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Travail en prison : Marilyn fait trembler la loi pénitentiaire

Actualités du droit - Gilles Devers, 9/02/2013

J’hésite à remercier Marilyn pour les délits qu’elle a commis et qui l’ont...

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J’hésite à remercier Marilyn pour les délits qu’elle a commis et qui l’ont conduite en prison, mais elle vient d’obtenir un si beau jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris que franchement… Allez, on y va… Ne refaites plus, chère Marylin, mais merci d’avoir violé la loi pénale pour permettre cette mise en accusation la loi pénitentiaire.

Pour comprendre, il fait d’abord que je vous parle du salaire de Chahana, une salariée indienne, payée pour faire de la téléprospection entre 2,53 et 4,65 euros de l'heure. Toute la question de la mondialisation… Sauf que ce salaire, ce n’est pas celui de Chahana en Inde mais de Marylin en France. En France et dans un lieu qui doit tout à la loi : la prison.

Le travail délocalisé... en prison9782311001334-g.jpg

Donc, si vous êtes gentil patron, vous avez la solution 1, qui consiste à recruter du personnel, payé selon le salaire légal. Mais vous avez aussi la solution 2, qui consiste à passer par le personnel détenu, et payé selon un salaire indien.

Marylin, 36 ans, en détention provisoire à la maison d’arrêt de Versailles, a été employée comme téléopératrice par MKT Societal entre l'été 2010 et avril 2011, avec mission de vendre des freebox et de la fibre optique.

- Bonjour, je m’appelle Marylin, et je viens vous vendre de l’évasion avec la freebox et la fibre optique.

- D’accord, je suis intéressé, on peut prendre rendez-vous ?

- Eh, banane, je ne peux pas, je suis entaulée !

- Mais entaulée virtuelle ?

- Non, non, vrai de vrai. Mandat de dépôt pour de menus larcins.

- Ah bon. Et comment ça se passe la prison ?

- On s’emmerde toute la journée, alors je me suis débrouillée pour trouver ce job.

- Et vous avez de bonnes coms’ ?

- Rien du tout. On est aligné sur le salaire indien : 2,53 € de l’heure.

- Ouah, génial !

- Génial, vous êtes gonflé !

- Mais non, je m’appelle Carlos Ghosn, et je suis patron de Renault… Je sens que je vais bientôt ouvrir une chaine de production à Fresnes. Je vous quitte, il faut que j’appelle mon copain Peugeot...

Virée ? Sanctionnée ? Licenciée ? getpicture.jpg

Un jour Marilyn a eu la faiblesse de composer le numéro d’un ami, pour parler du bon vieux temps. Pas malin parce qu’évidemment, tout est contrôlé, et Marilyn a été licenciée pour faute grave…

Licenciée ? C’est tout le problème. Car joue l’article 717-3, issu de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, qui entend exclure le droit du travail.

« Les activités de travail et de formation professionnelle ou générale sont prises en compte pour l'appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés.

« Au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande.

« Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l'extérieur des établissements pénitentiaires.

« Les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus sont fixées par décret. Le produit du travail des détenus ne peut faire l'objet d'aucun prélèvement pour frais d'entretien en établissement pénitentiaire.

« La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l’article L. 3231-2  du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées ».

Icelui décret qui permet de payer entre 2,53 et 4,65 € de l'heure.

Tout se joue dans la phrase : les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail.

En effet, selon les principes marxistes qui nourrissent la loi française, le droit du travail est d’ordre public, ce qui signifie qu’il s’analyse à partir des faits et non pas des qualifications juridiques choisies par l’employeur capitaliste, et la relation de travail existe dès lors qu’une personne effectue une prestation de nature professionnelle sous la direction d’une autre, dans un lien de subordination.

Marylin travaille pour MKT Societal. Le fait qu’elle soit détenue est-il suffisant pour dénier la réalité du lien de subordination, élément caractéristique du contrat de travail ?

La loi répond oui, mais vous avez bien compris que dans le monde juridique de 2013, on ne se limite pas à appliquer la loi. Dans tout litige qui se respecte, on commence à rechercher si la loi est conforme au droit.

Bingo : Le juge applique le droit ! 998125.jpg

La même problématique a été posée dans d’autres affaires, et sont en cours de questions prioritaires de constitutionnalité. Tôt ou tard, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer.

Pour l’affaire de Marilyn, le conseil de prud’hommes l’a joué « voie directe par la face Nord » : le juge doit faire prévaloir le caractère d’ordre public du droit du travail sur des lois faiblardes.

Aussi, la société MKT Societal est déclarée employeur, et la rupture a été qualifiée de licenciement abusif, car ne reposant pas sur une lettre motivée. Ainsi, Marilyn a obtenu :

- Rappel de salaire et de congés payés : 2 358 €

- Indemnité pour préavis de licenciement non respecté : 521,10 €, et congés payés afférents, 52,10 € ;

- Inobservation de la procédure de licenciement : 521,03

- Dommages et intérêts pour le licenciement abusif : 3 000 €.

Bravo. Son avocat, Fabien Arakélian, apprécie : « C'est un grand jour pour tous les détenus en France et j'appelle les pouvoirs publics à s'emparer très rapidement de cette question du travail en prison. Le droit du travail entre en prison ».

MKT Societal va former un recours, peut-être directement en cassation, car les demandes semblent en dessous du plafond légal pour l’appel.

Vu le bazar ambiant, il est sûr que si les prisons doivent respecter la loi, ça va être compliqué...

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La maison d'arrêt de Versailles,

haut lieu des luttes sociales, dans la grande tradition marxiste


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