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La notion de déséquilibre significatif dans les relations commerciales : panel de décisions

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Claire Bonfante, 3/12/2013

La loi de modernisation de l’économie n°2008-776 du 4 août 2008 (LME) a introduit au sein du code de commerce la notion de déséquilibre significatif entre partenaires commerciaux. En vertu des dispositions de l’article L. 442-6-I 2° du code de commerce, il est donc interdit de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », à peine d’être sanctionné par une amende civile pouvant atteindre deux millions d’euros à la demande du ministère public ou du ministre chargé de l’Economie.
Les contours de cette notion ont été peu à peu délimités par la jurisprudence.
Les pratiques suivantes, souvent imposées aux fournisseurs par leurs distributeurs dans les accords commerciaux annuels, ont donc été sanctionnées sur le fondement du déséquilibre significatif.

Tribunal de commerce de Lille, 6 janvier 2010/CASTORAMA (RG n° 2009-05184) :

 *le paiement de ristournes sous forme d’acomptes mensuels par virement bancaire, sans prévoir une clause permettant de modifier en cours d’année le montant des acomptes au regard du chiffre d’affaires réellement atteint.

Le tribunal a estimé que ces versements d’acomptes mensuels étaient constitutifs d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties car, outre l’application de pénalités conséquentes à la charge exclusive des fournisseurs, cette pratique induisait une dégradation de leur trésorerie et renforçait la dépendance des fournisseurs à l’égard des distributeurs.

Tribunal de commerce de Lille du 7 septembre 2011/EURAUCHAN (RG n° 2009/05105) :

 *l’interdiction de toute hausse des tarifs du fournisseur durant l’année contractuelle, tout en prévoyant une répercussion obligatoire et immédiate de toute baisse du prix des matières premières dans les tarifs du fournisseur, sous peine de dénonciation de la convention ;

 *l’application de pénalités souvent conséquentes du fait d’un retard de livraison du fournisseur sans sanctionner de la même manière les défaillances du distributeur, impliquant ainsi un défaut de réciprocité et de contrepartie au détriment du fournisseur ;

 *la non négociation du taux de service (proche de 100%) et l’application de pénalités conséquentes dans l’hypothèse où le taux ne serait pas atteint par le fournisseur ;

 *l’application imposée des conditions générales d’achat du distributeur et l’exclusion des conditions générales de vente du fournisseur, lesquelles représentent pourtant le socle de la négociation commerciale.

Le tribunal a précisé que cette pratique avait pour objet et pour effet d’imposer « de gré ou de force, une convention unique type et pré-rédigée et laiss[ait] peu de place à une négociation formalisée avec son partenaire en dehors du « plan tarifaire » c'est-à-dire de la partie strictement tarifaire ; que cette solution contractuelle entraîn[ait] ainsi une forte responsabilité en cas de clauses abusives ou déséquilibrées en sa faveur »

La société EURAUCHAN a été condamnée à une amende civile de 1.000.000 €.

Tribunal de commerce de Meaux du 6 décembre 2011/PROVERA (RG n° 2009/02295) :

 *la possibilité pour le distributeur de résilier unilatéralement le contrat, sans préavis, ni indemnités, en cas de sous performance dans la commercialisation du produit contractuel.

Selon le tribunal un tel défaut de performance ne peut être érigé en clause résolutoire alors même qu’il est directement lié à l’activité du distributeur lui-même, et notamment aux conditions dans lesquelles ce dernier présente les produits à la vente. Il s’agirait donc d’une clause potestative.

 *le paiement des services de coopération commerciale par acompte : cette pratique permet ainsi au distributeur de percevoir une partie du prix de prestations non encore réalisées, ou réalisées en partie seulement ; il s’agit donc d’un paiement sans contrepartie qui favorise la trésorerie du distributeur au détriment de celle du fournisseur.

Tribunal de commerce de Créteil, 13 décembre 2011/LECLERC et SYSTEME U (RG n° 2009F01017 et n° 2009F01018)

Dans deux décisions du 13 décembre 2011, le tribunal de commerce de Créteil a jugé irrecevable l’action du Ministre de l’Economie des Finances et de l’Industrie et l’a donc débouté de ses demandes, à défaut d’avoir pu apporter la preuve que l’ensemble des fournisseurs concernés par l’action en avaient été dûment informés.

Il convient, à ce titre, de rappeler que, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a reconnu la conformité de l’action du Ministre de l’Economie, telle que prévue par le code de commerce, sous réserve que le Ministre informe les parties au contrat de l’introduction de son action.

Le tribunal ne s’est donc pas prononcé sur le fond mais ces deux décisions apportent des précisions sur les clauses des accords commerciaux susceptibles d’être relevées par le Ministre de l’Economie et faire l’objet d’une action judiciaire.

 *exclusion des conditions générales de vente du fournisseur au profit des conditions générales d’achat du distributeur ;
 *absence de réciprocité dans les délais de paiement ;
 *application de pénalités disproportionnées à la charge exclusive du fournisseur ;
 *prise en charge par le fournisseur des coûts inhérents à la destruction par les consommateurs des produits et/ou de leurs emballages.

Cour d’appel de Paris, 18 septembre 2013/GALEC (RG n° 12/03177)

La société coopérative groupement d’achat des centres Leclerc (GALEC) a été condamnée à payer une amende civile de deux millions d’euros, pour avoir demandé à 21 de ses fournisseurs la restitution des sommes qu’elle-même avait été condamnée à leur verser par décision judiciaire (arrêt de la cour d’appel de Versailles du 29 octobre 2009).

Le GALEC avait, en effet, été condamnée à restituer des sommes indument perçues à ses fournisseurs. Cette restitution devait être effectuée via le Trésor Public, l’action judiciaire ayant été introduite par le Ministre de l’Economie. Or, le GALEC a fait pression sur ces fournisseurs pour qu’ils renoncent à percevoir ces sommes, allant jusqu’à leur adresser une lettre de renonciation pré-rédigée.

La cour d’appel a estimé que cette pratique constituait une tentative de soumettre ses fournisseurs à un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations à l’égard du GALEC.

Cour de cassation, 10 septembre 2013/ CARREFOUR (RG n° 12-21.804)

 *Facturation de services de coopération commerciale fictifs :

Le 22 mai 2008, le Ministre de l’Economie avait assigné la SAS CARREFOUR hypermarchés devant le tribunal de commerce d’Evry, lui reprochant d’avoir conclu avec seize fournisseurs, des « contrats de partenariat dont les clauses de rémunération étaient manifestement disproportionnées au regard de la valeur des services effectivement rendus ».

Le 2 février 2012, la cour d’appel de Paris avait prononcé la nullité des clauses fixant la rémunération des services litigieux et ordonné le reversement aux seize fournisseurs concernés des sommes illégalement perçues.

La Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel et la société CARREFOUR a été condamnée au versement d’une amende civile de deux millions d’euros.

Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2013/EURAUCHAN (RG n° 11/17941)

 *le fournisseur devait respecter un préavis minimum et justifier toute hausse éventuelle de son tarif ; dans l’hypothèse d’une baisse des coûts, EURAUCHAN pouvait dénoncer la convention, unilatéralement et à tout moment, si le fournisseur ne diminuait pas ses tarifs.

 *application d’un taux de service minimum de 98,5% soumis à un système de pénalités important (10% du CA HT manquant pouvant aller jusqu’à 20% en cas de promotion) sans que cette clause n’ait fait l’objet de véritables négociations.

La Cour d’appel a donc confirmé le jugement du 7 septembre 2011 (cf. ci-dessus) et EURAUCHAN a été condamnée à payer une amende civile d’un million d’euros.


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