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Quand deux papys commanditent un « contrat » à un gendarme infiltré

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 21/11/2014

Le président Eric Gillet prend son temps, cette affaire lui plaît et on n’a pas tous les jours des prévenus aussi modèles dans une audience de comparution immédiate au tribunal d’Evry. C’est simple, Serge Dumas, 67 ans, et André Brunier, … Continuer la lecture

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Des gendarmes à Ganzeville, en septembre. / AFP PHOTO/CHARLY TRIBALLEAU.

Des gendarmes à Ganzeville, en septembre. / AFP PHOTO/CHARLY TRIBALLEAU.

Le président Eric Gillet prend son temps, cette affaire lui plaît et on n’a pas tous les jours des prévenus aussi modèles dans une audience de comparution immédiate au tribunal d’Evry. C’est simple, Serge Dumas, 67 ans, et André Brunier, 70 ans, reconnaissent tout. Oui, c’est vrai, ce patron de brasserie de Vert-le-Grand, village de deux mille habitants dans l’Essonne, et cet ancien chef d’entreprise dans l’éclairage d’art ont payé 3 000 euros – 1 500 chacun – pour un « contrat » destiné à « casser les jambes » de Gérard Broncy, devenu leur bête noire depuis qu’il a piqué sa femme au premier et son entreprise au second.

« Mettre une balle dans la tête »

Les deux commanditaires ignoraient seulement que l’homme qu’ils avaient chargé de les venger, un certain Gino, était un gendarme infiltré. Et voilà comment ils se retrouvent devant le tribunal, jeudi 20 novembre, sous l’accusation d’association de malfaiteurs.

L’histoire a commencé le 1er août par un inquiétant procès-verbal de gendarmerie : « Sommes informés que Serge Dumas préparerait le double assassinat de son ex-épouse et du nouveau mari de celle-ci. » Le renseignement suscite un branle-bas de combat dans la maréchaussée, qui demande au procureur de la République d’Evry d’autoriser une « opération d’infiltration » pour confondre les redoutables commanditaires.

A la mi-septembre, Gino fait connaissance avec Serge Dumas dans sa brasserie. Un air de Jean Lefebvre fatigué, des épaules tombantes comme un sapin et beaucoup de chagrin. Entre cuisine et plonge, il lui raconte ses malheurs et ceux d’André Brunier, lui confirme leur volonté initiale de faire « mettre une balle dans la tête » de Gérard Broncy, puis leur résolution d’en rabattre sur leurs ambitions vu le prix – 12 000 euros – demandé par un premier candidat au contrat. Gino en accepte 3 000 pour les jambes seulement, marché conclu. Serge Dumas informe son ami André de l’avancée du projet. Ils ont mis au point un code, ils parlent « chantier » et « devis de ravalement », comme dans les films qu’ils regardent à la télé.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais la gendarmerie tient sa grande affaire. Gino revient à quatre reprises pour mettre au point les modalités, jusqu’au jour où il apporte comme convenu à Serge Dumas la preuve de son forfait – des photos du vrai Gérard Broncy, qui, à la demande de la gendarmerie, s’est prêté à la mise en scène, jambes ensanglantées par un maquilleur professionnel – en échange du paiement. Quelques heures plus tard, les deux hommes sont interpellés. Quand il comprend, Serge Dumas s’effondre en larmes.

Le président leur parle doucement, surtout à Serge Dumas, qui tend vers lui un visage de noyé : « Vous êtes certainement un homme bien. Vous avez travaillé toute votre vie depuis que vous avez 14 ans. Vous n’avez aucun antécédent judiciaire. Je voudrais comprendre. » Il évoque le départ de sa femme après trente ans de mariage, le divorce aux torts de l’épouse, la procédure qui les oppose sur la brasserie, dont elle veut récupérer sa part.

« J’ai tout perdu et lui [Gérard Broncy], il est derrière tout ça, murmure Serge Dumas, en jetant des regards furtifs vers son rival. Il veut que j’aie plus rien et que je sois sur la paille.

Ce que vous ressentiez pour lui, c’était de la haine ?

– Oui. »

Le président se tourne vers André Brunier. Même question. Même réponse. « J’avais une belle entreprise, il en était le gérant, quand j’ai voulu arrêter, il m’a dit qu’il me la rachetait. Et ça fait huit ans maintenant que je suis en procédure de partout contre lui. J’ai gagné tous mes procès, il a été condamné à me payer 210 000 euros, mais j’ai jamais touché un sou. Alors oui, j’ai de la haine pour lui. »

Vous êtes des hommes mûrs. Comment peut-on passer comme ça de la haine à un projet criminel ?

– On s’est monté le bourrichon, dit Serge Dumas.

Votre dessein, c’était quoi ?

Qu’il ne puisse plus travailler et qu’il arrête de gagner de l’argent, c’est tout, répond André Brunier.

Qu’il soit infirme ? insiste le président.

Oh, j’avais pas tant d’idées que ça. Mais éventuellement qu’il ait les jambes cassées.

– Mais si le projet était allé au bout, qu’auriez-vous pensé ?

– Ben, j’en sais rien. Mais je suis content que ça ait tourné comme ça finalement », poursuit l’ancien chef d’entreprise.

Les deux prévenus ne sont pas plus contrariants à l’égard de la procédure qui les accuse et qui repose sur les seules déclarations de Gino, le gendarme infiltré, resté anonyme pour la justice, ce que dénoncent leurs deux avocats, Mes Jacques Bourdais et Pascale Poussin. « Est-ce vrai que vous lui avez dit que si vous aviez eu plus d’argent, vous l’auriez fait éliminer ? demande le président Gillet.

Oui.

Est-ce que vous mesurez la caractère aberrant de cette histoire ?

- Oui. » Serge Dumas s’excuse et pleure doucement. André Brunier soupire : « On a été idiots. Mais c’est fait, c’est fait. »

Le tribunal a condamné Serge Dumas à trente mois d’emprisonnement, dont six ferme, et André Brunier à vingt-quatre mois, dont quatre ferme, et a prononcé leur maintien en détention. Les deux hommes doivent en outre verser 1 000 euros de dommages et intérêts chacun à Gérard Broncy.

 

 

 

 

 

 


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