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Le procureur peut-il rester perché ?

Actualités du droit - Gilles Devers, 5/06/2012

Chacun connaît l’image de la justice : une belle femme impassible et...

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Chacun connaît l’image de la justice : une belle femme impassible et les deux plateaux de la balance… et chacun connait l’architecture intérieure de la justice : on retrouve la belle femme impassible, présidant la salle d’audience, mais les deux plateaux ne sont plus alignés, car le procureur se trouve dans une position surélevée par rapport au prévenu.

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Et alors me direz-vous ? Où est le problème ?

Le procureur est un magistrat qui représente l’intérêt général, et c’est bien la moindre des choses que cette fonction d’autorité s’exerce depuis une tribune. Cette élévation est donc liée à l’article 31 du Code de procédure pénale : « Le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi.

Certes. Mais cette autorité, le temps de l’audience, devient une partie au procès, et toute la procédure doit respecter le principe de « l’égalité des armes ». Ce principe, un peu guerrier, est jurisprudentiel,  mais très pratiqué par la Cour de Cassation et la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le principe a été posé dès 1959 (Szwabowicz c. Suède, 30 juin 1959) : « Le droit à un procès équitable implique que toute partie à une action civile et a fortiori à une action pénale, doit avoir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse ».

Pour le Conseil constitutionnel (n° 89-260 du 28 juillet 1989),  le principe du respect des droits de la défense « implique, notamment en manière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ». La loi a embrayé, et nous a donné l’article préliminaire du Code de procédure pénale, issu de la loi du 15 juin 2000 : «  La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Alors, un procès à l’architecture intérieure ?

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L'affaire Dirioz (CEDH, 31 mai 2012)

Une affaire jugée ce 31 mai 2012 par la CEDH (Dirioz c. Turquie, n° 38560/04) permet de faire le point sur la question de la surélévation du procureur par rapport à l’autre parie en procès, la personne jugée. Voici les thèses des deux parties, que je vous livre telles que, car les argumentaires sont bien posés et c’est tout-à-fait applicable aux pratiques françaises.

Le justiciable

« 21. Le requérant se plaint d’une atteinte au principe d’égalité des armes dans la mesure où le procureur avait pris place sur une estrade surélevée alors que lui-même et son avocat étaient placés, comme c’est la règle, en contrebas dans la salle d’audience. Il expose par ailleurs que le procureur entre en même temps que les juges dans la salle d’audience, par la même porte, alors que l’avocat utilise l’accès public.

Le gouvernement turc

« 22. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant. Il estime que l’emplacement du procureur dans la salle d’audience relève plus du pur formalisme et ne touche aucunement à l’essence des devoirs et responsabilités des procureurs. Il cite des pays membres du Conseil de l’Europe où le siège du procureur serait surélevé par rapport à la défense.

« 23. Le Gouvernement précise que dans les tribunaux turcs, le siège des juges est éloigné de celui du procureur. Il explique que le plan du siège des juges et procureurs relève d’une pratique établie dans le droit procédural turc, qui tient compte du fait que les deux corps de métier suivent la même formation, que leurs membres passent les mêmes concours avant d’exercer et que la transition entre les deux corps est possible. Selon le Gouvernement, en d’autres termes, un procureur de la République pourrait devenir juge pendant sa carrière et vice versa. Le Gouvernement estime que l’idée principale réside en ce que le procureur doit respecter aussi bien les intérêts de la défense que les droits de la victime, dans la mesure où il représente l’intérêt public. Il rappelle par ailleurs que le procureur recueille des preuves non seulement à la charge de l’accusé mais aussi à sa décharge. Partant, le Gouvernement soutient que l’emplacement du procureur, plus élevé que celui de la défense et de la victime mais éloigné des juges, a un sens symbolique ».

Réponse de la CEDH

« 25. La Cour rappelle avoir estimé, dans de précédentes décisions, que la circonstance dénoncée ne suffisait pas à mettre en cause l’égalité des armes, dans la mesure où, si elle donnait au procureur une position « physique » privilégiée dans la salle d’audience, elle ne plaçait pas l’accusé dans une situation de désavantage concret pour la défense de ses intérêts (Chalmont c. France, no 72531/01, CEDH, 9 décembre 2003 ; Carballo et Pinero c. Portugal (déc.), no 31237/09, 21 juin 2011).

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Le parquet est sauvé : il peut rester perché, mais…

Attention, je ne lâche pas l’affaire si facilement. La Cour européenne ne statue pas sur l’excellence : elle sanctionne les violations du droit. Lisez bien la formule utilisée : « La circonstance dénoncée ne suffisait pas à mettre en cause l’égalité des armes ». Ne suffit pas… Donc, il y a bien un petit quelque chose à raboter… c’est une situation que l’on pratique déjà dans nombre d’audiences à huis clos qui se tiennent non dans un bureau ou une bibliothèque et tout le monde est assis autour de la table. La justice n’en souffre pas, bien au contraire.

Et puis tant qu’à faire quelques travaux, il faudra prévoir aussi que l’avocat et son client puissent s’assoir côte à côte, chacun avec une table pour pouvoir travailler correctement, avec un prise électrique pour brancher l’ordi, et une bonne connexion internet. Merci.

Alors, ma chère Christiane, je te propose donc cette idée pour engager la très attendue réforme du Parquet, à annoncer sans langue de bois : le gouvernement doit missionner des menuisiers pour s’occuper du Parquet.   

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Là, tu commences à me parler...


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