmises par les medias, 14 personnes ont été poursuivies pour viol collectif (les "tournantes" dans le langage populaire), que le ministère public n'a requis de peines de prison que pour huit d'entre elles, que finalement dix accusés ont été acquittés et les quatre autres ont été condamnés à des peines allant de cinq années de prison dont quatre avec sursis à trois années avec sursis.

  Cette décision a entraîné un raz de marée de commentaires. Parmi les plus significatifs citons ceux-ci : "émotion" et "malaise" selon la ministre des droits des femmes, un rappel que "les viols sont insupportables (..) beaucoup de femmes n'osent pas aller porter plainte parce qu'elles redoutent la procédure judiciaire", un verdict qui "scandalise" et qui "envoie aux hommes le message qu'il est permis de violer", "un verdict atterrant qui témoigne de l'incapacité de la justice française à prendre en compte les récits des victimes de viols", "un signal extrêmement négatif envoyé aux femmes victimes de violences sexuelles", une "nausée qui continue", "le sentiment qu'on nous dit que des viols en réunion à répétition sur des mineures (..) ce n'est pas si grave" selon plusieurs associations féministes, un "non sens", un "fiasco judiciaire", une "décision incohérente", un "verdict incohérent jusqu'à la carricature", une décision qui ressemble à "une espèce de coup d'éponge" et dont on se demande "comment il sera perçu auprès des gamins qui considèrent les filles comme de la viande" selon des avocats et des journalistes.....

  Tout ceci appelle quelques réflexions, non pas sur le dossier jugé en lui-même, dont seuls les personnes et les professionnels impliqués connaissent suffisamment le contenu pour le commenter utilement, mais sur quelques problématiques générales.


 - Le procès s'est tenu selon la règle de la publicité restreinte, ce qui signifie qu'en dehors des intéressés personne n'a pu y assister. C'est la règle quand des accusés sont mineurs à la date des faits. Il existe une possibilité juridique d'écarter cette règle mais le principe reste l'absence de public dans la salle (lire ici, ici) (texte ici).

  Cela rend très difficile le travail des journalistes puisque les commentateurs n'ont à leur disposition ni le dossier écrit ni les débats à l'audience. Ils n'entendent que les comptes rendus que peuvent faire les personnes impliquées et les avocats en dehors de la salle. Mais le risque de subjectivité de ceux-ci est toujours grand, chacun pouvant être tenté de présenter l'affaire aux medias sous un jour favorable à sa thèse.

  D'où la première série de commentaires qui font état d'une très grande incompréhension du verdict. Il est en effet toujours délicat de comprendre le dernier chapitre d'un livre quand on n'a pas lu les chapitres précédents.

-  Depuis janvier 2012, les décisions des cours d'assises doivent être motivées (lire ici, ici, ici, ici) (texte ici). La nouvelle règle ne prévoit pas d'exception pour la cour d'assises des mineurs.

  Pourtant, aucun journaliste n'a jusqu'à présent mentionné la feuille de motivation rédigée par la cour d'assises des mineurs du Val de Marne. Il est fort probable qu'aucun ne l'avait lue au moment de rédiger son article.

  Et l'on notera que les avocats qui ont pris la parole une fois le procès terminé n'en ont pas plus fait état. Peut-être a-t-il été fait application du dernier alinéa du nouveau texte qui permet, en cas de pluralité d'accusés, de rédiger la feuille de motivation dans les trois jours suivant la fin du procès et non immédiatement à la fin du délibéré.

  Par ailleurs, au moment de l'entrée en vigueur de l'obligation de motiver, les juristes qui ont décortiqué le nouveau texte ont considéré que l'obligation d'expliciter par écrit la décision ne semble concerner que la culpabilité, et non la peine. A supposer même que cela soit exact, il est quand même parfois indispensable de motiver la peine choisie, notamment quand celle-ci est très différente de la peine requise par le ministère public, ou quand elle peut surprendre les intéressés et le public.  Dans de telles hypothèses, il peut sembler opportun, si ce n'est indispensable, d'ajouter à la motivation sur la culpabilité quelques lignes sur la raison d'être des peines choisies. Le plus est toujours préférable au moins. En tous cas, cela est le seul moyen d'éviter des commentaires inappropriés qui ne peuvent exister que du fait de l'absence d'explications données par la juridiction qui a statué.

  De fait, l'utilité de motiver est sans doute présente quand des personnes finalement déclarées coupables de viol sont condamnées à des peines peu importantes et rarement prononcées sous cet intitulé.

  - Pour aller un peu plus loin sur ce point, il faut souligner que quelle que soit l'infraction poursuivie, et notamment le viol, quand plusieurs personnes sont renvoyées ensemble sous une même qualification juridique, cela ne signifie pas qu'elles ont toutes eu le même comportement vis à vis de la victime.

  Il y a juridiquement viol (textes ici) que la victime ait subi longuement de multiples pénétrations de façon agressive et particulièrement odieuse, ou que son agresseur se soit contenté d'insérer pendant une fraction de seconde une partie d'un doigt dans son sexe. En droit le mot "viol" s'applique à des situations concrètes qui peuvent être très variées, quand bien même toute agression sexuelle est évidemment intolérable et doit être sanctionnée.

  En plus, il est déjà arrivé que dans un groupe de violeurs l'un des participants ait agi alors qu'il n'était pas en accord avec ce qui se passait, sous la pression des autres, et notamment d'un meneur pouvant se montrer agressif vis à vis des autres jeunes présents sur place. Et que de ce fait il se soit contenté d'accomplir un acte d'une gravité minimale.

  On le sait peu parce qu'on en parle peu, mais dans les "bandes" il y a souvent des adolescents influençables qui sont embarqués dans un processus qu'ils ne maîtrisent pas, qu'il ne souhaitent pas, et qui, par faiblesse ou par peur, n'arrivent pas à s'opposer et à prendre leurs distances parce qu'il est parfois bien plus difficile de dire non que de suivre les autres. Ils sont là plus par peur que par choix, et agissent en ressentant un profond malaise. Leur façon de lutter contre ce malaise est parfois d'accepter la consigne tout en essayant de limiter leur rôle à une action minimaliste.

  Et le juge doit statuer en fonction de la situation personnelle de chaque membre du groupe. Il ne peut pas se contenter d'une vision collective et poser le principe que tous les membres de l'équipe ont forcément eu le même comportement vis à vis de la victime.


  C'est pourquoi, au niveau des principes, il n'est pas inconcevable que dans une affaire de viol concernant une pluralité d'individus certains soient condamnés à des peines modérées. On retombe alors sur l'impérieuse nécessité d'expliquer ces sanctions bienveillantes pour qu'il n'y ait aucun malentendu.

  - Les faits jugés à Créteil se seraient produits entre 1999 et 2001. Plus de dix années se sont donc écoulées entre ceux-ci et le procès devant la cour d'assises.

  Dans certaines affaires de viol (et au demeurant pas uniquement dans ce domaine) le temps écoulé rend de plus en plus difficile l'appréhension de la réalité. Les souvenirs deviennent de plus en plus vagues, les imprécisions et les erreurs se font de plus en plus nombreuses au fil du temps, et cela, d'un point de vue judiciaire, entraîne parfois chez les juges et les jurés une impression de flou, de brouillard, et génère de multiples incertitudes.

  Or pour condamner il faut disposer de suffisamment d'éléments sérieux, forts, indiscutables, pour aboutir à des certitudes permettant de considérer que la personne jugée est coupable. C'est pourquoi, dans de nombreux dossiers, plus le temps passe plus ces éléments vont être difficiles à trouver.

  En plus, quand une personne s'est trouvée entourée par un groupe et a été agressée par certains de ses membres, après de nombreuses années il peut lui être difficile de dire qui, parmi les personnes renvoyées devant la juridiction pénale, a sur elle commis un viol. Elle peut ne plus se souvenir précisément des noms, des visages, des tenues vestimentaires.

  A l'occasion d'un viol collectif, il peut arriver par exemple que dans un groupe de dix personnes présentes dans la cave quatre d'entre elles aient seulement regardé ce qui se passait, sans jamais aucun contact avec la victime. Mais si cette victime plus de dix ans après les faits n'est plus en mesure de dire qui regardait et qui agissait, la juridiction peut se trouver en situation d'incapacité de faire le tri entre les violeurs et les spectateurs. Au demeurant il arrive parfois aussi que même immédiatement après les faits la victime ne sache pas bien qui dans la cave l'a agressée et qui est resté à distance.

  Dans une telle configuration, il est évidemment impossible de condamner tout le monde pour viol. On ne condamne pas "au bénéfice du doute" !.


  - Certains associations "féministes", de même que des "psys", ont mis en avant l'existence de traumatismes caractéristiques chez les victimes de viol, allant jusqu'à prétendre que l'existence d'un tel traumatisme est la preuve de l'existence d'un viol.

  Il s'agit là d'une question particulièrement délicate et qui peut se résumer ainsi : quand une personne dépose plainte en se disant victime d'un viol et que la personne avec qui il est prouvé qu'elle a eu une relation sexuelle affirme que celle-ci était consentie, l'affirmation d'un psychologue ou d'un psychiatre de l'existence d'un traumatisme présenté comme caractéristique des victimes de viol suffit-il à démontrer que cette relation sexuelle n'était pas consentie ?

  Il est sans doute possible d'écarter la plupart du temps l'hypothèse de la manipulation par la plaignante. Les experts sont quasiment unanimes à dire qu'une personne ne peut pas simuler pendant des heures sans jamais être prise en défaut, et que dans ces traumatismes il y a des éléments caractéristiques qui ne peuvent pas être mensongèrement mis en avant.

  Par contre, les juges ont parfois en face d'eux des personnes qui ont vécu une pluralité de situations traumatiques (hors le viol allégué) ayant entraîné des troubles de la personnalité : violences parentales, ruptures familiales, alcool et/ou drogues etc....  Dans ces cas, les experts judiciaires sont parfois à la peine pour dire ce qui, dans ces traumatismes successifs, relève d'un éventuel viol et ce qui relève des autres évènements très perturbants subis par la plaignante.

  En tous cas le débat sur cet aspect de la problématique est certainement à poursuivre.

  - Nous ne ferons que rappeler cet autre élément car il en a déjà été fait mention sur ce blog : il est arrivé, et il arrivera encore, que des femmes apparaissant traumatisées et ayant porté plainte pour viol admettent ensuite avoir menti (lire ici, ici). Et quand bien même il serait démontré qu'elles sont une infime minorité par rapport à une quasi totalité de plaignantes sincères, le juge est en permanence effrayé par le risque de commettre une erreur judiciaire, avec la crainte permanente que la femme en face de lui soit cette exception à la règle.


  Toute cela mis bout à bout rend l'appréhension des affaires de viol particulièrement difficile, et invite à la prudence dans l'analyse des décisions judiciaires.

  Il est aisé de comprendre la souffrance de ces femmes qui savent qu'elles ont été violées et qui savent que la personne dans le box est leur violeur. Mais le juge, lui, n'est dans la tête ni de cette femme ni de cet accusé. Le juge ne sait rien de ce qui s'est passé. Il n'a que les éléments que les uns et les autres lui apportent. Et parfois ces éléments lacunaires, disparates, flous, contradictoires.. ne vont pas permettre au juge de se faire une idée précise de la réalité.

  Et l'on peut encore mieux comprendre la révolte et le supplément de souffrance de la femme qui constate que l'auteur de son viol est acquitté. Et tout autant qu'il lui soit vraiment difficile d'admettre que sa vérité n'est pas forcément celle des juges et que ceux-ci ont besoin de preuves avant de pouvoir condamner quiconque.


  Quoi qu'il en soit, il semble difficilement envisageable de déclarer coupable et ensuite de condamner toute personne désignée par une femme comme l'auteur d'un viol, au seul motif que cette femme l'affirme et qu'elle est traumatisée, quand bien même la personne poursuivie conteste vigoureusement avoir commis ce crime et qu'il n'existe pas d'autre élément que les déclarations de la plaignante et les expertises psy.


  Alors la justice fait ce qu'elle peut avec ce qu'elle a. Plus ou moins bien. En rendant parfois, et légitimement parce qu'elle ne peut pas faire autrement, des décisions qui ne sont pas conformes à une réalité qu'elle n'a pas réussi à appréhender. Et par voie de conséquence en générant d'autres souffrances. Ce qui, vu du côté des victimes, est profondément injuste.

  Mais ce qui est indiscutable c'est que pour les affaires de viol comme pour toutes les autres affaires qui lui sont soumises la justice doit être exigeante et prudente.



  Après l'affaire dite "d'Outreau" (cf. la rubrique sur ce blog) la France entière a reproché aux juges d'avoir accordé trop vite de l'importance à des témoignages insuffisamment fiables et plus encore d'avoir envoyé trop facilement des personnes en prison. Il était alors exigé des juges d'être à l'avenir beaucoup plus prudents et méfiants avant de condamner.

  Aujourd'hui on reproche à la justice de trop douter et de ne pas envoyer assez vite d'autres personnes en prison.



  Juger est toujours aussi compliqué.

 

 

 

 


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