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Ils ont eu des mots !

Justice au singulier - philippe.bilger, 16/12/2012

Les mots, leur pouvoir, leur malfaisance, leur apparence équivoque. Ils s'échappent et leur liberté, c'est selon, détruit ou honore, parfois sans qu'on ait voulu l'un ou l'autre.

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Gérard Depardieu ne veut plus de la nationalité française parce que le Premier ministre a qualifié "d'assez minable" son exil fiscal en Belgique.

Bernard Tapie affirme qu'Arnaud Montebourg "a une vision nord-coréenne de l'économie".

Seul coin de ciel bleu : Michel Houellebecq revient en France (Le Parisien, le JDD).

Je n'ai pas l'intention de faire à nouveau un sort, après mon billet du 11 décembre, à notre grand acteur qui a écrit une lettre ouverte à Jean-Marc Ayrault. Celui-ci se voit vertement reprocher le "assez minable" et le fait de n'avoir jamais réagi qu'à l'encontre de Depardieu. Alors qu'on sait qu'un certain nombre d'artistes, de sportifs français (quasiment tout le tennis, notamment !) ont fait de même en Suisse ou ailleurs. Depardieu, sur point, n'a pas tort.

Même s'il est évident que son argumentation, aussi sommaire et démagogique qu'elle soit, va faire des dégâts et aggraver encore le discrédit gouvernemental, ce n'est pas cet aspect des choses qui m'intéresse mais la nuisance des mots quand ils sont mal utilisés.

Qu'Aurélie Filipetti soit "tout à fait scandalisée", qu'Alain Vidalies juge les propos du comédien "très choquants" et que Michel Sapin voie dans le comportement de Depardieu "une forme de déchéance dommageable", rien que de très normal de la part de ministres dans l'obligation de monter au front, en riposte.

Mais pourquoi Jean-Marc Ayrault a-t-il si peu le sens du langage et d'intuition psychologique pour traiter Depardieu, quoi qu'on pense de son éloignement, "d'assez minable" ? Ce n'est pas le bon mot, ce n'est pas la formule appropriée. L'expression est maladroite, blessante et désaccordée avec la personnalité de Depardieu. Il est tout ce qu'on veut sauf "assez minable". Odieux, superbe, scandaleux ou énorme, dans le meilleur comme dans le pire. Ce n'est pas le petit péjoratif qui aidera à le définir.

Quand Bernard Tapie s'amuse en assimilant Arnaud Montebourg à un ministre nord-coréen avec tout ce que cela implique de planification, de bêtise et de bureaucratie, il est dans l'outrance et à l'évidence, s'il avait eu envie de faire un effort, lui qui sait avoir un parler dru et efficace, il aurait utilisé d'autres mots. Il aurait été plus crédible parce qu'en l'occurrence sa moquerie est susceptible de faire rire mais n'emporte aucune adhésion.

Je ne vois pas pourquoi, même dans le vif d'une réaction, on ne serait pas capable de respecter l'esprit des mots, d'adapter très exactement son langage à ce qu'on souhaite transmettre. Pour le Premier ministre, de l'attitude du citoyen Depardieu et de sa psychologie. Ce n'est pas parce qu'il a été sarkozyste qu'il fallait le traiter si maladroitement.

Jean-Marc Ayrault a des problèmes avec les mots. Il est appliqué, s'applique mais qu'il prenne garde à ne pas dériver. Rien n'est plus malaisé que la dérision ou le mépris : Depardieu serait tout de même parti en Belgique mais maintenant il quitte la France, blessé. Sa susceptibilité atteinte.

Bernard Tapie n'aime pas Montebourg, c'est son droit. Mais qu'il nous fasse grâce d'une comparaison aussi hasardeuse.

Les mots, leur pouvoir, leur malfaisance, leur apparence équivoque. Ils s'échappent et leur liberté, c'est selon, détruit ou honore, parfois sans qu'on ait voulu l'un ou l'autre.

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