Actions sur le document

Jérôme Garcin : une amitié à livres ouverts

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/08/2017

Pourquoi irais-je me plaindre puisque j'ai rencontré cette exception humaine : une amitié à livres ouverts ?

Lire l'article...

La psychologie est une passion et l'amitié un mystère.

Comment surgit-elle et quels chemins emprunte-t-elle ? Ses mille visages et ses subtiles hiérarchies ? Pourquoi tel être et pas cet autre à côté de lui ? Pourquoi ce visage, cette personnalité et cette parole et pas ceux presque semblables mais si différents qui s'offrent dans l'espace infini et imprévisible de la vie ?

J'aime passionnément ces interrogations qui appellent des réponses à la fois totalement subjectives et explicables aussi par un socle objectif.

Je connaissais évidemment Jérôme Garcin de réputation, je lisais ses chroniques et ses critiques. Je savais de qui il était l'époux mais il m'a fallu du temps pour le rencontrer et le heureux hasard d'un Salon du livre durant lequel j'ai pu échanger quelques instants avec lui.

Il serait malséant, en narrant mon histoire, d'empiéter sur la sienne et je m'en garderais bien.

Mais de déjeuners en dîners, de rencontres en complicités, de dialogues singuliers en effervescences chaleureuses et stimulantes, j'ose dire qu'une amitié est née. Je l'ai emplie, irriguée avec les facettes dont j'ai fait mon miel et comblé mes attentes. D'une certaine manière, dans un premier mouvement, c'est moi qui suis allé vers lui et son univers. Son épouse sincère, authentique, sans la moindre afféterie, directe, passionnante, passionnée, acceptant d'être la fille de Gérard Philipe et d'en parler mais sans cette fausse retenue qui traduit plus la vanité que la modestie. Lui, Jérôme, si urbain, délicat, si net dans un monde qui ne brille pas forcément par la tenue et l'allure, tellement doué pour l'écoute et la compréhension, si naturellement accordé aux profondeurs et aux obscurités de l'humain. Si discret sur soi, si aimablement à l'abri dans sa forteresse de soie et de velours.

L-ecrivain-jerome-garcin-recoit-le-prix-litteraire_733848_667x333

Et moi évidemment, toujours tristement le même. Si heureux d'avoir, pour une fois, éprouvé la certitude de quelque chose d'unique et de fragile contre tous les déplaisirs d'une quotidienneté trop souvent décevante que je m'obstinais à vouloir brûler les étapes, précipiter le mouvement, projeter mille instants qui non seulement ne me lasseraient pas mais auraient du goût et de la saveur. Je devinais que cette impatience était aux antipodes du rythme courtois, harmonieux, secret de Jérôme Garcin et que je ne découvrirais jamais les clés de son personnage, de son humanité de cette manière.

J'étais allé vers lui. Il fallait qu'il vienne vers moi. Donc j'ai lu deux de ses livres qui n'avaient rien de commun avec la fougue épique et révolutionnaire qui imprégnait son Hérault de Séchelles dans "C'était tous les jours tempête".

Un livre - "Théâtre intime" - qui m'a dit sinon tout du moins beaucoup sur lui, ses affections, sa famille, sur la magie et les douleurs du théâtre, sur ses états d'âme, sur son aptitude à être cet observateur, cet analyste tendre et passionné des passions des autres. Jérôme Garcin en liberté et en spontanéité. Mais l'intime, avec lui, ne tombe jamais dans l'indécence et à chaque page le tour de force est qu'il se livre au travers des autres qui le touchent et l'émeuvent mais sans jamais s'abandonner lui-même à la vulgarité de l'exposition directe et complaisante de soi.

Un autre livre - "Barbara, claire de nuit" - sur Barbara certes mais dans son admiration et sa fascination magnifiquement exprimées, il sème des pépites, des petits cailloux, des indices, une sorte de carte du tendre et de Garcin, qui dévoilent ce qu'il consent à révéler par les seuls moyens qui lui conviennent : jamais ostentatoire en première ligne, caché dans l'ombre de Barbara mais pour qui sait lire il dessine son autoportrait et continue autrement, sur un mode dérivé, "Théâtre intime".

Avec comme une pincée d'envie qui font qu'on aurait aimé faire partie de tous ceux qu'il a fréquentés sans économie ni rareté.

Je suis allé vers lui et il est venu vers moi grâce à ses livres.

Le style somptueux, d'un classicisme impeccable mais non corseté, avec des bonheurs d'expression à foison mais en fuyant le côté "regardez comme j'écris bien", une élégance soutenue, une volonté d'aller le plus directement possible au coeur, d'atteindre la vérité, de présenter ses mots en beauté, en majesté et en lucidité.

Dorénavant j'ai dans la tête Jérôme Garcin dans sa plénitude avec le surgissement d'un univers intérieur éclatant, d'autant plus troublant qu'il apparaît sous des apparences qui délibérément visaient à le masquer. Une sentimentalité forte, une sensibilité vive, une intuition exceptionnelle, un goût des autres, une familiarité douce et profonde avec les choses nues et rudes de la vie, les paysages, la nature, les traces polies par le temps, l'histoire des objets et des lieux, une curiosité infinie.

Tout ce à quoi j'aspire, qui me manque, ou que j'ai remplacé.

Pourquoi irais-je me plaindre puisque j'ai rencontré cette exception humaine : une amitié à livres ouverts ?


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...