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Quelle famille !

Justice au singulier - philippe.bilger, 18/11/2012

En même temps, il faut comprendre, parcourir des chemins obscurs, remplacer l'indignation par l'analyse et devenir un explorateur de l'âme d'autrui. C'est sans doute la raison pour laquelle j'ai placé au plus haut les assises dans mon monde judiciaire : elles vous obligent à fuir l'immobilisme de l'esprit pour aller à la rencontre de tout ce qu'une certaine humanité a trouvé pour occuper sa vie, oublier la mort. Même l'innommable.

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Depuis plusieurs jours, je ne parviens pas à oublier la cour d'assises des mineurs d'Amiens et cette stupéfiante affaire criminelle résumée ainsi : "l'histoire d'un amour qui dérange" (Le Parisien).

Un père a eu des relations sexuelles, depuis qu'elles avaient quinze ans, avec ses deux filles Marie et Louise aujourd'hui âgées de 31 ans et de 29 ans.

L'accusé vit en concubinage avec la première et ils ont eu un fils qui a actuellement 10 ans, traité comme il faut par son père qui est aussi son grand-père!

Marie et Louise affirment que depuis l'origine elle étaient consentantes et l'accusé, quinquagénaire exerçant la profession de technicien automobile, s'inscrit dans le même discours et la même histoire, invoquant une enfance chaotique avec le bouleversement des repères qu'elle induit presque forcément.

Dans cette famille hors norme, la seule "normale" semblait être la mère honteuse de ce qu'elle a fait et permis puisqu'elle est mise en cause par ses deux filles pour avoir eu un rôle de manipulatrice et facilité ces dérives bien avant qu'elles aient eu 15 ans.

Effarant!

L'important n'est pas qu'en appel les parents aient été sensiblement moins condamnés qu'en première instance, le père étant défendu par Me Hubert Delarue et Me Frank Berton et les filles par Me Dupond-Moretti, la mère pour sa part étant assistée par Me Florence Danne-Thieffine.

Le très grand psychiatre qu'est Michel Dubec explique que "l'inceste est un interdit qui est une loi universelle" et qu'évidemment le père ne pouvait ignorer cette prohibition absolue.

Au-delà de cette transgression capitale, ce qui fascine et rend infiniment mal à l'aise dans ces désordres amoureux assumés comme un monde parallèle et pourtant, pour ses protagonistes, légitime tient à la tranquille et incroyable évidence avec laquelle le père et ses filles décrivent leurs relations, utilisant le vocabulaire destiné à l'ordinaire du coeur et des corps, pour même pas justifier mais affirmer et valider le scandale dans la durée, cette contre-nature au quotidien.

Le vertige vient devant cette force délétère qui, indifférente au jugement moral et au sentiment commun, parvient à donner une forme et un sens à ce qui est proprement monstrueux. La puissance des comportements atypiques même sanctionnés fait frémir. Leur existence, parfois, suffit à créer une brèche terrifiante dans les territoires qu'on imaginait préservés à vie des atteintes ignobles.

Avocat général, j'ai été confronté à une multitude de tragédies et de crimes. Odieux, cruels, traumatisants. Même persuadé du contraire au fond de moi, je me disais que demain je ne pourrais pas m'affronter à pire. Rien ne m'est apparu comme plus destructeur que ces transgressions qui sortaient du lit des malfaisances banales même gravissimes pour vous plonger dans une sorte d'immense inconnu. Elles violaient la loi, certes, mais surtout la nature, ce qu'on portait en soi de plus précieux et de plus beau, cet amour inconditionnel et pur pour ses enfants, cette affection sans trouble et sans mystère des enfants pour leur père.

En même temps, il faut comprendre, parcourir des chemins obscurs, remplacer l'indignation par l'analyse et devenir un explorateur de l'âme d'autrui. C'est sans doute la raison pour laquelle j'ai placé au plus haut les assises dans mon monde judiciaire : elles vous obligent à fuir l'immobilisme de l'esprit pour aller à la rencontre de tout ce qu'une certaine humanité a trouvé pour occuper sa vie, oublier la mort.

Même l'innommable.


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