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La perpétuité réelle existe bien...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 31/01/2015

La perpétuité réelle existe bien : cela rassurera les citoyens qui ne cessent pas d'en douter.

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La volonté de combattre le terrorisme ne doit pas faire oublier que la délinquance et la criminalité ordinaires, si j'ose dire, continuent de sévir et d'être sanctionnées.

Nicolas Blondiau, âgé de 29 ans, a été condamné le 30 janvier par la cour d'assises d'appel du Vaucluse à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de 30 ans incompressible pour le meurtre et le viol de la petite Océane, 8 ans, le 5 novembre 2011 à Bellegarde.

Cette perpétuité dite incompressible ou réelle est évidemment le plus haut degré de la sévérité pénale. Avec Pierre Bodein et Michel Fourniret, Blondiau est le troisième à la subir - un quatrième ayant obtenu un adoucissement en appel (Le Figaro.fr).

Blondiau avait déjà été condamné à la même peine, au mois de décembre 2013, par la cour d'assises du Gard qui avait suivi les réquisitions du remarquable magistrat Michel Desplan, qui avait principalement invoqué "un fort risque de récidive" pour justifier son extrême rigueur.

L'avocat général en appel, ayant requis également la perpétuité, s'est interrogé, pour son caractère réel ou non, sur ce même risque de récidive en laissant le jury répondre à cette question essentielle pour l'avenir.

Nicolas Blondiau, quand il a commis ces crimes, avait un casier judiciaire vierge et il a affirmé avoir agi sous l'emprise de l'alcool et des stupéfiants. Les modalités atroces de ses agissements, ainsi que le comportement postérieur de Blondiau se mêlant, indigné, à ceux qui cherchaient le meurtrier, n'ont sans doute pas pesé pour rien dans cette sanction maximale confirmée.

On pourrait concevoir - cela a vraisemblablement été plaidé - que Blondiau a perpétré le pire alors qu'aucun avertissement judiciaire ne lui avait encore été donné. Mais, d'emblée, sa personnalité, son état, le 5 novembre 2011, l'ont conduit à ces actes gravissimes. Dans ces conditions, un jury a tendance à s'attacher à l'énormité de la transgression sur l'un des plateaux de la balance sans retenir que sur l'autre, rien n'avait suscité encore d'inquiétude jusqu'en novembre 2011.

La jeunesse de Blondiau illustre bien également le paradoxe de la justice criminelle. Ayant 25 ans en 2011, il aurait pu, sans scandaliser, alléguer une immaturité et une précocité susceptibles de ne pas porter la sanction à son comble absolu mais en même temps cet immense avenir qui lui restait constituait une angoisse pour ses juges dès lors que "le fort risque de récidive" était admis.

On ne sait pas ce qui se passe, ce qui se dit dans ces délibérés exceptionnels d'intensité et de durée où le peuple français, dans le Gard, dans le Vaucluse ou ailleurs, découvre l'horreur, affronte la diversité et l'ambiguïté des situations, se plonge dans l'obscurité des ressorts et des âmes, est investi de l'honneur de sa mission démocratique et comprend que rien n'est simple même quand il condamne au plus haut.

On ne sautait trop saluer Pierre Méhaignerie qui, en 1994, a fait voter une loi instaurant une perpétuité réelle pour le meurtre avec viol ou torture sur mineur de moins de quinze ans.

En 2011, Nicolas Sarkozy l'a complétée à juste titre en faisant adopter une perpétuité incompressible pour le meurtre en bande organisée ou assassinat d'une personne dépositaire de l'autorité publique à l'occasion ou en raison de ses fonctions.

Pour une fois la Cour européenne des droits de l'homme ne s'est pas distinguée par son irénisme et sa naïveté abstraite puisqu'elle a validé en 2014, sur un recours de Pierre Bodein, la perpétuité réelle puisque celle-ci peut théoriquement être aménagée après 30 ans d'incarcération par un tribunal de l'application des peines.

S'il n'est pas décent d'entretenir un rapport joyeux avec ce qui est dû à la société pour sa défense et pour la préserver des rechutes criminelles - à ce titre, rien de plus laid que les applaudissements saluant les condamnations extrêmes -, puis-je tout de même reconnaître le mérite législatif de ces dispositions qui protègent sans prendre la vie.

Quand la peine de mort a été abolie - pour ma part, je m'en réjouis, ayant eu toujours en tête cette pensée de l'abbé Toulat : une sanction absolue nécessiterait une justice absolue, évidemment impossible -, Robert Badinter, soutenu par ce président si peu démagogue qu'était François Mitterrand, avait promis aux Français une peine de substitution qui aurait dû être précisément la perpétuité réelle. Il n'a pas tenu cet engagement.

C'est Pierre Méhaignerie qui a respecté, treize ans plus tard, la promesse de Robert Badinter.

La perpétuité réelle existe bien : cela rassurera les citoyens qui ne cessent pas d'en douter.


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