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Deux victimes de trop à Nice !

Justice au singulier - philippe.bilger, 13/09/2013

A Nice, cette si belle ville, nous n'aurons pas, je l'espère, après le malheur, l'injustice.

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L'un des deux malfaiteurs ayant commis un vol à main armée dans une bijouterie du centre-ville de Nice - le présumé braqueur, comme les médias obéissants l'ont appelé ! - est mort.

Âgé d'une vingtaine d'années, il se prénommait Antony et apparemment avait été condamné à plusieurs reprises par le tribunal pour enfants et le tribunal correctionnel. Pour son père, il avait "un visage d'ange" (nouvelobs.com).

S'enfuyant sur un scooter avec son complice ou co-auteur - le procureur de Nice arbitrera -, il a été atteint dans le dos par le bijoutier, qui a tiré avec un pistolet automatique.

On a interpellé un jeune homme qui pourrait être celui ayant participé au crime (Le Figaro).

Le commerçant, âgé de 67 ans et inconnu des services de police, a été placé en garde à vue pour homicide volontaire, qualification révisable. Cette mesure a été renouvelée de 24 heures.

L'émotion est vive à Nice, non seulement auprès de ses collègues et de sa famille mais bien au-delà, à cause de la tragédie dont la légitime défense, qu'il invoque, a été l'instrument, et du climat d'insécurité qui révolte les citoyens confrontés à des agressions multiples et de plus en plus graves. Dans les sept premiers mois de cette année, 81 vols à main armée ont été commis dans les Alpes-Maritimes.

La décence impose que d'abord, avant toute joute intellectuelle, on prenne la mesure de ce drame en s'inclinant devant une dépouille, quelles qu'aient été les circonstances de sa disparition.

Pour une fois, avant que la police et la justice poursuivent, avec complémentarité, leur mission et en déterminent les éléments décisifs, nous disposons tout de même d'informations suffisamment fiables pour débattre surtout de la légitime défense que naturellement le bijoutier revendique. Sur ce plan, France 2, dans son journal de 20 heures, a consacré un reportage honnête et équilibré à cette affaire et Le Parisien, sous la signature de Matthias Galante, n'est pas en reste pour exposer ce qui semble bien être la réalité au moins matérielle du processus criminel.

A l'intérieur de la bijouterie, le commerçant est menacé par les deux individus avec un fusil à pompe, il est frappé à coups de poing et de pied puis contraint d'ouvrir son coffre. Un malfaiteur emplit de bijoux un sac qu'ils avaient apporté.

Puis ils prennent la fuite sur un scooter.

Le bijoutier, du seuil de sa porte, fait feu à trois reprises en direction du scooter et une balle blesse le passager qui décède rapidement. Le conducteur, après avoir tenté en vain de le prendre en charge, poursuit sa route et disparaît.

Le commerçant, déjà victime, une année avant, d'une attaque de son magasin "à la disqueuse", a indiqué d'emblée que sa volonté était d'entraver la fuite des malfaiteurs pour qu'ils soient interpellés.

Selon son fils, il a visé les roues arrière du scooter et la future victime a alors pointé une arme vers lui. D'où la possibilité d'une riposte l'ayant atteinte plus haut, dans le dos. Il est évident que des vérifications sont opérées pour être au plus juste de la réalité technique des événements.

Avant qu'on prétende apposer la grille abstraite et rigide du droit sur un processus d'impulsivité, d'angoisse et de violence, il est essentiel, aussi, de faire appel à l'équité et à la raison qui ne devraient pas être forcément les contraires de l'application sereine de la loi. On sait évidemment que l'exaspération à elle seule n'est pas un motif qui justifie la légitimité de la défense mais comment en chambre décréter l'exigence d'une proportionnalité quand la fureur du terrain la rend inconcevable ?

Je devine et crains, pourtant, le byzantinisme pointilleux avec lequel on évoquera le tir dans le dos du malfaiteur. J'espère qu'on n'aboutira pas à de telles extrémités défiant le bon sens et qu'on acceptera de créditer ce commerçant effondré de la présomption irréfutable qu'engagé dans ce processus violent et dangereux contre son gré, il n'a évidemment pas voulu le pire, survenu dans des conditions qui devraient l'exonérer. Il serait paradoxal que la rectitude juridique et la lucidité judiciaire n'aient jamais pour effet que d'accabler l'innocent parce qu'un coupable est malheureusement décédé. Des suites d'une réaction que le crime et le civisme parfois suscitent. Antony "tiré comme un lapin" selon sa famille ou victime par sa faute ?

Qu'on ne vienne pas soutenir qu'il faudrait en l'occurrence faire le procès de l'autodéfense comme si qui que ce soit la validait dans le cours tranquille et normal d'une société. Comme si elle n'intervenait pas seulement dans des situations désespérées, d'urgence et de peur. C'est le vol à main armée qui tente certains. Se défendre est une exigence dont on se passerait. Le risque du Far West dépend seulement de l'inertie de l'Etat et d'un ordre public médiocrement sauvegardé.

Je persiste donc. Deux victimes à Nice.

Je n'irai pas jusqu'à imputer directement au laxisme magnifié l'augmentation indéniable de la délinquance et de la criminalité. A force de s'entendre dire que la société est coupable, les malfaiteurs vont se sentir innocents.

Ce qui est sûr en revanche est qu'indirectement, un certain climat diffus, émollient, une politique pénale plus soucieuse de vider les prisons que d'affronter la dure nécessité d'avoir à les remplir, un discours facilement généreux et prêt à toutes les imprudences sur le dos des citoyens ne peuvent qu'avoir une influence fâcheuse sur le tissu social et les comportements transgressifs. La rigueur peut échouer mais au moins elle ne lâche pas la bride.

Comment, d'ailleurs, la gauche pourrait-elle refuser la validité de ce lien entre le pouvoir et la société civile, entre la faiblesse du premier et certains dévoiements de la seconde, entre son idéologie qui la freine et le réel qui devrait la pousser ?

Mon approche est-elle si peu partagée qu'on pourrait le penser ?

Une contradiction, un double langage viennent à mon secours. Le débat sur le projet de Christiane Taubira n'aura pas lieu avant les municipales. Je constate donc que notre président socialiste, par politique, a conforté le garde des Sceaux mais que, conscient de la catastrophe à venir, il préfère retarder, pour le peuple français, l'épreuve d'avoir à affronter celle-ci (Le Monde).

A Nice, cette si belle ville, nous n'aurons pas, je l'espère, après le malheur, l'injustice.


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