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Vincent Peillon a dit un gros mot

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/09/2012

Vincent Peillon n'a pas dit un gros mot.

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Nous avons un ministre de l'Education nationale qui prend des risques : il pense et veut agir.

Il est allé jusqu'à affirmer son désir d'instaurer des cours de morale laïque du CP à la terminale.

Il a osé préciser son projet de la manière suivante. Il concernerait "la connaissance des règles de la société, du droit, du fonctionnement de la démocratie, mais aussi toutes les questions que l'on se pose sur le sens de l'existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne... La République doit enseigner sa vision de ce que sont les vertus et les vices, le bien et le mal, le juste et l'injuste".

Je sais bien ce qu'un esprit conservateur, avec sa manière de ne pas souhaiter rendre complexe ce qui est simple et choquant ce qui est naturel, a de limité mais je n'imaginais pas un seul instant, même dans notre modernité si singulière, que de tels propos susciteraient au mieux l'étonnement, au pire l'hostilité. C'était sans compter sur l'infinie puissance des coupeurs de morale en quatre !

De tous côtés des assauts ont été menés, politiques, médiatiques, philosophiques. Vincent Peillon s'était aventuré sur un terrain qu'il ne convient plus de fouler aujourd'hui car son appréhension pourrait laisser croire à une volonté quasiment passéiste, en tout cas à une indifférence à l'égard de ce mouvement qui prétend trouver sa vérité dans le seul fil du temps. Ce qui est présent est forcément légitime et tenter seulement de sauvegarder quelques pépites du passé relève d'un comportement réactionnaire.
Ainsi, en dépit de l'élégance intellectuelle dont Vincent Peillon a fait preuve à l'égard de son prédécesseur en le créditant de quelque mérite, Luc Chatel n'avait pas hésité auparavant (JDD) à dénoncer "l'effarante interview de Peillon: redressement intellectuel et moral, mot pour mot l'appel du maréchal Pétain le 25 juin 1940" (France Inter).

Cette charge est à la fois une honte et une bêtise.

Depuis que Luc Chatel, contre son ralliement à Jean-François Copé, a obtenu un poste clé auprès de ce dernier, il a aussi pris par contagion le sectarisme et l'outrance consubstantiels à sa nouvelle fonction. La référence au maréchal Pétain est toujours très rentable dans le combat politique : on croit disqualifier l'autre au nom d'une histoire sombre quand on se ridiculise soi-même.

D'autant plus qu'il faudrait cesser une bonne fois pour toutes de considérer que le vocabulaire et le langage indivis se gangrènent quand certains mots ont évidemment déjà été employés par Vichy. Bientôt seul le silence sera admissible pour ne pas être à tout moment taxé de "pétainiste". Le comble est que la droite d'aujourd'hui amplifie cette exploitation éhontée d'un passé déshonorant (Le Parisien, Le Monde).

Sur le plan médiatique -c'était prévisible tant les journalistes, de quelque bord qu'ils soient, sont toujours les premiers à présenter comme fatale et presque nécessaire une évolution pourtant regrettable de la société et des institutions qui la structurent -, l'enthousiasme ni même une simple adhésion n'ont été offerts à Vincent Peillon. De la condescendance négative à l'information sèche, nulle ouverture ni soutien explicite à cette avancée voulue par le ministre. Comme s'il y avait, pour tous les médias, une répugnance à valider un discours d'apparence régressive. Hors de question malheureusement d'en défendre les fondements valables tant la pensée conventionnelle et mécanique frappe fort et domine l'information !

Il est vrai qu'elle est sensiblement facilitée par les arguties philosophiques, clairement dilatoires, qui viennent brouiller le message ministériel pourtant limpide et acceptable.

Cette morale laïque que Vincent Peillon a si bien définie serait malaisée à enseigner parce qu'elle serait peu distincte d'une approche religieuse et que philosophiquement elle confondrait le juste et le bien. Plus gravement, la proposition du ministre relèverait "d'un projet autoritaire, totalement inadapté" (Libération). Que le laïque et le religieux, sur les principes élémentaires de la vie en société, se rejoignent parfois, notamment au sein d'une éthique à double face, quoi de plus incontestable mais qui n'altère en rien le caractère positif d'un enseignement de cette morale laïque dans sa définition civile ? Pour la philosophie, sans prétendre porter atteinte à ce qui éclaire la condition humaine et tient à une place privilégiée, on trouvera toujours des philosophes pour critiquer ce que la politique et l'action doivent avoir d'opératoire.

Un écueil et une chance, enfin.

Vincent Peillon est évidemment conscient du fait que la morale laïque, du CP à la terminale, n'aura de sens que si on n'encaserne pas les devoirs et les droits, le bien et le mal dans cette sphère particulière de l'école. On ne les enferme pas pour les oublier ailleurs. On les rappelle d'abord là où ils doivent être connus et appris. Pour l'avenir et l'âge adulte.

Cette morale, aussi brillamment et consciencieusement enseignée qu'elle soit, tournerait au désastre si la société toute entière et notamment dans son incarnation étatique n'était pas elle-même attentive à l'exemplarité et à la rectitude aussi bien personnelles que publiques. Qu'on se moque de la normalité du président de la République, tant qu'on voudra. Il n'empêche que le salut vertueux et le code de bonne conduite humaine ne seront légitimés en bas que s'ils sont respectés absolument en haut. La moindre distorsion, le plus petit hiatus entre l'élitisme et le pouvoir défaillants et la multitude comblée de leçons susciteront une déception démocratique, une chute éthique.

Vincent Peillon n'a pas dit un gros mot.


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