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Pourvou qu'ça doure !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/05/2017

Entre l'exaltation non critique et la détestation unilatérale, dans les premiers temps a-t-on le droit de se dire seulement : "Pourvou qu'ça doure" ? Pourvu que ça doure !

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Cétait ce qu'exprimait la mère de Napoléon face au fulgurant et trop beau destin de son fils.

Ce n'est que le début, d'accord, d'accord, si je suivais la chanson de Francis Cabrel.

J'ai bien conscience de la fragilité et de la fraîcheur de ces instants graves et dignes qui depuis le 14 mai nous "clouent" devant notre télévision. Une solennité non empesée dont nous avions la nostalgie.

Il y a quelque chose d'étrange et de nouveau sous le ciel démocratique français.

Comme une stupéfaction civique d'avoir su collectivement franchir le pas si considérable d'élire un président qui n'a même pas encore quarante ans. Et peut-être demain d'accorder au pouvoir une majorité confortable en ne cédant pas à cette tentation française d'avoir deux fers au feu : celui du l'Elysée et celui du Parlement. C'est un état qui entre indifférence et absence de liesse populaire relève d'une sorte d'étonnement admiratif comme si on n'osait pas encore y croire tout à fait mais qu'on espérait pour une fois ne pas être déçu.

Il est clair, pour reprendre l'expression de Philippe Labro, que ce président "a tout simplement la grâce" et qu'il a beaucoup réfléchi sur les quinquennats précédents. En faisant preuve d'une capacité inouïe pour rectifier le tir, tirant les leçons du soir du premier tour, sachant placer son épouse dans la lumière quand l'officiel l'exigeait et dans la discrétion lorsque le pouvoir était seul concerné.

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La passation du pouvoir, le 14 mai, a été remarquable et à l'évidence, outre les gestes politiques, la démarche d'Emmanuel Macron a fait surgir une esthétique, une allure dont on sentait en creux, dans leur caractère appliqué et méthodique, qu'elles représentaient la volonté de nous faire passer dans une nouvelle ère pour l'apparence de l'Etat et de celui qui en a la charge. Nous ne serions pas obligés de nous féliciter de ce qui en République devrait être la normalité si nous n'avions pas connu et enduré, dans la forme, avec Nicolas Sarkozy, un quinquennat vulgaire et, avec François Hollande, un quinquennat bavard et trop louis-philippard pour ce qu'il prétendait avoir de majesté.

Ce n'est pas rien que cette métamorphose qui, pour se rapporter à la superficialité, a déjà frappé un grand nombre d'esprits. La manière professionnelle et nette dont le Secrétaire Général de l'Elysée effectue les annonces n'est pas non plus sans incidence sur cette impression des premiers jours : un quinquennat élégant est en marche.

Ce sans-faute ne serait qu'éclat, façade et ornement si, dans le registre politique, le citoyen que je suis - je ne voudrais embarquer personne dans ma subjectivité et mes intuitions - ne percevait aussi un bouleversement qui n'est pas que la conséquence du "dégagisme" dont le président Macron a bénéficié mais une réflexion sur ce dernier et donc l'élaboration de pratiques inédites.

Je ne suis pas naïf et mesure ce qu'il y a de tactique dans la configuration de ce paysage faussement chaotique, vraiment porteur d'avenir, qui sait ? La droite classique, orthodoxe, est gênée avec ce Premier ministre qui peut déranger mais qui est plausible dans le rôle de dynamiteur soft que lui a confié le président de la République. Elle a forcément mauvaise conscience et le tour de force est de la contraindre à mettre en question et sans doute à récuser son sectarisme rassurant d'avant. Je l'excuse cependant quand elle est saisie face à la migration de Bruno Le Maire et de Gérald Darmanin qui ont l'honneur d'une mission capitale mais en subiront les effets s'ils l'assument mal.

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Quant à la gauche socialiste ou ce qu'il en reste, elle est laminée et dépend trop des bonnes grâces - pas toujours compréhensibles - du pouvoir à l'approche des législatives pour constituer une alternative crédible. Emmanuel Macron est juste assez de gauche pour lui avoir pris l'essentiel de ce qui la structurait positivement.

Le Front national s'en remettra mais il a été profondément affaibli par la fin calamiteuse de la campagne présidentielle. Le retrait de Marion Maréchal-Le Pen et la certitude de son retour (Valeurs actuelles) ont fragilisé encore davantage les tenants du statu quo.

Dans un parti où le culte du chef est primordial, ne plus pouvoir le célébrer, le culte comme le chef, est dramatique. Le déclin se poursuivra, surtout si la politique, comme le président en a manifesté l'ambition, parvient à réduire les causes fondamentales de l'adhésion populaire au FN. A l'égard de son électorat, il convient de passer du temps du mépris à celui de la résistance - la considération pour cette France oubliée, aigrie, frustrée à force de se croire rejetée, est fondamentale mais elle mérite que sa destinée ne soit plus exploitée mais apaisée. Pas seulement avec des mots mais grâce à des actions concrètes.

Jean-Luc Mélenchon n'est pas loin de réaliser son rêve. Faire des "Insoumis" la seule force d'opposition vigoureuse et radicale au Pouvoir. Aussi talentueux qu'il soit et tentante pour les extrémistes la vision qu'il propose, une fois passé le cap de Marseille s'il le passe, le succès d'Emmanuel Macron sera de nature, s'il survient, à rendre ses cris et sa rage toujours nécessaires en démocratie mais de moins en moins audibles.

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La composition du gouvernement est non seulement habile mais cohérente. Certes il y a plus de quinze ministres mais ce n'est pas un reniement gravissime à trois présences près (BFMTV). Compte, en revanche, ce mélange de "poids lourds politiques" et de personnalités ayant été incontestables dans leur vie professionnelle et respectées pour leur expertise. Leur présence ne relève pas du gadget ni d'un "coup" mais d'un dessein mûri et réalisé sur une large échelle. Cette nouveauté me semble plus importante que la parité scrupuleusement respectée. Auront-elles sur leur administration l'autorité qui convient ? Il n'y aucune raison de présumer que leur caractère et leur savoir ne sauront pas relever ce défi.

En plaisantant à peine, les citoyens éprouvent enfin cette délicieuse modestie qui les conduit à admettre qu'ils n'auraient pas pu être ministres à leur place et à les créditer d'une supériorité technique ou politique. Un sentiment auquel depuis des années on n'était plus habitué.

Enfin les reproches qu'on entend sur le caractère politicien, flou, ambigu de ces débuts présidentiels et gouvernementaux - le 17 mai, un auditeur le déplorait sur Sud Radio - me paraissent injustes. Car ce qui se déroule est la traduction éclatante de ce qui a été proclamé par Emmanuel Macron et est le coeur de son projet : le dépassement de la droite et de la gauche ou leur union dans une même entreprise. Quand du nouveau et du surprenant se produisent, ils échappent à la suspicion de la routine partisane puisqu'ils ont été annoncés. Le flou alors n'est plus du flou mais de la transparence.

Entre l'exaltation non critique et la détestation unilatérale, dans les premiers temps a-t-on le droit de se dire seulement : "Pourvou qu'ça doure" ?

Pourvou qu'ça doure !


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