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Liberté d'informer, liberté de tuer...

Justice au singulier - philippe.bilger, 5/11/2013

L'assassinat de ces deux héros ne rend pas indigne une telle interrogation. Au contraire, voir disparaître affreusement des personnalités respectées et regrettées par tous contraint à cet examen de conscience et de vigilance : la liberté d'informer, soit, mais que pèse-t-elle en face de la liberté de tuer ?

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Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux journalistes de Radio France Internationale (RFI), ont été assassinés dans le nord du Mali par un groupe d'hommes armés qui venaient de les enlever (Le Monde).

L'une, avant d'être tuée, leur a proposé de l'argent, l'autre a tenté de résister.

Mais deux balles dans une tête, trois balles dans l'autre.

La corporation des journalistes indignée, effondrée, RFI sous le choc de cette tragique double disparition, Nicolas Champeaux que j'ai connu tout petit pleurant à la télévision, les ministres concernés mobilisés, réactivité extraordinaire pour identifier et arrêter les tueurs, hommages multiples et justifiés, célébration du droit d'informer quoi qu'il en coûte, solidarité éclatante et immédiate pour manifester qu'on suivra le même chemin et que rien ne parviendra à faire reculer ceux dont la vocation, la mission est de prendre tous les risques pour que leur pays et le monde sachent, que les zones d'ombre soient dissipées...

Il y a une grandeur, un honneur dans ce métier de l'extrême.

Mais sans même supposer une quelconque imprudence, une folle témérité de ces deux professionnels dont on nous a dit au contraire qu'ils étaient expérimentés et réfléchis, ne conviendrait-il pas de s'interroger sur les désastres humains prévisibles quand la belle exigence du droit d'informer se heurte à la bêtise criminelle du droit de tuer, quand la liberté de dévoiler et de communiquer n'est même pas appréhendée mais sur-le-champ abolie par la liberté ignare d'assassiner...

Il me semble que notre ministre des Affaires étrangères résume bien l'évolution qui s'est produite quand il évoque des journalistes longtemps protégés puis, de nos jours, devenus des cibles. Cela ne doit pas conduire ces derniers à une frilosité que leur conscience et leur compétence n'accepteraient pas mais au moins à intégrer la menace qui pèse sur eux, surtout dans des régions où le désordre et la violence laissent prévoir le pire - un pire pas une seconde arrêté par des règles élémentaires de sauvegarde des médias. Mais constituant les journalistes comme un gibier ordinaire, peut-être même encore plus recherché tant l'effet de leur mort est retentissant.

Est-il iconoclaste, en dépit de la révérence démocratique pour le droit d'informer, de se demander si celui-ci est vraiment un devoir d'une intensité égale partout ? Les journalistes ne vont-ils pas être incités, quoi qu'ils en aient, à se soumettre à un principe de précaution qui sera apprécié par le rapport lucidement analysé entre l'intérêt de l'information et le danger encouru ? Au regard du nord du Mali et avec la dissidence Touareg éclatée en groupes imprévisibles, entre, d'un côté, la volonté de "couvrir" cette partie échappant au contrôle du pouvoir central malien et des forces françaises et, de l'autre, le risque évidemment perceptible même pour des comportements trempés, où était la justesse et la vérité de la démarche professionnelle ?

L'assassinat de ces deux héros ne rend pas indigne une telle interrogation. Au contraire, voir disparaître affreusement des personnalités respectées et regrettées par tous contraint à cet examen de conscience et de vigilance : la liberté d'informer, soit, mais que pèse-t-elle en face de la liberté de tuer ?


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