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Le génocide rwandais et la France : oui, beaucoup de questions

Actualités du droit - Gilles Devers, 6/04/2014

800 000 morts, essentiellement des Tutsi, en quelques semaines, entre...

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800 000 morts, essentiellement des Tutsi, en quelques semaines, entre le 7 avril et la mi-juillet 1994. Une affaire qui hante la France car, très présente au Rwanda, elle était premier soutien des dirigeants politiques hutu, les auteurs du génocide entre 1990 et 1994. C'était alors une question d’intérêt national, car il fallait bloquer l’influence US...

 

Qu'a déclaré Paul Kagamé ? 

 

Patrick-Saint-Exupery-L-inavouable.gifPaul Kagamé, n’est peut-être pas le plus sympathique des dirigeants africains, mais que dit-il dans cette interview à Jeune Afrique ? Rien de neuf, et tout n’est pas contestable.  

 

« Les puissances occidentales aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. »

 

« Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite 'humanitaire sûre', mais aussi acteurs. »

 

Grave ? Oui, les propos sont graves, mais ils ne sont pas nouveaux…


En 1998, une commission d’enquête parlementaire française dirigée par Paul Quilès avait exonéré la France de toute responsabilité dans le génocide de 1994, mais ce rapport n’a pas clôt le débat, loin de là.


En 2008, le Rwanda avait publié un rapport accablant contre la France et la Belgique. Un communiqué du ministère de la Justice résumait : « La persistance, la détermination, le caractère massif du soutien français à la politique rwandaise des massacres (...) montrent la complicité des responsables politiques et militaires français dans la préparation et l’exécution du génocide des Tutsi de 1994 ».

 

Et puis, les griefs sont en partie accrédités, même si Juppé s’égosille et que Hollande annonce boycotter la cérémonie anniversaire des vingt ans du génocide,… avant de se raviser. La Belgique a présenté ses excuses, et Sarkozy, sans aller jusqu’aux excuses, avait reconnu que la France avait commis des fautes.

 

Alors ? Il faut distinguer trois phases.

 

1/ 1990-1994, la France principal soutien du régime, contre le FPR

 

Boubacar-Boris-Diop-Murambi-Le-livre-des-ossements.jpgLa France et la Belgique étaient en force au Rwanda depuis le début de la fin de l'année 1990, en réaction à une offensive des troupes tutsi, les combattants du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, depuis le Nord. Le point de vue français était que les rebelles tutsi ne seraient rien sans le soutien anglo-saxon, via l’Ouganda, et qu’il s’agissait en fait d’une ligne de front pour l’influence de la France en Afrique.

 

Aussi, la France est restée, et de facto, elle est devenue le principal soutien du président Juvénal Habyarimana, un hutu. Apparait ici le vrai nœud du problème : les militaires français sont devenus les vrais patrons de l’armée, une armée qui n’avait qu’un ennemi, le FPR. En deux ans, le montant de ventes d’armes françaises a été multiplié par dix. Entre 1990 et 1994, le nombre de militaires est passé de 5 500 à 35 000 hommes, formés et encadrés par des militaires français.

 

En 1992, une négociation a été engagée entre l’Etat Rwandais et le FPR, conduisant aux importants accords d’Arusha. Le processus s’est clôt par un dernier accord signé le 4 août 1993, prévoyant une intégration politique et militaire des deux camps rivaux, et une mission des Nations Unies, la MINUAR a été créée en octobre 1993, pour veiller à leur application. Les Nations Unies imposé un embargo sur les armes, mais elles n’ont cessé d’affluer.

 

Mais la France était ouvertement opposée à ces accords, jugés trop favorables au FPR, et Paris maintenait tout son soutien à Juvénal Habyarimana, qui du coup jouait bien peu le jeu de la mise en œuvre des accords. Le régime s’enferrait dans des logiques ethnicistes affolantes : peu importe…

 

Pour comprendre le point de vue rwandais, voici un extrait du rapport de 2008.

 

« Les militaires français ont donc, objectivement, une part de responsabilité dans la préparation du génocide de 1994, en ayant contribué à l’intensification de la formation des interahamwe qui en ont été le fer de lance.

 

« Il n’y a pas, à cette heure, d’éléments de preuve directe qui permettraient d’affirmer que les militaires français savaient que la formation qu’ils donnaient aux interahamwe, notamment après la signature des accords de paix d’Arusha du 4 août 1993, était destinée à commettre le génocide débutant en avril 1994.

 

« A la fin de l’année 1993, alors que les militaires français participent à l’intensification de la formation des interahamwe dont les effectifs se comptent alors par milliers, on est en droit de s’interroger sur les raisons d’une telle intensification.

 

« Question d’autant plus troublante que les autorités militaires françaises connaissent la nature de ces milices interahamwe. A quel type de combat ou de guerre les militaires français pensent-ils alors les entraîner ? ».

 

La situation pourrissait : Juvénal Habyarimana était tenu par sa signature, mais freiné par la France omniprésente dans ses affaires militaires, alors que d’autres responsables hutu contestant l’accord et appelaient à éradiquer les tutsis, pendant que le FPR poussait pour que l’accord soit respecté.

 

Le feu a été enclenché le 6 avril 1994 : l’avion du président Habyarimana a été abattu alors qu’il s’apprêtait à atterrir à Kigali. L’attentat a aussitôt imputé au FPR, selon une piste aujourd’hui abandonné, et on évoque le rôle de groupes extrémistes, qui voulaient un motif pour engager le massacre des Tutsi. Car tout était prêt : le génocide a commencé le lendemain, une planification de la terreur.

 

2/ Mai à juillet 1994 : le génocide et la population abandonnée

 

Deux jours plus tard, les troupes françaises ont organisé l’évacuation de ressortissants européens, et quelques dignitaires hutu. Le personnel tutsi des établissements français est laissé sur place: tous seront massacrés.


Officiellement, il n’y avait plus de militaires français au Rwanda. Le FPR a alors engagé une offensive, avec pour objectif la reconquête du pouvoir. Le 21 avril, le Conseil de sécurité retirait les troupes de la mission MINUAR, pour ne laisser qu’une poignée de soldats.

 

Le massacre des tutsi est patent, et la France ne peut l’ignorer, tant la propagande sur place est intense et haineuse. De mauvaises informations tentent d’accréditer des tueries interethniques, comme notre malheureux Juppé. Mais était-il alors possible de faire plus, dans ce pays théâtre du génocide et de l’avancée militaire du FPR, allié objectif des Etats-Unis ?

 

3/ Juillet 1994 : sévères critiques sur l’opération Turquoise

 

Venuste-Kayimahe-les-coulisses-du-genocide.gifLe 22 juin 2014, le Conseil de sécurité a autorisé l’opération Turquoise, confiant aux troupes françaises de rétablir la sécurité. Les autorités françaises soutiennent qu’elles ont été alors les seules à assumer, et que l’intervention, certes tardives, a permis des sauver des vies humaines. Mais les troupes françaises vont se voir durement accusées, d’être restées passives, et notamment à Bisesero, pendant trois jours d’un massacre impitoyable, et d’avoir joué un jeu trouble, qui visait à empêcher le FPR de gagner la guerre, et à permettre l’évacuation des responsables hutu vers le Zaïre.

 

Le 4 juillet, le FPR a gagné la guerre : il contrôle la capitale, et forme un gouvernement d'unité nationale. Pasteur Bizimungu, un hutu du FPR, devient alors chef de l'État.

 

Hier, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, a appelle la France à la sérénité : « Il est impossible pour nos deux pays d'avancer, si la condition est que le Rwanda doive oublier son histoire pour s'entendre avec la France (...) Nous ne pouvons avancer au détriment de la vérité historique du génocide ».

 

De multiples procès ont eu lieu. Selon la procédure traditionnelle, à travers le Rwanda, devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, devant des juridictions nationales.  

 

Quelle part pour la politique ? pour la justice ? pour l’histoire ? Il reste trop de non-dit, alors qu’il y a vingt ans, commençait le génocide de 800 000 personnes en trois mois.  

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