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Rendre vraiment justice aux enfants-victimes au risque de choquer (519)

Droits des enfants - jprosen, 17/02/2013

Très longtemps, trop longtemps, notre société ne s’est pas souciée particulièrement du sort réservé aux enfants victimes d’infractions spécialement de violences corporelles ou d’agressions sexuelles. Il faut dire qu’elle ne se souciait guère plus des victimes en général. Elle tenait … Continuer la lecture

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Très longtemps, trop longtemps, notre société ne s’est pas souciée particulièrement du sort réservé aux enfants victimes d’infractions spécialement de violences corporelles ou d’agressions sexuelles. Il faut dire qu’elle ne se souciait guère plus des victimes en général.

Elle tenait à réaffirmer régulièrement que la justice relevait d’une fonction régalienne de l’Etat qui ne supportait pas la concurrence privée ! L’auto-défense – qualifiée de légitime défense - était strictement entendue. Non seulement elle se devait d’être proportionnée à l’attaque, mais aussi circonscrite au temps de l’agression. La puissance d’Etat s'est ainsi assise à travers sa capacité à soulager la victime de la recherche de son agresseur et de sa sanction. La police et la justice y pourvoiraient.

Jusqu’à peu – deux ou trois décennies à peine – la place réservée aux victimes, majeures comme mineures dans le procès pénal était finalement fort limitée.Le procureur veillait du haut de son estrade à côte des juges à défendre la veuve et l’orphelin ... et la société. La victime était admise à porter plainte ; le parquet appréciait ensuite l’opportunité de poursuivre après enquête de police. La victime pouvait quand même tenter de forcer la main au parquet récalcitrant en déclenchant des poursuites pénales devant un juge d’instruction ou en citant directement son agresseur à l’audience du tribunal correctionnel.

Lors de l’instruction la victime a certes une place réservée et la possibilité de demander des actes – auditions, confrontations, expertises –, mais souvent elle doit également subir les interpellations du mis en cause et de son conseil : on contestera sa reconnaissance, on la mettra en cause dans les origines des faits, on pourra même l’interpeller sur une passivité qui a pu confiner à un acquiescement. Elle devra elle-même supporter des examens en tous genres, médicaux et psychologiques qui mettront à nu sa personne et sa personnalité. Cette étape peut être longue, très longue. Elle ne sera pas toujours couronnée de succès : un non-lieu total ou partiel peut en résulter. Des recours feront encore durer la procédure. Puis, dans la meilleure des hypothèses, le temps du jugement viendra. Parfois plusieurs années plus tard. A l’inverse, la victime pourra être précipitée dans une salle d’audience quelques heures ou jours après l’agression dans le cadre d’une audience de comparution immédiate sans avoir pu tout simplement voir ses blessures se cautériser, souvent seule faute de temps pour avoir pu préparer son dossier.

L’audience a aussi de quoi dérouter la victime car elle est essentiellement centrée sur la personne poursuivie. La victime pourra même avoir l’impression qu’on parle de quelqu’un d’autre dans le rapport initial  fait par le président. Elle aura certes la parole. Elle sera amenée à parler des faits, mais  elle s’en sentira vite dépossédée par les professionnels de justice. Elle pourra là encore supporter des interpellations, parfois virulentes. Malheur à elle en cas d’hésitations, d’erreurs factuelles ou de fautes de mémoire. Elle sera rapidement mise en contradiction avec elle-même et discréditée. La tâche sera rude si elle n'est pas assistée d’un conseil. Il lui faudra répondre à des questions ardues « Vous constituez-vous partie civile ?  … A combien chiffrez vous votre préjudice ?" Epuisée, elle rejoindra le fond de la salle ou le siège installé à la hâte devant le tribunal comme si elle n’avait pas sa place prévue dans le tribunal appelé à lui rendre justice.

Et l’affaire n'en reste-souvent pas là. La cour d’appel voire la cour de cassation seront saisies. Là encore il lui faudra être patient et supporter que la plaie se rouvre régulièrement.

Difficile pour les victimes en général, ce parcours l’est bien évidemment encore plus pour les femmes et les enfants  - les deux incapables napoléoniens- qui ont en commun qu’on remettra aisément en cause leur parole même si des faits concrèts sont réunis pour l’étayer.

Les violences faites aux femmes et aux enfants ont très longtemps été minorées. N’avançait-on pas encore dans les années 80 qu’une bonne douche effaçait les traces d’un viol ? Les femmes ne provoquent-elles pas l’homme comme l’enfant séduit le pédophile ?

Certes les esprits ont singulièrement évolué et la réponse institutionnelle s’est améliorée. Les victimes sont plus souvent assistées d’un conseil ; des associations  d'aides aux victimes existent, des fonds d'indemnisation ont été lis en place; les policiers ont affiné leurs techniques d’audition, la loi elle-même a été renforcée, diversifiée et durcie.

Spécialement pour les enfants, une prise de conscience s’est opérée. Sur la pression des associations, mais aussi des professionnels - je vise spécialement des policiers comme la capitaine Carole Mariage et le lieutenant Thierry Terraube, mais aussi les gendarmes de la Réunion. Ainsi des techniques d’auditions des enfants victimes ont été mises au point avec notamment l’enregistrement audiovisuel, légalisées après un  sévère combat judiciaire, par la loi Guigou du 17 juin 1998. On a reculé à  20 ans la prescription en la faisant partir de la majorité dela victime. Les affaires tiennent mieux et sortent plus souvent. D’où l’embouteillage des rôles des cours d’assises ou de tribunaux correctionnels. On a même dérogé au droit commun en permettant de poursuivre en France des français ou des étrangers résidant habituellement en France que se livrent à l’étranger à des agressions sexuelles sur des enfants. Des peines sévères, parmi les plus sévères en Europe, sont prononcées contre les agresseurs sexuels d’enfants

Tout cela est récent – 30 ans à peine –, mais le temps est venu de se demander si finalement  on rend vraiment justice aux enfants. Certains en doutent qui n’hésitent pas à parler dans nombre de cas de sur-violence institutionnelle : à la violence initiale infligée par l’agresseur la justice ajouterait sa propre punition.

Il ne s’agit pas tant de revenir sur l’orientation judiciaire prise, dans ce qu’on pourrait qualifier de deuxième étape, d'introduire de la nuance dans l’intervention judiciaire au risque de prendre l’opinion à rebrousse-poils.

Ne nous arrêtons pas sur les limites des améliorations apportées à la procédure pénale quand on a voulu faciliter la route de la victime. D’évidence dans de nombreux endroits on reste loin du compte : la camera ne marche pas ou il manque de personnels spécialisés. On a souvent négligé qu’il ne suffisait pas de s’équiper ; il fallait encore se former et réfléchir plus qu’on ne l’avait fait. Par exemple, si des policiers mettent en panne la caméra, c’est qu’ils ont conscience qu’en filmant la victime ils se filment eux-mêmes dans leurs techniques d’audition quand ils n’ont pas été formés à supporter le regards des autres sur leur pratiques professionnelles. Sans être négligé tout ceci n’est pas l’essentiel. Le temps fera son office.

L’affaire d’Outreau dans ce domaine a causé des ravages en jetant à nouveau la suspicion sur la parole des enfants victimes. Le balancier est reparti dans l’autre sens alors même que dans cette procédure les adultes, les professionnels ont dysfonctionné plus que les enfants ont menti. Policiers, magistrats, avocats, experts, journalistes même ont été mauvais dans la première période de l’affaire quand tous étaient convaincus avoir affaire à la réédition de l’affaire Dutroux. Les négligences ont été majeures par rapport aux termes de loi du 17 juin 1998.  On a mis en cause cette loi quand en vérité les professionnels étaient défaillants.  A preuve l’affaire d’Angers qui, quelques mois plus tard, avec des situations bien plus complexes, n’a pas soulevé le moindre tollé dans sa gestion  judiciaire.

On en oublierait qu’à Outreau des enfants ont été agressés ; les condamnés l’ont reconnu. Les enfants n’ont pas menti : ils ont pour certains été embarqués par la nécessaire loyauté qu’ils croyaient devoir à leurs parents. Les enquêteurs et autres magistrats ont été mauvais dans l’écoute de la parole des enfants.

Reste qu’aujourd’hui encore perdure dans les esprits que la parole des enfants n’est pas fiable ! On se trompe : elle ne l’est pas moins ou pas plus que celle des adultes. Il faut savoir l’entendre et la décrypter avec une écoute critique. Par ses mots, par ses gestes et ses attitudes, par son corps et sa bouche un enfant s’exprime. En tous cas aujourd’hui plus on remet en cause trop souvent la fiabilité de cette parole. Le balancier se restabilisera dans le bon équilibre.

Mais là encore, le plus important est ailleurs qui justifie qu’un débat national s’ouvre. Abordons-le au risque de n’être pas totalement compris et de choquer : les peines sont sévères. Ne sont-elles pas trop sévères pour l’enfant-victime ?

Bien sûr, je l’écrivais ici dans le débat sur l’affaire Polanski, la poursuite pénale et la peine ne sont pas faites pour la victime. Elle peut ne pas porter plainte ou retirer sa plainte,  la puissance publique est en droit de poursuivre dans l’intérêt général pour que justice soit rendue et que le jugement connu prémunisse contre d’autres agressions. Souvent, pas toujours, l’enfant demande seulement à être reconnu comme victime. Tout simplement il ne veut pas porter le poids de l’explosion de la famille quand comme c’est fréquemment le cas on est dans le registre intrafamilial. C’est souvent la double ou la triple peine à la maison avec l’incarcération du père, le placement de l’enfant, la perte du revenu familial. or, on ne le dit pas assez, les risques de récidive s’agissant de violences intrafamiliales sont quasiment inexistants si on y regarde de près. L’enfant victime souhaite que la vie reprenne et autrement. Il sait désormais à qui faire appel si de nouveaux faits se présentaient. Ne pourrait-on pas recourir plus largement à une peine de sursis avec mise à l’épreuve, avec une thérapie familiale et un accompagnement social et éducatif de la famille ?

Deuxième violence, prenons en compte comme je l’ai rappelé, que la procédure est généralement trop longue pour la victime en général et pour l’enfant-victime en particulier. En moyenne, en région parisienne, il faut 3 à 4 ans à compter du dévoilement pour qu’une affaire relevant d'une instruction, criminelle ou non, arrive à l’audience. En moyenne ce qui signifie qu’il n’est pas rare qu’il faille compter 5 ans. Il faut encore compter avec l’instance d’appel. On peut souvent douter de l’apport spécifique de l’instruction quand elle dure des années sur des faits non contestés … et même quand ils sont contestés. Durant tout cette période, pas question de tourner la page. Sans arrêt les faits reviennent à la surface, la plaie se rouvre. Ne pourrait-on pas imaginer qu’au bout de 6 mois d’instruction un point soit fait dans un débat collégial et public sur la clôture de l’instruction – avec ou sans renvoi devant un tribunal - et si nécessaire, qu'un délai soit alloué pour pratiquer des actes bien identifiés ? Cette démarche mériterait d’être expérimentée.

La justice doit concilier la prise en compte des droits de la personne mise en compte, les considérations d’ordre public et la victime. Celle-ci doit avoir le sentiment que justice lui a été rendue : elle a pu dire sa vérité, elle a été entendue, elle est bien, la victime. Elle doit avoir le sentiment qu’une sanction est intervenue qui clôt la procédure, mais surtout ouvre sur l’avenir. Or cet avenir elle le voit souvent  avec une place faire à celui qui l’a agressée  et qui reste quelqu’un d’important à ses yeux – ce peut être son père mais aussi souvent un frère -, pour lequel il a de l'affection malgré et par-delà cette agression.

Pas question bien évidemment de minimiser les violences intrafamiliales, notamment les violences sexuelles, spécialement l’inceste, pas question non plus de nier l’intérêt et même la nécessité d’une intervention judiciaire au nom de sa violence comme certains ont pu l’avancer (1), mais il doit s’agir de prendre réellement en compte la spécificité d’enfant de la victime dans un certain nombre de situations qui le permettent. Là encore l’idée est de faire du sur-mesure dès lorsqu’on a contribué sur quelques décennies à rappeler l’interdit et à le sanctionner.

Au-delà les mots il est temps de rendre réellement justice aux enfants victimes. Un débat public s’impose au risque de choquer l’opinion.

(1)  Hubert Van Gijseghem notamment in JDJ 222, février 2003 in http://www.cairn/revue-journal-du-droit-des-jeunes.htm

PS :  Voir "Les enfants et la justice", Dalloz, février 2013, 306 pages, 3 euros

 


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