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Le droit, un obstacle pour le Datamining ?

Paralipomènes - Michèle Battisti, 29/05/2014

Les opportunités offertes par le Text et  le Datamining (TDM) réalisés tous deux aujourd’hui à grande échelle seraient-elles freinées par des considérations juridiques en Europe ?  Ces usages doivent-ils relever d’une exception au droit d’auteur ou faire l’objet de négociations contractuelles avec ceux qui disposent des

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Hamlet avec le crâne de Yorick,Les opportunités offertes par le Text et  le Datamining (TDM) réalisés tous deux aujourd’hui à grande échelle seraient-elles freinées par des considérations juridiques en Europe ?  Ces usages doivent-ils relever d’une exception au droit d’auteur ou faire l’objet de négociations contractuelles avec ceux qui disposent des droits sur les œuvres et les données ?

Les journées de l’Abes ont été l’occasion de faire le point sur la question à l’heure où la Commission européenne a ouvert une consultation pour réviser la directive européenne sur le droit d’auteur datant de 2001 et après l’échec des discussions entamées  par un groupe de travail sur le Dataming créé dans le cadre de l’initiative « Licences for Europe » qui préconisait le seul contrat comme solution à ces questions.

Dans une brève présentation de la question (20 minutes), j’ai souhaité rappeler que :

  • le TDM était un enjeu économique, comme l’indique un rapport européen récent établissant une comparaison entre l’Europe entre les États-Unis, pays où, même si d’autres facteurs expliquent un « retard » européen, le Fair Use (usage loyal) donne des marges de manœuvres plus larges que le droit d’auteur européen ;
  • qu’il s’agit donc d’un enjeu politique, mettant en jeu l’intérêt général, donc un enjeu juridique pour l’encadrer en organisant un équilibre entre les intérêts des ayants droit et ceux de la société.

En matière de droit d’auteur, on soulignera :

  • qu’il était important que tous les usages nécessaires aux opérations d’ « analyse des données » (copie, extraction, communication) soient expressément mentionnés, sous peine d’insécurité juridique, d’où la nécessité d’être précis dans la définition donnée du TDM (le terme d’exploration seul n’étant pas suffisamment explicite) ;
  • que le terme «  données », au sens de la directive européenne protégeant les bases de données, couvre aussi les œuvres.

Il convenait de rappeler à grands traits ce qui permet à des œuvres mais aussi à des bases de données d’être protégées par le droit d’auteur et quelles sont les conditions permettant à un producteur de base de données de s’opposer à une extraction (mining) et à une réutilisation de la base qu’il a constituée et mise à jour.

Exception ou contrat ? Telle est la question

Ne peut-on pas faire valoir des exceptions au droit d’auteur en matière de TDM ? On se rend compte alors que  « la copie technique, provisoire et accessoire, n’ayant aucune signification économique », peut très difficilement être alléguée. Il en est de même de l’exception accordée aux citations et même de l’exception au bénéfice de l’enseignement et de la recherche tel qu’elle a été conçue dans la directive européenne sur le droit d’auteur et dans le droit protégeant les bases de données. Et la transposition en droit français de cette exception donne encore moins de (voire aucune) marge de manœuvre.

Puisque les exceptions au droit ne couvrent pas les usages, pourquoi ne pas négocier des contrats avec des producteurs de bases de données et d’œuvres ?

Contrat ? Exception ? Chaque système a ses points faibles et ses points forts (listés dans ma présentation). Mais si on analyse, avec Liber, le contrat tel qu’il avait été proposé par Elsevier, on constate que l’on se heurte alors à bien des difficultés (que j’ai résumées dans un tableau).

Il convient aussi de ne pas oublier la question des données personnelle et le Règlement européen, proche d’être adopté à présent, dont l’article 83 risque de créer des obstacles aux usages à des fins d’information, historiques, statistiques et scientifiques. Ne serait-il pas opportun effectivement de se focaliser uniquement sur la communication des résultats et non sur la collecte ?

Des rapports récents sur la question

Deux rapports européens remis à la Commission européenne en mars 2014, l’un à la Direction Recherche & Innovation, l’autre à la Direction Marché intérieur, préconisent tous les deux de créer une exception au droit d’auteur. Obligatoire dans les deux rapports, elle s’imposera à tous les États de l’Union européenne. Voilà qui mettra fin à des distorsions entre pays complexes à gérer.

  • Le rapport  du groupe de travail chapeauté par Ian Hargreaves où le volet économique occupe la même place que le volet juridique, envisage (pragmatique ?) 3 étapes. Il s’agit tout d’abord faciliter la contractualisation, puis de créer une exception au droit d’auteur. Ian Hargreaves étant britannique, ceci explique peut-être que cette exception soit mâtinée de fair dealing.  Et pour que ce l’usage soit appréhendé de manière vraiment « équitable », il conviendrait aussi de changer à terme (3e étape) la norme, soit  de revisiter, à l’instar du groupe de Munich, ce « fameux » test des trois étapes, imposé par l’OMPI pour qu’une exception soit admise. Dissocier ainsi la protection des contenus en tant que tels (contrôlés par les ayants droit) des exploitations fondées sur leur valeur informative (utilisés plus librement), voilà aussi une piste intéressante [1].

L’exception préconisée dans les deux cas pour favoriser le TDM sont proches mais s’opposent sur un point, selon moi, essentiel : l’exception ne doit-elle s’appliquer qu’à des usages non directement ou indirectement commerciaux ?

  • Oui, dans le rapport de Jean-Paul Triaille, même s’il reconnait des difficultés à appréhender l’usage non commercial dans certains cas (partenariats, subventions, …). Il  incomberait aux juges de trancher lorsque les zones sont grises.
  • Non, dans le rapport de Ian Hargreaves, précisément en raison de ces difficultés. On ne serait pas loin de l’usage transformatif autorisé, si certains critères sont respectés, par le Fair Use américain. 

La Commission européenne va proposer prochainement une révision de la directive européenne sur le droit d’auteur, voire une modification de la directive sur la protection des bases de données, afin de  les adapter à un nouvel environnement. Elles seront discutées au Parlement européen et au Conseil européen des ministres.

A suivre attentivement, donc …

Quelques précisions
  • En droit d’auteur, tout nouveau mode d’exploitation représente un droit à négocier sauf … si l’usage représente une exception au droit d’auteur (dont la liste actuelle en France figure à l’article L 122-5 du CPI).
  • Intérêt général : ne pas faire obstacle à des usages qui ne profitent ni au producteur ni au consommateur. Il convient donc de veiller à ce qu’il n’y ait pas de préjudice commercial direct ou indirect  aux ayants droits (si les résultats se substituent à l’œuvre, par exemple, soit, si la connaissance extraite diffusée permet d’éviter de s’abonner aux revues).

Ill. Hamlet avec le crâne de Yorick,  Henry Courtney Selous (1803-1890). Wikipédia

Références des documents utilisés pour cette présentation

Rapports

Communiqués

  •  Liber. Text and Data Mining : its importance and the need for change in Europe.
  • Savoirscom1. Extraction automatisée des données et des textes. Savoirscom1 s’engage pour une exception.
  • Couperin-ADBU. CSPLA. Mission relative au data mining (exploration de données) : l’analyse de Couperin et de l’ADBU.
  • Developments in Publishers’ Text and Data Mining (TDM) Policy. Sparc, 3 février 2014
  • LIBER response to Elsevier’s text and data mining policy, 28 mars 2014. Liber

Articles

Sur Paralipomènes

  • Quels droits pour faire du text et du damining, Paralipomènes, 15 avril 2013
  • Le datamining, prochaine exception au droit d’auteur ? Paralipomènes, 28 novembre 2011
  • Une exploration juridique du datamining,, Paralipomènes, 28 juin 2011

[1] Déjà présenté dans son interview par Cédric Manara. Voir :  Le droit de l’information : paradoxes et ouvertures, Cédric Manara, Documentaliste-Sciences de l’information, n°3, 2012

 


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