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Juste avant d’avoir la tête tranchée

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/04/2015

C’est un art tout particulier que celui de Bruno Fuligni. De chacune de ses plongées dans les archives - celles de l’Assemblée nationale, de la préfecture de police de Paris ou des services secrets - il rapporte une pêche miraculeuse. … Continuer la lecture

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RaccourcisC’est un art tout particulier que celui de Bruno Fuligni. De chacune de ses plongées dans les archives - celles de l’Assemblée nationale, de la préfecture de police de Paris ou des services secrets - il rapporte une pêche miraculeuse. Une fois les trésors amassés dans ses filets, il polit, trie, enquête, approfondit et assemble le tout dans des livres qui sont autant d’écrins.

La dernière livraison de l’auteur se présente sous une couverture couleur acier, coupée en biseau, comme la lame d’une guillotine.

Raccourcis est le recueil des dernières paroles « stupéfiantes et véridiques » prononcées par les condamnés à mort juste avant d’avoir la tête tranchée. Il s’ouvre sur une passionnante préface dans laquelle l’auteur, haut fonctionnaire à l’Assemblée nationale, présente le père du « rasoir national », Joseph-Ignace Guillotin et le rétablit dans une biographie bien plus riche que celle à laquelle son encombrante postérité l’a réduit - on n’ose écrire raccourci.

Médecin, fils d’avocat, petit-fils de juge, élu député en 1789, Guillotin fut d’abord l’un des fondateurs du Grand Orient de France, l’inventeur de la pétition nationale et celui de l’hémicycle parlementaire - dont il imposa la forme en souvenir de l’amphithéâtre de ses années d’étudiant en médecine - avant de mettre son redoutable sens pratique au service de la justice criminelle. Dans les derniers mois de 1789, alors que l’Assemblée vote la loi qui prévoit les cas où la peine de mort sera prononcée, le député Guillotin se préoccupe de l’applicabilité de son article 1er : « Le criminel sera décapité. Il le sera par l’effet d’un simple mécanisme ».

Ce « simple mécanisme », Guillotin le résume d’une formule saisissante: « La mécanique tombe comme la foudre; la tête vole: le sang jaillit; l’homme n’est plus .»

Guillotin meurt en 1814, après avoir sollicité la Légion d’honneur pour les bons et loyaux services qu’il ne doute pas d’avoir rendus à la société. «  Ma conscience me dit que dans ma vie privée, dans ma carrière civile et politique, j’ai toujours tout fait pour l’honneur et pour le plaisir de bien faire. »

La guillotine lui survivra sous dix-sept constitutions. En « hypothèse basse », note Bruno Fuligni, on évalue à cinquante mille le nombre de guillotinés. Beaucoup ont parlé avant d’avoir la tête tranchée. Au procureur venu les réveiller le jour dit, aux gardiens, à l’aumônier, au bourreau ou à ses aides. Bruno Fuligni consigne ces ultimes cris de vie. S’y expriment la terreur, l’indifférence, la gouaille, la foi, les regrets, l’insolence, la conviction, les cris d’innocence, le courage ou la fierté.

Marie-Antoinette, après avoir marché sur le pied du bourreau: « Monsieur, je vous demande excuse, je ne l’ai pas fait exprès »; le marquis de Charost, lisant au fond de la charrette qui le conduit à l’échafaud et cornant la page de son livre avant d’en descendre et de lancer au bourreau Sanson: « Au revoir monsieur, et bonne continuation! ». Pierre-François Lacenaire, escroc et assassin, apprenant son exécution un lundi: « Voilà une semaine qui commence mal »; Landru demandant au coiffeur de lui faire "une coupe à la mode" pour "plaire une dernière fois à ces dames" et refusant la cigarette et le verre de rhum: « C’est mauvais pour la santé »; Paul Valence, matricide, déclinant lui aussi l'offre de rhum: "Non merci, quand je suis ivre, je ne sais plus ce que je fais"; Lagriffe, braqueur et assassin: « Adieu Fifine, mort aux vaches »; Antoine Martin, fratricide, acceptant poliment les derniers sacrements: « Si ça peut faire plaisir au curé »; Marcel Grandoux, voleur et assassin, levant les yeux vers la guillotine: « Comme elle est petite! » Marcel Petiot, au procureur qui le réveille: « Ta gueule! - Vous n’avez pas de déclaration à faire? - Je viens de la faire!  »; Christian Ranucci à ses avocats: « Réhabilitez-moi ».

Et l’on referme le livre en pensant à toutes ces têtes tombées en silence, dans l’effroi du petit matin, jusqu’à ce beau jour de septembre 1981 où le garde des sceaux Robert Badinter, rendant hommage à l’Assemblée qui s’apprête à voter l’abolition de la peine de mort, lance aux députés: « Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. »

Raccourcis. Dernières paroles stupéfiantes et véridiques devant la guillotine de Bruno Fuligni. Editions Prisma. 190 pages. 13,95€


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