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Le divorce à la cafétéria du Palais ?

Actualités du droit - Gilles Devers, 3/01/2014

Vu de loin, le divorce par consentement mutuel (une grosse moitié des 130...

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Vu de loin, le divorce par consentement mutuel (une grosse moitié des 130 000 divorces par an), c’est la vie paisible. Alors, pas besoin d’un juge, un greffier suffit, et quand on n’aura plus assez de greffier, on ira à la cafétéria du palais, ça permettra de boire un coup, et ça sera plus sympa.

On divorce, mon amour ? 

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S’il existe des divorces par consentement mutuel simples – genre le mariage qui se vrille après quelques mois – ces divorces sont aussi choisis car ils sont les moins coûteux, dès lors qu’une seule audience, contre deux dans les autres procédures, suffit.

Mais ce « consentement mutuel » est en pratique l’objet de tractations et renonciations importantes, car pour que le divorce soit prononcé, il faut un accord sur le principe de la procédure et sur toutes les conséquences. Imaginez ce que ça donne avec trois enfants, une garde alternée, un patrimoine immobilier et quelques crédits en cours. Tant que vous n’avez pas l’accord sur tous les points, ce qui veut dire s’il y a un patrimoine, la vente et la répartition, le divorce est impossible. Un différend pour les enfants fait tout capoter, et jusqu'où accepter de transiger ? 

Pas simple le consentement mutuel, et encore plus délicat pour deux raisons :

D’abord, il n’y a pas d’appel possible, et ce qui est jugé c’est pour la vie, sauf pour les mesures qui concernent les enfants. Mais lorsque les époux ont signé un accord sur les enfants, il faut de sérieux motifs pour pouvoir revenir sur cet accord ensuite.

Ensuite, le juge ne peut prononcer le divorce que s’il y a un accord global et détaillé. Hypothèse classique : alors qu’on a beaucoup avancé, l’autre époux fait une fixation sur un point, et menace de refuser de signer. Il faut alors tout abandonner, repartir à zéro sur une procédure contentieuse,… ou accepter la disposition contestée pour sauver la procédure.51jH202DTbL._SS500_.jpg

Bref, on y arrive, et ça marche très bien, mais il faut un travail ajusté des avocats, et le contrôle du juge. Le juge peut en effet refuser d’homologuer l’accord s’il est incomplet, ou si des mesures lui paraissent inacceptables.  

Le sinistère avance masqué... 

Alors, le beau projet du sinistère, camouflé derrière un rapport sur le « juge du XXIe siècle », piloté par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de la cassation, préconise de « transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel, sans qu'il y ait lieu de distinguer en fonction de la présence d'enfants ou de la consistance du patrimoine ».

Les greffiers sont des juristes de haut niveau, rompu à la pratique de la procédure, et qui ont une compétence autonome indispensable au fonctionnement des tribunaux. Participant à toutes les audiences, ils connaissent bien les problématiques humaines, nées de la confrontation avec la justice.

Oui, mais voilà : greffiers, ils ne sont pas magistrats, et seuls les magistrats peuvent, en droit, rendre des jugements. J’ai un peu expliqué à quel point la rédaction des conventions de divorce était délicate. L’œil et de l’autorité du juge pour accepter ou refuser sont bien nécessaires. Ajoutons, éventuellement, que le mariage est un pilier de la société française, et passer devant le juge pour le dissoudre est bien la moindre des choses.

Le système Dimgshw.jpg

En fait, il n’existe aucun argument de fond, mais seulement une histoire de moyens : la France manque cruellement de magistrats. 

Les chiffres ne sont pas si simples que cela, mais on s’accorde sur le chiffre de 8.500 postes de magistrats budgété. En janvier 2014, on comptait 5% des emplois restent vacants, et le nombre de magistrats en fonctions est en baisse régulière depuis 2009.

En 2012, 270 postes ont été ouverts au titre des concours de l’Ecole Nationale de Magistrature, mais seuls 206 candidats ont été recrutés. Même échec pour les recrutements complémentaires : 90 postes offerts, et seulement 53 pourvus.

Au niveau du Conseil de l’Europe, la France est larguée. En 2009, elle consacrait 57,70 € par an et par habitant à la justice, alors que les chiffres étaient pour l'Espagne de 86,30 euros et pour les Pays-Bas de 114,60. Seule la Pologne faisait moins bien.

Le nombre de juges par habitants (hors procureur) était de 9,1 pour 100.000 habitants, contre 10,7 en Espagne ou 15,2 en Belgique, 19,9, en Autriche, ou 24,5 en Allemagne. Pour les procureurs, on en est en France à 3 pour 100 000 habitants contre 15,4 en Norvège, pour une moyenne de 10,4 dans les autres pays du Conseil de l'Europe.

Alors, on pique dans les greffiers ? Pas de chance, sur 20 056 postes, on compte 1 423 emplois seront vacants, et donc c’est le bazar. Alors, si on leur confie des tâches en plus… Vous verrez qu’on rendra bientôt des jugements cools et sympas à la cafétéria… 

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