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Emmanuel Macron n'aurait pas pu convaincre...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 28/11/2018

Le constat est terrible. Le soutien du pays aux Gilets Jaunes est encore plus dominant après le discours du président, jugé par ailleurs hors sujet (Odoxa). Mais que Emmanuel Macron se rassure : à la date où il a parlé, il ne pouvait plus convaincre. Trop de passif à rattraper, si peu d'actif à proposer. La cause était déjà entendue.

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La nouvelle manifestation prévue à Paris par les Gilets jaunes le 1er décembre aura lieu.

Si l'intervention du président de la République dans la matinée du 27 novembre espérait la rendre inutile, elle aura totalement échoué.

D'abord elle n'aurait pas pu convaincre. On a été d'une certaine manière injuste avec le discours du président de la République puisque les circonstances interdisaient qu'il soit audible par ceux auxquels il aurait dû s'adresser prioritairement : la masse des Gilets jaunes, à supposer qu'une unité puisse être dégagée de leurs doléances et revendications contrastées.

Il a été maladroit de sa part d'annoncer la seule mesure effective sur la taxe flottante alors que beaucoup de Gilets jaunes avaient déjà abandonné une écoute qui très vite les avait déçus.

La faiblesse interne du propos venait surtout de la volonté du président d'allier deux séquences intellectuelles, sociales et politiques totalement désaccordées dans le fond. Celle de la fin du monde et celle de la fin du mois, selon l'expression reprise de Nicolas Hulot. L'écologie à long terme, une perspective qui nous verra "tous morts" et donc incline aujourd'hui sinon à un désintérêt du moins à une toute relative attention, une détresse sociale et humaine qui aurait appelé un investissement prioritaire et des mesures d'urgence.

Techniquement le souci présidentiel de montrer que ces deux exigences étaient liées et non pas aux antipodes l'une de l'autre a mis de la confusion là où il aspirait à transmettre de la clarté. Pour les uns, les privilégiés en quelque sorte, pas assez d'écologie. Pour les autres, les "gueux", les Gilets jaunes : trop d'écologie absolument hors du seul sujet qui vaille : leur quotidienneté.

Plus profondément Emmanuel Macron n'aurait pas pu convaincre à une heure étrange pour une allocution attendue par tous les Français parce qu'il est impossible de persuader quand on est sur la défensive et qu'on fait semblant de l'oublier. Il était facile de prévoir la déception de la plupart des Gilets jaunes qui attendaient une réponse à leurs angoisses immédiates et n'ont eu qu'une déclaration brossant le tableau du futur avec l'annonce d'un Haut conseil pour le climat et une itinérance aussi riche de pluralisme qu'elle soit durant trois mois (Le Monde).

Emmanuel Macron a trop tardé. Par orgueil sans doute. Mais ayant perdu un temps infiniment précieux, il a eu beau dire en laissant entendre que son discours était programmé de longue date, il ne pouvait pas être cru et il aurait fallu un miracle pour que cette intervention, que la pression et l'effervescence populaires avaient imposée, apparaisse comme apaisante et restauratrice de l'ordre et de la confiance.

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Il ne suffisait évidemment plus de dire qu'il avait "compris" et que dorénavant il se trouvait au chevet d'une France qui souffre, en contradiction d'ailleurs avec certains arguments développés auparavant par son Premier ministre. Et avec la conséquence dérisoire de la réception de deux porte-parole des Gilets jaunes accueillis par le ministre de l'Ecologie et présentant des revendications globales et farfelues dépassant de très loin le champ classique jusqu'alors de leurs revendications.

Non seulement l'intervention présidentielle survenait au-delà d'un délai raisonnable, après des jours d'obstination rigide et d'incompréhension presque arrogante mais par sa nature, elle conduisait le citoyen à s'interroger sur les modalités gouvernementales. Puisque Emmanuel Macron ne voulait surtout pas donner l'impression de parler sur ordre, tout un chacun ne pouvait que s'étonner de constater que si tardivement on enrichissait un projet pourtant présenté comme définitif initialement.

Face à une telle retraite que le président, en refusant de la nommer recul, rendait encore plus confuse, qui pouvait être convaincu par un verbe qui, pour le fond comme pour la forme, fuyait la difficulté qui aurait été précisément de se colleter avec les attentes citoyennes ? Dans les conditions où Emmanuel Macron a décidé de s'adresser au pays sur un mode plus technocratique que populaire, il était inimaginable qu'il puisse "reprendre la main" comme Pascal Canfin l'aurait souhaité.

A partir du 24, après avoir, par une posture cherchant à déguiser l'incertitude et la stupéfaction en résolution et maîtrise, mégoté, le président aurait pu, aurait dû immédiatement, une fois les porte-parole désignés, les recevoir. C'était sa seule chance de gagner une partie dans le déroulement de laquelle il aurait fait valoir l'incohérence et l'absurdité de la plupart des doléances qui en étaient à réclamer un changement de régime et sa démission.

On qualifie souvent le président d'être transgressif. Je suis frappé au contraire de le voir demeurer tellement classique face à une crise pourtant extra-ordinaire. Il reste dans les chemins traditionnels de l'ancien monde. Une forme de majesté le retient encore de s'engager corps et âme, en brisant les tabous et les hiérarchies, pour régler au plus vite ce qui jusqu'à aujourd'hui échappe au pouvoir largement entendu.

Dépassé par les événements, il les a encore moins organisés.

Le constat est terrible. Le soutien du pays aux Gilets jaunes est encore plus dominant après le discours du président, jugé par ailleurs hors sujet (Odoxa).

Mais qu'Emmanuel Macron se rassure : à la date où il a parlé, il ne pouvait plus convaincre. Trop de passif à rattraper, si peu d'actif à proposer.

La cause était déjà entendue.


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