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C'est Montebourg qui a raison !

Justice au singulier - philippe.bilger, 13/06/2013

Arnaud Montebourg, après avoir été "recadré", a soutenu pour la façade qu'il avait été mal compris mais en petit comité il aurait lâché : "Je m'en fous". Je l'approuve parce qu'il a raison.

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Il y a des hasards à la fois tristes et heureux.

Au moment même où je commençais à rédiger ce billet, j'apprenais d'une source fiable que Christiane Taubira, invitée demain soir sur le plateau de Frédéric Taddéï, avait refusé la présence de Xavier Bébin au prétexte que le débat serait déséquilibré alors qu'elle aura auprès d'elle le magistrat Serge Portelli et mon ami Thierry Lévy qui ne la contrediront pas, ou si peu. On se souviendra que de la commission de consensus pour prévenir la récidive (sic !), déjà l'Institut pour la Justice avait été exclu : il est vrai qu'il ne représentait que de très nombreuses victimes.

Christiane Taubira est donc favorable à un pluralisme à condition qu'il soit de son avis. Si tout cela est exact, c'est une honte, petite certes, mais une honte indéniable.

Hasard heureux parce que ce post, approuvant Arnaud Montebourg dans son titre, me permet de rendre hommage sur un autre plan à ce dernier.Lui n'a jamais eu peur, comme ministre, d'aller s'affronter à des adversaires ou à des syndicalistes furieux, selon eux, d'avoir été trompés. Il ne serait pas non plus effrayé, dans l'espace médiatique, par la présence d'antagonistes de talent.

Il paraît que ce ministre à la forte, à l'éclatante personnalité aurait été "recadré" par le président de la République qui lui aurait reproché d'avoir demandé le départ du patron d'Orange, Stéphane Richard, s'il était mis en examen dans l'affaire Tapie (Le Monde, Le Parisien).

Stéphane Richard a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée et pour ceux qui ont suivi depuis 2008 les péripéties procédurales de ce dossier scandaleux, cette étape était inévitable. Je ne méconnais pas ses fluctuations et revirements, à tout coup, du jour au lendemain, sa volonté d'apparaître seulement comme un technicien ainsi que sa présomption d'innocence mais, par exemple, Christine Lagarde elle-même a laissé entendre que, pour Pierre Estoup, Stéphane Richard l'avait rassurée en lui affirmant qu'il s'agissait d'une petite affaire et qu'elle était réglée ! Ce qui est renversant !

Arnaud Montebourg avait pris cette position au nom de l'exemplarité et elle n'était pas incompatible avec le fait que le sort de ce mis en examen pourrait évoluer à l'avenir dans un sens qui lui serait favorable. Il n'en demeure pas moins qu'une mise en examen pour un tel chef est forcément de nature à fragiliser une responsabilité professionnelle éminente et que le soutien d'Orange et des syndicats, s'il n'est pas négligeable évidemment, n'est pas de nature à créer ou à susciter une pureté factice.

Arnaud Montebourg, avec cet avertissement, rappelait au président Hollande les promesses du candidat et que devant de telles configurations - je songe aussi à celle impliquant Christine Lagarde - on ne finasse pas, on tire les conséquences d'une incrimination provisoire mais offensante et on adopte sur le plan politique une attitude cohérente par rapport au processus judiciaire. Faire partir Stéphane Richard, ce ne serait pas le condamner par avance mais entre un présent lourd et un avenir incertain, choisir la meilleure solution qui soit, d'attente, de précaution et de respect pour l'institution judiciaire.

Aussi bien pour Christine Lagarde que pour Stéphane Richard, quel étrange comportement que celui du Pouvoir venant de manière anticipée conforter des personnalités pourtant menacées judiciairement, et non pour des broutilles ! Pierre Moscovici allant même, par un soutien intempestif, jusqu'à influencer probablement les trois juges d'instruction de la commission compétente pour Christine Lagarde !

Ce qui me navre, pour ne pas user d'un terme plus direct, tient à cette manière socialiste de créer, après les mises en cause par la Justice, pour certains, un statut privilégié. Le problème ne se poserait pas si avec équité et généralité, toute mise en examen entraînait, pour chaque responsable concerné, les mêmes conséquences. Faute de cette rectitude, le message politique et démocratique transmis sera flou, controversé et nourrira en aval les pires soupçons s'ajoutant à ceux dévoilés par l'approche judiciaire en amont.

Il est clair, quand on constate le parcours à la fois brillant et composite d'un Stéphane Richard, la multitude de ses amis et alliés dans tous les camps, sa capacité d'influence, ses relations, les protections dont il a bénéficié ou bénéficie, sa proximité aussi bien avec Nicolas Sarkozy qu'avec François Hollande (Le Monde), que pour ne pas donner l'impression d'un favoritisme, mieux vaut trancher dans le sens que j'ai indiqué. D'autant plus que Jean-François Rocchi mis en examen notamment du même chef va, lui, démissionner de la sinécure qui lui avait été offerte, grâce à Jean-Louis Borloo, avec la présidence du service géologique de l'Etat (20 minutes, Mediapart).

Ces considérations sont également pertinentes pour une Christine Lagarde étrangement de plus en plus vantée au fur et à mesure que se rapprochait son échéance judiciaire. Les réalistes, pour Stéphane Richard comme pour elle, font valoir que la France aurait perdu de son crédit si elle avait quitté le FMI et qu'Orange serait déstabilisé si Stéphane Richard qui jouit d'un contraste facilement positif par rapport à son prédécesseur devait partir.

La rançon de cet empirisme est qu'elle tient pour rien alors la gravité des présomptions, pour un témoin assisté comme pour un mis en examen, et qu'elle semble situer la moralité publique dans une sphère sans lien aucun avec le plan professionnel, alors que l'une et l'autre méritent, exigent d'être liés. La justice pour tous impose le même traitement pour tous, dès lors que le champ public est concerné et la légitimité professionnelle forcément discutée, voire contestée.

Arnaud Montebourg, après avoir été "recadré", a soutenu pour la façade qu'il avait été mal compris mais en petit comité il aurait lâché : "Je m'en fous".

Je l'approuve parce qu'il a raison.


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