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Guerre contre le terrorisme... ou agitation dans le brouillard ?

Actualités du droit - Gilles Devers, 3/12/2015

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Le blog reproduit un excellent reportage d’Ophélie Gobine, publié ce 2 décembre sur Rue89 Strasbourg. Il s’agit d’un abus caractérisé de l’état d’urgence, pour cette perquisition décidée sur ordre du Parquet : décision prise sans analyse sérieuse, disproportion dans les moyens, atteintes graves aux droits des personnes – avec l’hospitalisation d’un homme âgé de 80 ans –et au final la mise en lumière d’un consternant amateurisme. Vraiment pas au niveau…

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Quelques mots de commentaire (Comme en terre)

Le texte d’Orphélie Gobine est précis, circonstancié, documenté… La première impression est la violence que permet de dégager, en toute tranquillité, l’état d’urgence. Mais on passe vite à d’autres choses, plus graves encore.

L’arbitraire de l’état d’urgence

Le constat est la disparition de la garantie des droits. Loin de la vision bisounours des droits de l’homme distillée par des juristes béats en culottes courtes, la réalité – que constatent les avocats qui déposent des requêtes – est que l’état d’urgence place dans l’arbitraire, c’est-à-dire l’absence de recours effectif devant un juge.

Regardons cette affaire. Devant cette situation concrète, que peut faire cette personne, non dans les délicieux contes juridiques, mais dans la réalité vécue ? Rien d’efficace, rien de rien.

La perquisition a été nulle, c’est-à-dire qu’il n’a pas été trouvé le moindre indice permettant de justifier une mesure de police administrative… Je rappelle que cette police préventive retient des éléments quasi intuitifs, que la police judiciaire ne prendrait jamais en compte. Donc :

- il n’y a pas de griefs, car aucune poursuite judiciaire n’est engagée ;

- mais il n’y a même pas l’amorce de l’annonce de quoi que ce soit car malgré l’espace que permet l’état d’urgence, aucune mesure n’a été prise.

Donc, notre papy est innocent de chez innocent.

Et là commence le paradoxe : comme aucune mesure n’est prise,… il n’y a pas de griefs et l’essentiel des recours tombent. Impossible de contester ce qui n’existe pas !

Dans cette spirale sécuritaire onaniste, on va bientôt arriver à la garde-à-vue de prévention : sans aucune enquête ni renseignement, tu te retrouves placé en garde à vue, et tu fais l’objet d’un interrogatoire systématisé sur tous les aspects de ta vie privée et professionnelle. Et comme on ne te trouve rien, le ministère de l’intérieur te délivre un brevet de bon citoyen, valable pour un mois avant ta prochaine garde-à-vue préventive. Après tout c’est logique : si tu n’as rien à te reprocher, pourquoi crains-tu de te trouver perquisitionné et en garde-à-vue ?

En synthèse « les pieds sur terre »

1/ La perquisition est nulle et aucune mesure n’a été prise, aussi la personne ne peut pas saisir un juge… pour contester ce qui n’existe pas.

2/ La perquisition a pris fin, de telle sorte que toutes les procédures efficaces, à savoir les procédures de référé, sont out : il n’y a aucune urgence à statuer, car la perquisition est finie et il n’y a pas de griefs,… alors merci de suivre la procédure normale, et on en reparle dans deux ans.

3/ Dans ce cadre, cet homme, âgé de 80 ans, peut – en droit – contester le principe de la perquisition, mais le procès sera très difficile. Il faudra faire juger que la décision de recourir à la perquisition n’était pas simplement erronée, mais qu’elle était encore fautive et abusive, ce alors que :

- le gouvernement et le parlement plastronnent avec ces chiffres de perquisitions et en font un élément-clé de leur politique ;

-  la légalisation de l’état d’urgence permet ces perquisitions de prévention ;

- la personne intéressée ne peut pas invoquer la protection de la Convention européenne des droits de l’homme, le gouvernement ayant retiré cette protection.

Alors, parlons du réel : quels sont les moyens effectifs pour faire juger que cette perquisition est abusive, alors qu’elle s’inscrit exactement dans les objectifs de la loi sur l’état d’urgence, et que cette loi ne peut être contestée au regard du droit européen, l’application de la Convention européenne ayant été suspendue ?

4/ Admettons que, dans deux ans, un tribunal reconnaisse la responsabilité de l’État, ce qui est plus qu’improbable. L’État ferait appel, et nous reprendrions deux ans de plus, ce qui amène notre papy a 84 ans.

5/ Admettons que la Cour administrative d’appel confirme la responsabilité de l’Etat, que serait-il accordé à la victime ?

- les réparations dans l’appartement, et merci d’avoir vécu quatre ans dans le chantier,

- une somme, très faible, pour le choc psychologique : pour quatre à l’hôpital, un tribunal ne donnera pas plus de 200 €.

Ainsi, puisque nous parlons de la vraie vie, tout conduit cette famille, fracassée par les événements – et qui a demandé l’anonymat pour parler – à tourner la page, pour reprendre la vie des gens raisonnables.

La fébrilité du service public

C’est sans doute le plus préoccupant. Le pays a été confronté à des événements graves, et depuis trois semaines, les services multiplient les informations et les renseignements. Or cette affaire montre l’inefficacité totale de ce travail. La justice et la police ont agi dans l’amateurisme le plus absolu. Rien d’autre à dire que c’est absolument consternant, et que ça fait flipper.

libertés,juge

*   *   *

L’article d’Ophélie Gobine

Samedi 21 novembre, vers 16h, le RAID, la police judiciaire et la Brigade de recherches et d’intervention (BRI) investissent la maison d’un homme de 80 ans et de sa fille, âgée de 46 ans, déficiente mentale, dans le quartier de la Montagne Verte à Strasbourg. Ils cherchent des armes et de la drogue.

Perquisition à la Montagne Verte samedi

Lorsque l’octogénaire entend les détonations faisant exploser sa porte, il se lève brusquement et s’évanouit : il revenait tout juste d’un séjour à l’hôpital pour un problème rénal et une infection pulmonaire. Mis debout par les forces de l’ordre, il est finalement menotté au sol avec sa fille. Tous deux sont ensuite confinés dans une pièce du logement, tandis que la perquisition se poursuit.

Après cinq jours d’hospitalisation, l’homme de 80 ans reste très choqué et ne comprend toujours pas la violence de la perquisition. Les cagoules des fonctionnaires de police, les armes, le bruit et les dégradations de son appartement, l’ont fortement marqué. Diligentées par le parquet de Strasbourg, les opérations anti-terroristes menées ce jour-là ciblaient des personnes « déjà connues des services de police » et visaient également à « trouver des armes ».

Au final, pas d’interpellations, ni drogues, ni armes. Restent des dégâts matériels très importants, l’appartement fraîchement rénové a été rendu inhabitable, et un choc psychologique difficilement réparable. Les membres de la famille (*) acceptent l’état d’urgence en France mais ne comprennent pas pourquoi ils ont été traités comme des terroristes, sur de simples soupçons.

Le bicarbonate de sodium pris pour de la drogue

Car l’origine de cette perquisition musclée remonte au contrôle de deux frères de cette famille à la douane tunisienne. De retour de vacances deux jours après les attentats de Paris, ils sont fouillés : une fiole de bicarbonate de sodium attire l’attention. Contrôlés une nouvelle fois en Italie, ils sont stoppés à la frontière suisse puis finalement autorisés à rentrer en France.

Seulement le plus jeune des deux frères, en instance de divorce, doit retourner en Suisse, rendre visite à sa fille qui vit à Bâle avec sa mère. Accompagné de son frère et d’un ami, ils repassent la frontière et sont arrêtés. Des traces de poudre en provenance de la fiole de bicarbonate sont retrouvées dans les rangements de la porte de la voiture. L’aîné de la fratrie raconte : « Les douaniers ont pris le bicarbonate de sodium pour de la drogue alors que mon frère l’utilise pour des problèmes d’estomac. Ils ont été arrêtés au faciès. Mon frère et son ami portent la barbe, mon autre frère non. Mais dans le contexte actuel… Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. »

Car l’un des deux frères à bord du véhicule pratique un islam inspiré du salafisme, un choix religieux que son père et le reste de sa famille ne partage pas, mais respectent.

« Laissez-mon père tranquille »

Interrogés la journée et la nuit du vendredi, ils donnent l’adresse de leur père à Strasbourg. Ils sont relâchés le lendemain matin. Entre-temps, les autorités suisses préviennent le parquet de Strasbourg qui diligente la perquisition le samedi après-midi. Le frère aîné raconte :

« Les policiers posaient des questions à ma sœur : « qui a dormi ici ? », « où sont cachées les armes ? », etc. Ils lui ont même fait signer le procès-verbal alors qu’en raison de son handicap, ça aurait dû être à son tuteur de le faire. Elle a quand même engueulé les fonctionnaires de police qui étaient là en leur disant de laisser notre père tranquille et qu’il était malade.

Le domicile voisin d’un autre de mes frères a aussi été perquisitionné. Mais à ce moment-là, seule sa femme et ses trois enfants étaient présents. Elle s’est mise à la fenêtre pour prévenir les forces de l’ordre qu’il y avait trois enfants. Son visage était visé par des lasers rouges… »

Interrogée par France 3 Alsace, une autre sœur de la famille regrette le « manque de discernement au moment de la perquisition » : « J’ai un frère salafiste mais nous avons tous grandi à l’école de la République et nous avons pris des chemins différents. J’ai un frère qui est batteur dans un groupe de blues à Strasbourg et je travaille dans l’industrie pharmaceutique… Nous sommes une famille musulmane française typique. Cette opération a été une gigantesque erreur et on se trompe radicalement en nous traitant tous de terroristes. »

Au commissariat de Strasbourg : « Revenez demain »

En revenant de Suisse dans la soirée de samedi, les deux autres frères se présentent au commissariat de Strasbourg : « nous sommes là, prenez-nous », disent-ils aux policiers. Leur frère aîné raconte la suite : « On leur a répondu « Écoutez il est tard, revenez demain ». Voilà. Ils y sont retournés le lendemain, on n’a pas voulu les recevoir. L’un de mes frères, le barbu, a forcé le passage pour voir un des chefs qui leur a simplement dit qu’ils seraient bientôt convoqués. »

Reste un sentiment d’incompréhension et de gâchis car les dégâts matériels causés lors de la perquisition pourront difficilement être remboursés par l’assurance de la famille : état d’urgence oblige. Quant aux deux frères, ils attendent toujours leur convocation.

D’après la préfecture du Bas-Rhin, 35 perquisitions administratives ont été effectuées dans le département depuis le début de l’état d’urgence.

À l’échelle nationale, les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, datés du 30 novembre, font état de 2000 perquisitions administratives, 529 garde à vue (dont 317 concernant les manifestants du 29 novembre) et 300 assignations à résidence (dont 24 pour des militants écologistes).

(*) Aucun prénoms, ni noms ne sont révélés, à la demande de la famille, qui souhaite préserver sa tranquillité.

 

 


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