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La réutilisation des informations publiques soumise à un nouvel aléa juridictionnel

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Virginie Delannoy, 6/03/2015

Voilà un arrêt inattendu tant il vient à contre-courant d’un mouvement général en faveur de la réutilisation des informations publiques. CAA Bordeaux, 26 février 2015 .
Rendu sur conclusions contraires du rapporteur public, il vient confirmer, tout en en restreignant la portée, un jugement du tribunal administratif de Poitiers pour le moins singulier, puisque contrairement au texte clair de l’article 10 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (la « Loi de 1978 »), il excluait du champ de la réutilisation des informations publiques tous les fichiers numériques sur lesquels l’administration détiendrait le droit de propriété intellectuelle du producteur de base de données ( art. L. 341-1: du code de la propriété intellectuelle).

Le débat, ouvert par la société de généalogie en ligne NotreFamille.com, portait, à supposer qu’il détienne un tel droit, sur la légalité de la restriction que pouvait permettre le droit particulier de producteur de base de données d’un département sur les fichiers numériques de ses archives, au droit général de réutilisation des informations publiques établi par la Loi de 1978, pour légitimer une règlementation y faisant directement obstacle.

Ainsi que l’a affirmé la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 4 juillet 2012 (Kpratique « L’open data innerve sans restriction les archives publiques ») reconnaissant l’existence de « la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par [la Loi de 1978] », puis la Cour administrative d’appel de Nancy, par un arrêt du 18 avril 2013 confirmant la liberté de réutilisation, à des fins commerciales, des archives publiques (Kpratique « Open data : nouvelles précisions sur les délais de recours et sur les obligations pesant sur les organismes publics ») ,l’article 10 de la Loi de 1978 consacre le droit de réutilisation des informations publiques, parmi lesquelles figurent celles relevant de services culturels, tels les archives et ce quel que soit leur support.

Ne sont pas des informations publiques et, donc, ne sont pas librement réutilisables les données sur lesquelles « des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle » (point c de l’article 10). Seuls les droits des tiers ont été pris en compte par le législateur, à l’exclusion implicite mais nécessaire, des droits de la personne publique détentrice des données. Étrangement, cependant, dans une approche dissociant le contenu de son contenant, le tribunal administratif de Poitiers avait considéré que le refus opposé par les services d’archives à la réutilisation de fichiers numériques n’anéantissait pas la liberté de réutilisation des informations publiques « contenues dans les documents détenus par les archives départementales ». Droit de réutilisation de l’information, oui, droit de réutilisation du support, non, ce qui revient à soumettre un même document à plusieurs campagnes de numérisation, contre toute logique de préservation du document et en dépit du bon sens économique, l’article 15 de la Loi de 1978 permettant, d’ailleurs, à l’administration d’assujettir la réutilisation à redevance, laquelle peut inclure « une rémunération raisonnable de ses investissements comprenant, le cas échéant, une part au titre des droits de propriété intellectuelle ».


Alors que son rapporteur public proposait l’annulation du jugement au motif que « la circonstance que l’article 11 de la loi de 1978 permet aux services culturels de fixer les conditions dans lesquelles les informations qu’ils reçoivent peuvent être réutilisées n’a, à cet égard, ni pour objet ni pour effet de laisser au département conservant des archives l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation des informations publiques », la Cour administrative d’appel de Bordeaux, fait suffisamment rare pour être souligné, prend une décision radicalement inverse. En se fondant sur cet article 11, la Cour estime qu’« un service culturel producteur d’une base de données peut interdire la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de cette base de données en faisant état des droits que lui confère l’article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle ».

Cette décision est manifestement contra legem. L’article 11 de la Loi de 1978 ne permet pas aux services culturels de s’affranchir du respect du droit de réutilisation, ce droit étant « consacré de façon générale » par la loi. Il leur permet simplement de fixer des conditions de réutilisation dérogatoires à celles figurant aux articles 12 à 16 de la Loi de 1978. En interdisant la réutilisation de tout ou partie d’une base de données, qui a la nature d’information publique au sens de l’article 10, l’administration, culturelle ou pas, fait directement obstacle au droit de réutilisation, à la mise en œuvre des objectifs de la directive 2013/37 non encore transposée et à la démarche volontariste du gouvernement portée par la mission Etalab.

Comment expliquer que, l’administration n’intervenant même pas sur un marché économique, son investissement, issu de l’argent public, soit sanctuarisé à son seul profit, alors que le risque économique de l’investissement dans des projets innovants à forte valeur ajouté est supporté par les opérateurs de marché ?

Le code de la propriété intellectuelle poursuit un but économique bénéficiant à des intérêts individuels : protéger l’investissement qu’un opérateur économique a effectué en prenant un risque de marché.

La Loi de 1978 poursuit une finalité d’intérêt général relevant de l’ordre public économique : permettre l’émergence ou le développement de nouveaux services à valeur ajoutée offerts par des opérateurs économiques en réponse aux nouveaux besoins des utilisateurs finals à partir de la réutilisation des informations publiques, dans une perspective de création d’activités et d’emplois.

L’articulation entre ce but et cette finalité doit en assurer la coordination et la conciliation. Elle ne doit pas conduire à faire prévaloir l’un des termes par rapport à l’autre.

Pourtant, à rebours de la dynamique actuelle tournée vers la réutilisation des informations publiques sous format numérique, la Cour de Bordeaux, en marge de la loi, fait peser une nouvelle incertitude temporaire sur les projets de réutilisation qui sont en plein foisonnement. On ne peut que le déplorer.



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