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Le troisième âge est trop susceptible !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/04/2020

De grâce, que le troisième âge ne soit pas trop susceptible et qu'il ne complique pas inutilement la tâche d'un président et d'un gouvernement déjà bien empêtrés dans la lutte contre un fléau qui tue encore.

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La France est un pays difficile à gouverner, délicat à manier. Parfois il faut le rudoyer avec une forme de tendresse bourrue, d'autres fois le traiter avec des pincettes.

Je me souviens de la période pas si éloignée que cela où le président de la République houspillait avec ironie ou vigueur ses concitoyens avec des saillies, des foucades et des traits qui pour n'être pas toujours infondés avaient pour dénominateur commun de tous critiquer les Français.

Aujourd'hui il me semble que c'est le contraire. Depuis la date du 11 mai annoncée pour le début du déconfinement (qui à l'évidence ne pourra être que fragmenté, précautionneux et progressif), le pouvoir paraît marcher sur des oeufs comme on dit familièrement.

Il se trouve confronté à l'ire d'un troisième âge qui apparemment devrait rester confiné plus longtemps que d'autres catégories de la population. Et qui se révolte car il aurait été offensé par ce qu'il a pris pour une injonction de continuer à demeurer chez soi (Le Parisien). Comme s'il n'énonçait pas un état mais dénonçait un défaut ! Pas un opprobre, une salubrité. Pas un ostracisme, un altruisme sélectif (Le Figaro).

Les obèses aussi se sont mobilisés mais c'est un autre genre de combat.

Immédiatement la fronde des seniors a été telle que le président de la République s'est cru obligé de préciser qu'il ne s'agissait pas de "discrimination" mais de "recommandations". A l'évidence on a pris au sérieux cette humeur collective négative.

Comme si évoquer les personnes âgées, qu'on les fasse partir de 65 ans ou de 70 ans, était un scandale et que même pour leur bien il était choquant d'évoquer un sort différent pour les aînés, les seniors dont je suis.

Cela me paraît relever d'une étrange conception de l'âge, du rapport qu'on entretient avec soi et avec les autres.

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Certains, à rebours, détestent la jeunesse, par jalousie - elle a la chance d'être à l'aube de tout - ou par mépris : elle ne sait vraiment rien ! Cette attitude est choquante même si l'adoration du jeunisme, en revanche, est ridicule. Singer ce qu'on n'a pas ou ce qu'on n'est plus ! Je rappelle le mot de Goethe : si la jeunesse est un défaut, on s'en corrige vite !

Pour les personnes âgées, l'erreur réside dans le fait qu'on confond le sentiment qu'on a de soi ou que les autres, en vous regardant, vous inspirent, avec la réalité indiscutable, objective, d'un âge avancé. J'admets volontiers qu'on peut sincèrement se vanter d'une pleine forme à 70 ou 80 ans, se percevoir, selon cette formule ridicule, jeune de coeur ou d'esprit mais avoir la lucidité, en même temps, de ne pas se leurrer sur l'évidence corporelle, physiologique et temporelle d'un âge qui vous place naturellement à une moindre distance de la fin que de l'origine. Je rejoins le chanteur Christophe qui affirmait qu'à 70 ans, il ne se désintéressait plus du temps qui passe.

Ce n'est pas honteux d'en avoir conscience ni indécent que pour des motifs de sauvegarde sanitaire et de délicatesse sociale on en tienne compte.

Les plus ulcérés, d'ailleurs, par l'invocation de leur âge, sont généralement les plus désaccordés avec la fraîcheur intellectuelle et humaine. A force de prétendre ne pas être un "vieux", on en devient un, sur le mode de la caricature.

Même si on n'assume pas le confinement comme moi qui ai le privilège pour de multiples raisons de l'assumer pour le moins avec sérénité, je ne crois pas qu'il faille faire le reproche au gouvernement de penser prioritairement à nous au moment du déconfinement.

Ce n'est pas qu'on adore le propos de Ursula von der Leyen qui nous annonce - elle n'est pas compétente pour cela ! - notre "enfermement" jusqu'à la fin de l'année. Mais il est irréfutable que l'obligation de faire des choix sanitaires ne peut que conduire à des discriminations fondées sur le seul intérêt commun, à commencer par le nôtre. Quitte à déterminer des critères, celui de l'âge et de sa possible fragilité n'est pas le plus sot.

De grâce, que le troisième âge ne soit pas trop susceptible et qu'il ne complique pas inutilement la tâche d'un président et d'un gouvernement déjà bien empêtrés dans la lutte contre un fléau qui tue encore.


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