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La restauration digère mal Internet !

Justice au singulier - philippe.bilger, 24/08/2014

La restauration devra accepter, j'en suis sûr, de plus en plus Internet en ayant l'estomac plus solide.

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Pourquoi les hôteliers et restaurateurs seraient-ils heureux d'être contrôlés et jugés alors qu'aucun service public, aucune institution ne le supporte en France ?

Il paraît qu'ils "se rebellent contre les avis d'internautes" et qu'ils se sentent "impuissants" face au succès des sites de recommandations, les plus fréquentés étant Booking, Yelp, Cityvox ou le géant TripAdvisor. Beaucoup seraient "dégoûtés" par des critiques parfois insultantes et réclameraient "une moralisation" de ces pratiques (le Figaro).

Derrière cette révolte, on perçoit bien le ressort profond : se retrouver entre soi, sa clientèle et ses critiques gastronomiques. Si tout le monde a le droit d'apprécier et de manger de la bonne cuisine, où irait-on, jusqu'à quelles extrémités, si, le repas pris, le déjeuner ou le dîner savouré, n'importe qui pouvait se permettre, profane, ignorant, de formuler un avis, d'émettre des réserves ou d'expliquer son plaisir ?

Au fond, ces restaurateurs s'étaient habitués à ces critiques professionnels qui, pour certains, étaient devenus des amis et faisaient osciller leur jugement entre un enthousiasme sans nuance ou une dénonciation sans bémol. Le propre, trop souvent de la critique française qui affronte rarement la difficulté du complexe et de l'adhésion conditionnelle.

Internet, qu'on le veuille ou non, dans cette matière à la fois si française et si goûtée, représente le seul moyen, pour les consommateurs, pour les clients, d'éclairer, de stimuler ou de dénoncer. De dire leur fait ou d'exprimer leur satisfaction. De faire part de ce qui leur a plu mais, à la fois, de regretter des manques sur les différents plans qui aboutissent à une restauration exemplaire ainsi qu'à une hôtellerie convenable.

Qu'on ne vienne surtout pas soutenir que pour l'immense offre de la restauration en France, il y aurait peu de griefs à transmettre, à faire connaître, en tout cas trop dérisoires ou ordinaires pour justifier qu'Internet leur serve de relais.

Je fais appel à l'expérience de ceux qui vont régulièrement au restaurant comme à celle rare et bienvenue de ceux pour lesquels il est une fête qu'on attend avec volupté, avec impatience parce qu'il s'agit d'un bonheur relevant de bien plus que de la nourriture partagée : de la vie même.

Une nourriture médiocre, des plats pas chauds, des salades sans sauce, du réchauffé, des frites industrielles, des produits de bas étage, un service grossier, un rapport qualité-prix honteux : c'est ce que à quoi, dans la quotidienneté, on doit quelquefois se confronter.

Et il faudrait se taire après !

Et, pour le somptuaire, quand on croit avoir mis toutes les chances de son côté, y compris le Guide Michelin, un service tellement empressé et présent qu'on n'a plus le temps d'avaler une bouchée, une nourriture à ce point minimaliste que l'énorme assiette qui l'accueille la rend presque invisible, une addition qui pendant un mois vous plonge dans une mauvaise conscience même pas de gauche, mais de personne simplement civilisée et humaine, des appellations de plats grotesques à force de se pousser du col, un rassemblement insupportable de gens friqués pour lesquels cette gabegie s'accorde merveilleusement bien avec les privilégiés qu'ils se savent être de toute éternité.

Et il faudrait demeurer coi après !

Il est évident qu'une fois exclues les manoeuvres, les manipulations, les fraudes commerciales -favorisées pour TripAdvisor par le fait que n'importe qui peut participer et contribuer -, le principe de ces sites reste excellent qui consiste à soumettre les restaurateurs et les hôteliers au seul jugement qui vaille véritablement : celui de ceux qui n'ont pas intérêt à nuire ou à féliciter, celui de ceux qui sont venus, qui ont goûté, qui ont regardé, qui ont payé. Et qui ont comparé avec les mentions des guides et les avis des internautes. Qui ont donc rectifié, complété, infléchi ou aggravé.

Pour ne pas terminer ce billet sur une note amère et pour m'appliquer ce que je recommande, je ne saurais trop, après quelques jours de rêve près de Montélimar, vous conseiller le domaine du Colombier, hôtel de grand niveau à tous points de vue et équilibré dans ses prix, et le restaurant le Prieuré à Saint-Marcel-le-Sauzet.

Pour les déceptions, je les garde pour moi.

La restauration devra accepter, j'en suis sûr, de plus en plus Internet en ayant l'estomac plus solide.


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