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Procès Orsoni : scènes ordinaires de la vie (judiciaire) corse

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 15/05/2015

En ouvrant l'audience, vendredi 15 mai, le président Patrick Vogt annonce qu'il est "toujours sans nouvelles" d'un témoin qui est attendu ce jour à la barre de la cour d'assises pour déposer au procès Orsoni. Le témoin est une femme, … Continuer la lecture

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En ouvrant l'audience, vendredi 15 mai, le président Patrick Vogt annonce qu'il est "toujours sans nouvelles" d'un témoin qui est attendu ce jour à la barre de la cour d'assises pour déposer au procès Orsoni. Le témoin est une femme, Anita F., qui, jusqu'au 3 janvier 2009, vivait tranquillement dans le village de Bastelicaccia (Corse-du-Sud). A 20 heures ce soir-là, elle promène seule son chien dans la rue. Elle entend deux détonations. Thierry Castola, 36 ans, qui sort au même moment du café voisin, Chez Jo, est atteint d'une balle de calibre 7,92 dans le thorax ; il meurt quelques dizaines de minutes plus tard. Cet assassinat est l'un des deux reprochés à Guy Orsoni et à plusieurs de ses co-accusés qui comparaissent devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence.

Entendue par les enquêteurs, Anita F. dit qu'elle n'a rien vu. Précautionneux, ces derniers placent la dame sur écoute et l'entendent raconter à des proches beaucoup plus de choses qu'elle ne leur en avait confié. Elle dit notamment que juste après les détonations, elle a aperçu quatre hommes en treillis, capuches rabattues sur le visage, sortir rapidement du taillis qui fait face au bar et s'engouffrer dans une voiture. Elle dit encore que par crainte, elle a aussitôt baissé la tête, qu'elle a ensuite été dépassée par cette voiture et que l'un des hommes assis à l'arrière, "âgé d'une trentaine d'années, brun et les cheveux courts, s'est retourné pour la regarder". 

Reconvoquée chez les enquêteurs, Anita F. ne peut que confirmer ce qu'elle a imprudemment confié au téléphone. Sa présence à la barre des témoins était donc hautement souhaitée par l'accusation. "Nous allons encore la rechercher, mais il semblerait que cette dame, qui est allée vivre à La Réunion, a voulu mettre de la distance avec toute cette histoire", souligne d'un air faussement anodin le président Vogt.

On passe donc aux autres témoins. Le président indique qu'il va lire les dépositions de deux d'entre eux : "On ne les entendra pas, car depuis, ils ont été assassinés." Au fil de sa lecture, il cite le nom d'un troisième, "assassiné" aussi, dit-il. Alain Orsoni, le père de Guy, qui écoute les débats avec une attention scrupuleuse, intervient : "Non, il était dans un parking où il y avait un engin explosif", nuance-t-il. "Bon, disons qu'il n'est pas mort d'une mauvaise grippe", relève le président.

Heureusement, il en reste quelques autres. Il y a d'abord ceux qui, ce soir là, étaient attablés chez Jo, avec Thierry Castola, pour leur partie quotidienne de belote. Des hommes entre trente et quarante ans. Le rituel est immuable. Il y a une bouteille d'Orezza ou de Zilia sur la table et celui qui perd paie sa tournée. La partie se termine entre 19 h 30 et 20 heures, jamais plus tard, car ils sont au moins deux, dont Thierry Castola, qui est séparé de son épouse, à vivre chez leur mère qui n'aime pas attendre pour dîner.

A 20 heures, ce 3 janvier, les joueurs sortent en file indienne, Thierry Castola est le deuxième. Ils entendent une terrible détonation. Ils croient que que c'est "une bombe agricole", disent-ils – une bombe à base d'engrais utilisée dans les manifestations ou dans les stades. Thierry Castola a juste le temps de faire marche arrière et de rentrer en courant dans le bar avant de s'effondrer. Tous assurent que la victime était un "garçon gentil, tranquille", qu'il ne portait "ni arme, ni gilet pare-balles".  Pour le reste, ils n'ont rien vu.

- Pourquoi a-t-il été tué, selon vous ?, demande le président

- Aucune idée. 

- Vous n'y avez pas réfléchi depuis six ans ?

- Non. 

Voilà maintenant une voisine aux cheveux noir corbeau qui est appelée à la barre et n'a pas l'air content du tout de se retrouver là. Elle garde son sac sur l'épaule, pressée de repartir. Devant les gendarmes, elle a beaucoup bavardé. Elle a notamment remarqué qu"une personne étrangère au village ne pouvait pas connaître" ce bout de terrain vague entouré de taillis qui fait face au bistrot et dans lequel s'étaient dissimulés le ou les tueurs. Or, parmi les accusés, il s'en trouve un, Jean-Baptiste Ottavi, qui est du village, justement.

La dame se récrie : "C'est les gendarmes qui ont écrit ça !" 

Le président lit la suite de sa déposition dans laquelle elle parle de son chat "qui s'est aplati". Elle conteste à nouveau. "Oh, il n'y a pourtant rien de compromettant là-dedans", soupire le président. La dame se retire vite, vite, de la salle d'audience.

Entre le "meilleur ami" de la victime. Enfin, c'est ainsi que le président le présente. Le témoin corrige aussitôt. "Disons plutôt un copain de bar." Patrick Vogt feint de s'étonner, indique qu'ils étaient inséparables, qu'ils venaient de passer le réveillon ensemble, se téléphonaient tout le temps, s'invitaient mutuellement. Le témoin reste très flou, reconnaît seulement qu'avec Thierry Castola, ils partageaient le goût de la chasse aux pigeons, dont ils revenaient ce jour-là. Il se souvient précisément que "Thierry en a eu quatre." Pour le reste, il ne sait rien non plus.

Le président relève que Thierry Castola était en arrêt maladie depuis un an. "Visiblement, ça ne l'empêchait pas de chasser", observe-t-il.

- La maladie n'empêche pas de chasser, bien au contraire, dit le témoin.

- Mouais. Il était quand même en arrêt pour une double fracture du tibia et du péroné...

- Bah !

La liste des témoins du jour est close. Patrick Vogt se tourne vers le banc des parties civiles où a pris place depuis le début du procès une très belle femme aux longs cheveux bruns bouclés. Dans cette affaire où deux hommes ont été assassinés et où un troisième, Francis Castola, le frère de Thierry, a réchappé d'une tentative d'assassinat, elle est la seule à faire face aux accusés.

Shalimar était l'épouse de Thierry Castola, qu'elle avait rencontré dans son pays, le Nicaragua, où il était venu travailler avec son père qui gérait là-bas des établissements de jeux. Ils s'étaient ensuite installés en Corse, où leur fils est né. Il est âgé de dix ans aujourd'hui. Elle raconte que son couple a commencé à vaciller après l'assassinat du parrain de leur enfant, Paul Giacomoni, en 2006, un an après celui de son beau-père Francis Castola. "Là, c'était trop. J'ai demandé à Thierry de repartir au Nicaragua, il n'a pas voulu, il m'a dit qu'il ne pouvait pas abandonner son frère", raconte-t-elle. Elle dit encore qu'à l'enterrement de Paul Giacomoni, l'épouse de celui-ci s'était approchée d'eux et leur avait elle aussi conseillé de partir. "Elle a dit à Thierry qu'il était le prochain sur la liste." Elle raconte cela d'un air apparemment tranquille, sous les regards des onze accusés. Elle est aujourd'hui remariée.

- Vous êtes restée en Corse ?, lui demande le président.

- Oui.

- Avec inquiétude ?

- Non.

Poursuite des débats lundi 18 mai.


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