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Procès Heaulme : quelques ingrédients pour l’alchimie d’un délibéré

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 17/05/2017

« Accusé, levez-vous. Avez-vous quelque-chose à ajouter pour votre défense ? – Oui, Monsieur le président. Montigny, ce n’est pas moi. » Il est 16 h 05, mercredi 17 mai, et après trois semaines et demie de débats, la cour et les jurés des assises de … Continuer la lecture

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« Accusé, levez-vous. Avez-vous quelque-chose à ajouter pour votre défense ?
– Oui, Monsieur le président. Montigny, ce n’est pas moi. »

Il est 16 h 05, mercredi 17 mai, et après trois semaines et demie de débats, la cour et les jurés des assises de la Moselle sont entrés en délibéré avec ces derniers mots de Francis Heaulme. Quelques heures plus tôt, le procureur général Jean-Marie Beney avait requis contre lui la réclusion criminelle à perpétuité pour le double meurtre de Montigny-les-Metz.

De cette alchimie du délibéré, on ne devine qu’un ingrédient, la conviction du président Gabriel Steffanus en faveur de la culpabilité de l’accusé, telle qu’il l’a manifestée au fil des débats. Mais dans cette salle d’audience à la géographie singulière, qui place les jurés non pas autour de la cour, mais séparés d’elle, sur des bancs situés en face du box, c’est plus que jamais vers ces six citoyens – quatre hommes et deux femmes – que se tournent les regards.

Dispensés d’une part de responsabilité

Avant eux, trois jurys ont jugé un autre homme, Patrick Dils, pour le meurtre de ces deux enfants retrouvés le crâne fracassé près des voies ferrées de Montigny-les-Metz le 28 septembre 1986. Deux l’ont condamné, un troisième l’a acquitté. Et les voilà, trente ans après ce drame, face à la lourde charge de mettre un nouveau nom de coupable sur ce drame ou de renoncer, faute de certitudes, à le désigner.

Il y va paradoxalement moins du sort d’un homme que de celui de la justice. Le constat est brutal mais il serait hypocrite de le nier. Dans l’alchimie du délibéré, le fait que Francis Heaulme – déjà condamné pour neuf meurtres, dont deux fois à la réclusion criminelle à perpétuité – est en prison depuis vingt-cinq ans et y retournera jusqu’à la fin de ses jours, quel que soit le verdict de la cour d’assises, ne peut pas ne pas compter. Les jurés sont en quelque sorte dispensés d’une part de leur responsabilité puisqu’ils n’ont pas à choisir entre la prison et la liberté.

Libres, ils le sont aussi à l’égard des familles des victimes qui ont montré combien elles étaient divisées sur l’opportunité de ce nouveau procès avec un nouvel accusé. Aucun des proches des enfants n’a explicitement exprimé sa conviction de la culpabilité de Francis Heaulme, comme l’a rappelé dans sa plaidoirie en défense, Me Alexandre Bouthier. Certains d’entre eux refusent de substituer un autre coupable à celui que la justice leur a longtemps désigné, et nul ne saurait leur contester ce droit. D’autres pensent que Francis Heaulme n’aurait pas dû être seul dans le box. Cet autre ingrédient volatile, dangereux, que peut-être dans l’alchimie d’un délibéré l’attente et le chagrin des victimes, peut lui aussi être sinon écarté, du moins réduit.

Le sort de la justice

C’est donc davantage le sort de la justice qui est entre les mains des jurés. Après tant d’errements – une condamnation de Patrick Dils, une révision pénale, deux autres procès, son acquittement, un non-lieu rendu en faveur de Francis Heaulme en 2007, un appel de ce non-lieu, son renvoi devant une première cour d’assises en 2014, une suspension de ce procès, une nouvelle enquête concernant un autre suspect, Henri Leclaire, se concluant sur un non-lieu, des recours en cassation – ce procès de Francis Heaulme est-il le symbole d’un acharnement de trop ou d’une légitime obstination à apporter une réponse au meurtre de deux enfants ?

Les trois avocats de Francis Heaulme, Mes Liliane Glock, Alexandre Bouthier et Stéphane Giuranna, ont évidemment tenté de convaincre les jurés de la première alternative. « La justice est une vieille dame qui n’aime pas qu’on lui dise qu’elle s’est trompée, a-t-il observé. Elle a surtout horreur du vide. Dans cette affaire, elle n’a accordé ce droit qu’à la condition que Francis Heaulme soit désigné coupable. Mais avec des  probabilités et des quasi-certitudes, on arrive à un quasi-désastre ! », a mis en garde Me Bouthier.

Sa consœur, Me Liliane Glock avait quelques minutes auparavant revendiqué le parrainage de… la présidente de la cour d’assises du Rhône à Lyon, qui a acquitté Patrick Dils en 2002. Dans un entretien accordé après l’affaire au Figaro, Yvette Vilvert se disait « hantée » par les aveux de Patrick Dils mais elle observait : « J’avais la conviction qu’on ne pouvait pas faire autrement que de l’acquitter. Pour condamner quelqu’un, il faut avoir des certitudes. Là, c’était l’inverse : au fil des deux semaines et demie de procès, les interrogations l’emportaient sur les certitudes. » « Elle dit des choses essentielles que je vous demande de suivre », a lancé Me Glock aux jurés.

La deuxième alternative, celle d’une obstination légitime, a été défendue par le ministère public et surtout démontrée à l’audience par les enquêteurs, Francis Hans et Laurent Iltis, qui ont fait forte impression lors de leur déposition, à laquelle il faut ajouter celle de l’ancien gendarme Jean-François Abgrall, déchiffreur des rébus de Francis Heaulme auquel on doit la résolution des autres crimes qui lui sont reprochés.

Réponse dans la soirée.


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