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Une démocratie à l'air libre...

Justice au singulier - philippe.bilger, 7/08/2014

Ce n’est pas un crime de ne pas détester par principe et de ne pas adorer par inconditionnalité.

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La démocratie n’est pas un crime.

Ce n’est pas un crime d’avoir été enthousiaste de la campagne du candidat Sarkozy en 2007 et d’avoir été rendu amer par sa présidence.

Ce n’est pas un crime d’avoir dû favoriser l’élection de François Hollande en 2012 et de ne pas encore s’en mordre totalement l’esprit.

Ce n'est pas un crime d'être lassé par les simulacres d'atermoiements de Nicolas Sarkozy qui cherche à nous persuader que son retour est inscrit naturellement dans les têtes alors qu'il ne cesse depuis plus de deux ans de l'instiller, d'en imposer la prétendue nécessité avec une ostensible réserve (Valeurs actuelles).

Ce n’est pas un crime d’espérer le retour d’une droite intelligente, courageuse et morale et de considérer qu’elle ne pourra survenir que si, au contraire, il s’efface.

Ce n’est pas un crime de regretter que l’UMP ait si peu de dignité éthique qu’elle puisse aisément s’accommoder de la possible restauration d’un vaincu englué dans des soupçons plausibles et plusieurs présomptions d’innocence, "avec les boulets judiciaires de bagnard médiatique qu'il traîne" selon Gilbert Collard qui n'a pas perdu son talent (i-Télé).

Ce n’est pas un crime de devoir constater que le président de la République, pour l’instant, a échoué sur beaucoup de plans et qu’il a très peu concédé aux déçus du sarkozysme.

Ce n’est pas un crime de juger aussi ridicule notre ancien président sans casque et en scooter que l’actuel, il y a quelque temps, casqué sur le même engin sans souci de l’honneur de la France.

Ce n’est pas un crime, en dépit de cette dernière pantalonnade, d’estimer que la pratique présidentielle de François Hollande et son comportement public entraînent moins de rejet que ceux de son prédécesseur.

Ce n’est pas un crime de déplorer l’amateurisme du gouvernement qui agit mais n’avance pas, qui parle mais n’exécute pas, qui commémore mais ne progresse pas, qui compatit mais n’exalte pas, qui invoque l’unité mais ne rassemble pas, qui ressasse sa passion de la justice mais manque d’équité, qui cherche à mettre de l’ordre dans le chaos mais diffuse du chaos dans l’ordre qui tenait encore bon.

Ce n’est pas un crime d’avoir trouvé dangereuses puis à la longue risibles les promesses du président et de certains ministres sur la baisse du chômage et la réduction des déficits.

Ce n'est pas un crime de ne rien comprendre à l'attitude d'un président de la République qui passe de l'optimisme le 14 juillet au pessimisme lucide une semaine plus tard alors que la France, depuis le mois de mai 2012, continue à être au plus mal.

Ce n’est pas un crime de regretter l'effet dévastateur de ces vaines espérances et de cette volte sur la réputation et l’influence de la France en Europe.

Ce n’est pas un crime de continuer à soutenir que malgré le bilan désastreux de Christiane Taubira, la liberté et l’indépendance de la justice sont mieux garanties sous François Hollande que sous Nicolas Sarkozy.

Ce n’est pas un crime de condamner absolument le lamentable Mur des cons mais d’affirmer que toute la magistrature, loin de là, n’a pas été engloutie dans ce naufrage partisan.

Ce n’est pas un crime de souhaiter que le cirque médiatique inspiré par Jérôme Kerviel et l’ayant accompagné ne lui octroie pas abusivement un bracelet électronique.

Ce n’est pas un crime de déplorer une stratégie tellement suicidaire du Pouvoir qu'elle permet au silence du FN d’engranger mais de dénoncer aussi le peu de République qu’il y a à rejeter sans argumentation une part importante de l’électorat dans le non-républicain.

Ce n'est pas un crime de ne pas tourner en dérision le centrisme si ce dernier accepte enfin d'être un aiguillon opératoire et éthique en n'allant pas picorer dans une mauvaise droite et dans une gauche discréditée, de préférer François Bayrou à ceux qui l'attaquent sans le valoir.

Ce n’est pas un crime de se moquer de ces journalistes et humoristes qui veulent nous faire croire qu’ils combattent un fascisme fantasmé parce qu’ils insultent ou, pour une fois, s’adonnent à un questionnement inquisiteur.

Ce n’est pas un crime, malgré la sauvegarde des intérêts de notre pays, d’avoir ressenti une inévitable humiliation à la suite de la candidature provocatrice de Pierre Moscovici et de notre aspiration à vouloir les honneurs sans les devoirs.

Ce n'est pas un crime d'être fatigué de ces appels à l'Allemagne puisqu'on sait que la Chancelière se fera un plaisir et une obligation de ne pas les écouter.

Ce n’est pas un crime de craindre que la liberté d’expression continue à se réduire en France, sous l’emprise du totalitarisme du Bien, et qu’on se préoccupe plus de la décence d’une parole que de sa vérité.

Ce n’est pas un crime d’être effondré face aux désordres et aux violences de toutes parts en Libye et d’avoir envie de questionner Bernard-Henri Lévy sur ses états d’âme aujourd’hui.

Ce n’est pas un crime de se refuser à être sommaire au sujet d’Israël et de Gaza en déniant toutefois que toute critique de l’Etat juif soit le masque politique de l'antisémitisme et en oubliant la gestion perverse des civils et des enfants par le Hamas pour amplifier l'indignation internationale. Alors qu'enfin un cessez-le-feu semble tenir.

Ce n’est pas un crime d’être lassé d’entendre que la France est un grand pays pour n’avoir surtout pas à le démontrer grâce aux résultats d’une politique et d’une action alors qu'avec François Hollande, la frénésie de commémoration et de régression passéiste bat son plein.

Ce n’est pas un crime de se révolter contre toute inféodation parce qu’on aspire à ne pas être enfermé même dans sa propre rigidité, pour continuer à son gré à dire du bien ou du mal d’êtres et d’idées multiples, antagonistes, de vivre la République dans son for intérieur. De savoir aussi penser contre soi au lieu d'être tristement prisonnier de soi.

Ce n’est pas un crime de ne pas détester par principe et de ne pas adorer par inconditionnalité.

Ce n’est pas un crime et, pourtant, à entendre ou lire certains, ce le serait.

Alors qu'il n'est question que des lumières, des ombres, des risques, des scories et des contradictions de la démocratie.

Alors que ce n’est que de la démocratie.


(Ce texte a été publié partiellement dans FigaroVox, le 4 août)


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