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L'urgence de l'Etat !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/09/2017

Derrière ces polémiques qui traînent à la queue des devoirs qu'un Etat a la charge, l'honneur d'assumer, il y a comme des effusions d'humanisme délétère. Presque une conception christique de la République qui contraindrait cette dernière à rendre les coups violents et mortifères qui lui sont ou seront portés sur un mode assoupli, adouci, convenable. Du masochisme distingué et fier de l'être. Il est urgent d'en sortir.

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L'état d'urgence sera en principe supprimé le 1er novembre si le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est voté dans les prochaines semaines. C'est ce à quoi s'est engagé le président de la République face au Congrès à Versailles.

Mais il restera l'essentiel qui sera l'urgence de l'Etat à mettre en oeuvre des dispositions positives aussi bien pour combattre le terrorisme, rendre le renseignement plus efficace que pour faciliter et multiplier les contrôles dans les zones frontalières (Le Figaro)

Dans une démocratie capable d'épouser l'intérêt général plus que les joutes partisanes, cette nouvelle loi, compte tenu de son inspiration et de ses finalités, ne devrait pas susciter la moindre controverse.

Pourtant une Christine Lazerges - dont, il est vrai, on connaît l'idéologie et la partialité - ose évoquer "une grave régression de l'état de droit" et malheureusement le si remarquable François Sureau dans certains de ses autres registres, se lâche et va jusqu'à prétendre que "nous nourrissons et cajolons la bête immonde" (Mediapart). De la part d'une telle personnalité, l'excessif n'est pas de l'insignifiance mais révèle surtout à quel point une conception dévoyée de l'état de droit le constitue comme un bloc fixe, intangible et inaltérable qui, faute d'adaptation, sera, face aux menaces terroristes les pourfendant, incapable de sauvegarder les valeurs et principes qu'il énonce abstraitement.

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La force d'un état de droit ne réside pas dans les compliments que lui adressent juristes et intellectuels mais dans son aptitude à protéger les citoyens en même temps qu'à garantir les droits élémentaires des personnes soupçonnées pu poursuivies.

Une autre critique se fait jour qui reproche au texte de ne pas aller assez loin ce qui est la déplorable habitude française d'excuser, au nom d'une globalité impossible, la passivité et l'inaction. Parce que la droite ne serait pas totalement satisfaite - au nom de quoi d'ailleurs pourrait-elle donner des leçons ? -, elle devrait s'abstenir ou condamner ? J'espère que la lucidité l'aidera à voir clair pour ne pas laisser les opportunistes "constructifs" remporter la mise de l'intelligence et de la mesure.

Cette loi, si son noyau fondamental est préservé - il faut saluer au surplus l'extension des contrôles dans les zones sensibles - fait en quelque sorte la synthèse de quelques données incontestables.

D'abord la menace terroriste toujours présente, quels que soient les succès militaires ou les avancées diplomatiques, demeurera à l'horizon de la France ou pire dans sa chair si elle ne la prévient pas.

De plus il est dorénavant inconcevable - et d'ailleurs non salutaire - d'imaginer d'autres armes juridiques, procédurales et policières pour lutter contre le terrorisme sauf à accepter non plus une adaptation de l'état de droit mais sa disparition. Sur ce plan on est allé au bout.

Ainsi la démarche la plus cohérente est en effet d'intégrer l'exceptionnel d'hier dans le droit ordinaire pour que ne renaisse pas à chaque agression cette tentation de surenchère et d'extrémisme. En quelque sorte le premier banalisé sera structurellement à la disposition du second dans une République dressée contre ceux qui prétendent la nier et la massacrer.

La conséquence en sera que si des tragédies adviennent à nouveau, on ne sera plus confronté à ces débats absurdes entre libertés et sécurité et à cette tentation perverse de mener une course suicidaire pour se colleter avec le terrorisme au-delà même de ce qu'une démocratie enfin devenue vigoureuse et efficace permettrait.

Sous un autre président, j'avais usé d'une argumentation similaire dans un billet du 5 décembre 2015 : Pour un Etat de l'urgence.

Pour se donner bonne conscience on souligne que seul le terrorisme pâtira de ces avancées dans la rigueur policière et judiciaire. Aurait-il été scandaleux de suggérer que, pour la délinquance et la criminalité dites ordinaires, on procède aussi à une révision procédurale qui laisserait moins de place à la bureaucratie et au formalisme mais plus à la recherche de la vérité et à l'établissement des preuves?

Je ne doute pas, aujourd'hui, de la capacité du ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, à développer la logique et la bienfaisance d'une telle loi. Mais il conviendra que les sénateurs sur la ligne du gouvernement et la masse des députés LREM sachent eux aussi convaincre, persuader, contredire, répondre et faire notamment de l'Assemblée nationale non plus une Chambre d'enregistrement mais un espace d'intelligence et de dialogue.

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Derrière ces polémiques qui traînent à la queue des devoirs qu'un Etat a la charge, l'honneur d'assumer, il y a comme des effusions d'humanisme délétère. Presque une conception christique de la République qui contraindrait cette dernière à rendre les coups violents et mortifères qui lui sont ou seront portés sur un mode assoupli, adouci, convenable.

Du masochisme distingué et fier de l'être.

Il est urgent d'en sortir.


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