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Après Balkany, avant Mélenchon...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/09/2019

On ne peut pas se réjouir de l'affaiblissement d'une bête politique. On n'en a pas tant pour ne pas avoir envie de la retenir dans le cercle de la rationalité. De l'inciter à quitter la facilité de la fuite et le pressentiment de la défaite. Pour se battre avec ce qu'elle a de meilleur.

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Je pourrais être tenté, avant de parler de Jean-Luc Mélenchon et de son entretien parfaitement outrancier dans le JDD, de jeter l'éponge à cause d'une forme de lassitude et, pour une fois, de malaise face au rôle même minoritaire que je m'assigne à la suite du jugement du 13 septembre ayant condamné le couple Balkany.

En effet, c'est à chaque fois la même chose. La justice a tranché en premier ressort et il est clair que dans un monde démocratique et médiatique idéal, nul ne devrait s'exprimer avant d'attendre l'exercice des voies de recours. Cette abstention serait d'autant plus souhaitable qu'aujourd'hui non seulement on n'accepte pas l'autorité de la chose jugée mais qu'on fait tout, au contraire pour la réduire, la fragiliser.

La juridiction correctionnelle, le ministère public concernés par l'affaire de fraude fiscale, quoique attaqués, doivent évidemment se taire.

En revanche on invite Me Dupond-Moretti, avocat de Patrick Balkany, à s'exprimer longuement sur CNews par exemple, de sorte qu'il peut tout à son aise dénoncer une certaine catégorie de juges, émettre des approximations sur les condamnations pour fraude fiscale et, en définitive, parce qu'il a perdu partiellement sa première affaire - le quantum de la peine et l'arrestation à l'audience ne lui ont pas plu ! - déséquilibrer par avance l'appel à venir et préjuger le jugement du 18 octobre. Les médias s'instrumentalisent et sont instrumentalisés pour servir une tactique qui est totalement désaccordée d'avec l'essentiel : un jugement clair et net dont on a relevé appel. A quel titre cette inégalité, ce privilège, cette entorse à la pureté de l'état de droit ?

Toujours sur CNews, au cours d'une émission enflammée et passionnante, Pascal Praud fait diffuser, par séquences, un entretien qu'il a pu obtenir d'une Isabelle Balkany digne, émouvante, fragilisée mais il s'agit tout de même d'une personne qui vient d'être sanctionnée à trois ans de prison pour une fraude fiscale massive. Pourquoi lui faire la grâce de ce dialogue que le commun des prévenus, heureusement, n'a jamais ? Et qui, pour elle, offre l'avantage de pouvoir pousser les feux sans être contredite...

Cette immixtion médiatique dans la normalité judiciaire est d'autant plus intolérable qu'elle mêle ignorance (qui a lu le jugement du 13 septembre ?), préjugés, approximations, culte de la personnalité - celle de Me Dupond-Moretti dont le talent judiciaire n'a pas besoin de cet adjuvant - et des émotions certes respectables mais qui ne regardent pas les débats, la décision et l'analyse de ses motivations.

Dupont-t-melenchon

A l'exception de la garde des Sceaux qui avec finesse a défendu l'indépendance et la liberté de la magistrature (LCI) et de rares médias non scandalisés par l'arrestation à l'audience de Patrick Balkany - j'exclus l'ignoble "pour ou contre" des réseaux sociaux -, je me suis retrouvé quasiment seul pour soutenir l'honneur, en l'occurrence irréfutable, d'une magistrature dans laquelle je ne suis plus depuis 2011. Qu'elle soit irréprochable ou non, elle est présumée coupable. On ne l'écoute pas quand elle réplique : on craindrait de devoir lui donner raison.

Jean-Luc Mélenchon, lui, me sollicite d'une autre manière. Avec lui nous ne sommes plus dans la contestation certes trop fréquente mais admissible de l'institution judiciaire, de son fonctionnement et de ses pratiques mais dans l'outrance, l'excès, l'insulte - on peut tout dire de Nicole Belloubet sauf qu'elle est "nulle" même si elle a oublié de mentionner trois biens immobiliers dans sa déclaration de patrimoine en 2017, rapidement régularisée. Il fait des comparaisons absurdes avec des pays où la Justice n'est pas démocratique mais muselée. Ravaler la France au rang de ce qu'elle n'est heureusement pas révèle la gêne de Jean-Luc Mélenchon qui sent la faiblesse de son argumentation "nationale".

Cet homme intelligent et cultivé, d'une oralité talentueuse dans un monde politique de plus en plus pauvre sur ce plan, sait probablement que ce qu'il déclare est absurde mais il en est arrivé au point - sans doute ses déboires médiatiques et ses déceptions politiques n'y sont-ils pas pour rien ? - où le paroxysme devient un remède sans être une solution, une volupté sans être une démonstration, un réflexe sans être une opportunité. Il ne gouverne plus sa pensée mais l'extrémisme, notamment de son verbe, a pris la main sur lui et peu lui chaut la dénaturation de la réalité et de notre vie républicaine. Il est emporté par une fureur.

Trop systématique pour être encore écoutée.

Pathétique parce qu'elle est tout imprégnée de défaite, de fuite.

Quand, ailleurs, il va jusqu'à reprocher à Me Dupond-Moretti de défendre, dans son prochain procès, la cause de policiers et d'être payé par l'Etat - si seulement cela pouvait devenir une habitude de la part de ce grand avocat, j'en serais ravi -, il me semble que Jean-Luc Mélenchon a touché le fond. C'est une polémique hors sujet, inutile et dévastatrice pour son camp. Et on a su lui répondre vertement !

On ne peut pas se réjouir de l'affaiblissement d'une bête politique. On n'en a pas tant pour ne pas avoir envie de retenir celle-ci dans le cercle de la rationalité.

Envie de l'inciter à quitter la facilité de la fuite et le pressentiment de la défaite.

Pour se battre avec ce qu'elle a de meilleur.


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