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Procès Orsoni : le père, le fils… conversation en cavale

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 28/05/2015

11 mars 2011. Depuis vingt-deux mois, Guy Orsoni est en cavale. Il s’est enfui juste avant d’être interpellé par la police, à Vero, dans le village de son père, qui avait reçu la veille un renseignement l’informant de l’imminence de … Continuer la lecture

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11 mars 2011. Depuis vingt-deux mois, Guy Orsoni est en cavale. Il s’est enfui juste avant d’être interpellé par la police, à Vero, dans le village de son père, qui avait reçu la veille un renseignement l’informant de l’imminence de l’opération policière. Après être resté caché en Corse, puis dans le Sud de la France, il a rejoint l’Espagne, où son père compte quelques relations. Mais le jeune homme – Guy Orsoni est alors âgé de 24 ans – vit mal sa cavale, il se sent profondément seul, redoute à chaque instant d’être identifié. Sa famille, qui veille sur lui, prend des risques pour garder le lien. De passage à Paris, Alain Orsoni utilise la ligne téléphonique de l’appartement de sa fille, dont il ignore qu’elle a été identifiée et placée sur écoute.

Pour lui parler, son fils s’est rendu dans un taxiphone. La conversation tourne, les enquêteurs n’en perdent pas une miette. Ils comprennent qu’une fuite est en cours de préparation, vers le Gabon, où de nombreux Corses sont installés.

L’enregistrement a été diffusé mercredi 27 mai dans la salle de la cour d’assises du palais de justice d’Aix-en-Provence. Dans un procès qui, depuis deux semaines, avance dans l'atmosphère pesante des règlements de comptes – sous-entendus, rétractations de témoins essentiels, absence de parties civiles – ce morceau brut de conversation entre un père et un fils en a dit plus que de longues heures d'audience.

C’est Alain Orsoni, qui parle. Il annonce d’abord à son fils qu’un de ses amis le retrouvera le lendemain sur son lieu de cavale pour lui remettre une somme d’argent, 10 000 euros. Il poursuit :

- Bon, y’a du bon et du moins bon. Le bon, c’est que j’ai, euh, longuement vu Tony. On est tombé d’accord sur plein de choses, vraiment à fond, bien et tout. Il m’a dit : « Pourquoi tu t’emmerdes avec ton fils ? Pourquoi tu le fais pas descendre en bas ? » 

- Où, en bas ?

- Où ils sont eux. Il me l’a proposé.

- Moi, s’ils veulent, je pars demain, hein !

- Bon maintenant, Tony, il faut qu’il voie les autres, mais il m’a dit : « Tu le mets à l’avion, en bas y’a même pas de, y’a pas de douane, pas de police, rien, ils vont le chercher à l’aéroport, il rentre et puis là-bas, y’a personne qui l’extradie parce que s’il y a une demande d’extradition on est prévenu avant et le fait partir et tout ça. »

Je lui ai dit : « Je pense que ça lui plairait parce que là-bas il y a des Corses, c’est quand même plus agréable que d’être dans un trou perdu. » Il m’a dit : « Mi n’occupu, mi n’occupu. » Donc, ça, c’est le bon point.

Alain Orsoni poursuit :

- Le mauvais point… tu es assis ?

- Je suis assis, ouais.

- Tu sais qui a renseigné les condés ?

- Qui ?

- Antoine Nivaggioni !!! [considéré comme un très proche ami d’Alain Orsoni]

- Je le savais, hein, je le savais, mais je voulais pas t’en parler sans preuve. Tu m’apprends rien. J’aurais pu être debout sur les mains, je serais pas tombé.

- Ecoute, moi, je me suis retenu pour pas pleurer, de rage.

- Donc c’est lui qui a donné des infos sur nous ? (…)

- Tout est possible, c’était mon ami depuis trente ans. Et en plus, je vais te dire, il avait de quoi m’envoyer en prison 10 000 ans !

- Oui mais à toi, il t’aimait bien. (…)

- Alors je vais te dire, je vais pas me bouger beaucoup pour le venger, hein ? [Antoine Nivaggioni a été assassiné quelques mois plus tôt] 

- Oui. Le seul problème c’est que ceux qui l’ont tué à lui, maintenant ils veulent nous tuer à nous aussi, c’est surtout ça, soupire Guy Orsoni.

La suite de la conversation porte sur l’arrestation de plusieurs suspects dans le dossier de l’assassinat de Thierry Castola. Guy Orsoni évoque ensuite les menaces qui pèsent sur son père en le suppliant de se montrer prudent, et notamment d’éviter de se montrer au stade d’Ajaccio [Alain Orsoni est alors le président de l’ACA, l’Athlétic Club d’Ajaccio, il vit dans son village de Vero et ne se déplace qu’en voiture blindée].

- J’ai eu ce renseignement, j’ai un ami qui parle avec un mec qui est ami avec un de mes amis dont on ne le sait pas, c’est comme ça qu’on a beaucoup de renseignements…

- D’accord.

- Et le dernier renseignement c’est que… ils étaient à fond sur moi. Bon, ben moi ils me trouvent pas, ce qui est logique, car ils croient encore que je suis en Corse, ils ont dit : « Bon, de toutes manières, on n’arrive pas à le trouver, on le cherche, on va faire le père, ça va lui couper la logistique, il va être obligé de sortir. »

Alain Orsoni rit. Son fils s’agace.

- Moi, ça me fait pas rire !

Son père tente de le rassurer.

- Hé, ils vont pas me faire, je suis à Paris là !

La voix de Guy Orsoni monte soudain dans les aigus, elle est celle d’un fils qui a peur pour son père, qui lui reproche de se mettre en danger en assistant aux matchs de foot.

-  Ils ont dit : « Il touche constamment le stade, on va le faire » !

- Ben, j’irai plus aux prochains match ! Voilà, je n’irai pas au match !

Le père et le fils mettent fin à la conversation en prenant un nouveau rendez-vous téléphonique pour le lendemain vers 18 h 30 - 19 h.

Le 12 mars, à Madrid, Guy Orsoni s’installe dans un taxiphone pour appeler son père. A Paris, Alain Orsoni décroche, l’enregistrement tourne. Le père ignore qu’en vingt-quatre heures, la police a pu localiser le lieu où se trouve son fils grâce à la communication de la veille et que face au risque de fuite, elle a décidé d’intervenir en flagrant délit. Guy informe son père que l’argent n’a pas pu lui être remis par son visiteur.

- Il m’a dit : « C’est bon, mais c’est pas prêt ».

Son père s’inquiète.

- C’est pas bon ou c’est pas prêt ?

- C’est pas prêt mais c’est bon.

- C’est bon mais c’est pas prêt, c’est pas pareil que c’est bon mais c’est pas bon…

Dans le téléphone, soudain, la voix de Guy Orsoni le coupe et souffle :

- Condés ! Condés ! Condés !

On entend « Policia ! ». Fin de l’enregistrement. Guy Orsoni vient d’être arrêté.


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