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Cinq minutes de vérité

Justice au singulier - philippe.bilger, 9/01/2013

Rien de plus passionnant, de plus fascinant que de voir, d'entendre une personnalité piquée au vif se défendre, protester parce qu'il s'agirait de son existence même. Une image de soi mise en cause dans, par une seule question. J'espère qu'il y a encore des audacieux. Pour le tenter, le faire, pour s'y risquer.

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On me pardonnera, pour une fois, d'écrire un billet pour plaider ma cause et soutenir un projet.

Depuis longtemps - on peut me reconnaître sur ce plan une certaine constance -, je suis déçu par les entretiens, les interviews médiatiques, dans la presse écrite mais surtout à la radio ou à la télévision. En vrac, il n'y a pas assez de place ou on accepte trop aisément la superficialité des réponses ou on n'ose pas aller d'emblée au coeur du sujet - dans les sens humain et intellectuel de ce terme - ou on tombe dans le promotionnel et l'hagiographie ou, faute de bien connaître la politique, l'économie, la finance, le film ou le livre, celui qui questionne laisse l'autre mener à sa guise l'échange sans opposer aux absurdités la moindre contradiction. Sans avoir forcément une Claire Chazal à dénigrer, combien de professionnels sont décevants par rapport à ce qu'un citoyen espère, attend d'eux !

D'où, trop souvent, l'impression qu'il manque l'essentiel, qu'on a abusé de la complaisance et que si on a dilaté le banal, on n'a pratiquement jamais touché la cible.

C'est à cause de la conscience de cet inachèvement structurel et du fait qu'à chaque coup, l'interrogation centrale, capitale était éludée, oubliée, occultée par lâcheté ou par connivence, par faiblesse ou par ignorance, que j'ai songé à un processus, à un questionnement qui, médiatiquement, seraient d'une simplicité évidente et redoutable.

Aux personnalités de notre monde politique, intellectuel, judiciaire, médiatique, culturel, artistique, sportif, habituées à n'être vraiment jamais rudoyées, je ne poserais qu'une seule question et elles auraient le droit d'y répondre sans être interrompues. Il ne s'agirait pas de n'importe quelle interrogation mais de celle qui, parce qu'elle est susceptible de faire vraiment mal, n'est jamais formulée. Il y a la plupart du temps, en tout être exposé publiquement et s'offrant par ses propos, ses oeuvres ou ses positions à l'opinion de ses concitoyens, une capacité de résistance, une aptitude à la tolérance mais je suis persuadé que chez chacun pourtant, la faille existe, la fragilité, le tremblement ou la peur. Ce je ne sais quoi qui révèle, qui dépouille, qui authentifie, qui désarme ou affermit. Qui fait que "je" devient un autre.

Cette unique question serait posée et autoriserait une réplique d'autant plus argumentée qu'il n'est personne dans l'espace public qui ne connaisse intimement ce dont on l'accable, ce qui est sa croix ou sa plaie profonde.

Imaginons BHL, Alain Finkielkraut, Jacques Attali, Alain Minc, Denis Olivennes, DSK, Nicolas Sarkozy, Jean-Luc Mélenchon, des cinéastes, des écrivains, des comédiens, Noah, Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, des sportifs, une multitude de gens dans la lumière... Imaginons-les n'avoir à relever que cet unique défi : résister à l'accusation qui vient profondément les troubler, les irriter parce qu'elle est trop vraie peut-être, les offenser parce qu'elle est trop injuste...

Je n'ai pas envie de dévoiler, au sujet de chacun, la phrase, ma phrase qui viserait juste, qui ferait mouche. Surtout ne pas se tromper : serrer au plus près, au plus dur. Puis attendre, puis écouter.

Juste un exemple pour bien faire percevoir l'originalité de cette démarche. Au lieu de devoir m'appesantir sur ma prétendue vanité, mes positions politiques, mon tempérament compliqué, ma passion de la parole, je serais déstabilisé si j'étais confronté à mon désir forcené d'être aimé, à mon angoisse de l'abandon. On quitterait enfin la périphérie pour atteindre le centre.

Je rêverais d'entretiens où l'interrogation interdirait toute fuite. Cinq minutes de vérité. Tout entier dans sa réponse. Le salut ou la chute. La nudité de l'être contre l'artifice des conventions médiatiques.


Pour être franc, ce projet a été proposé et il a été refusé. En tout cas par quelques télévisions.

Cependant, je persiste. Dans ces cinq minutes de vérité ou "cette minute de Philippe Bilger", il y aurait quelque chose de neuf, d'abrupt, de sincère. On ne se dirait pas comme après tant d'interviews : pourquoi n'a-t-on pas posé LA question ?

Rien de plus passionnant, de plus fascinant que de voir, d'entendre une personnalité piquée au vif se défendre, protester parce qu'il s'agirait de son existence même. Une image de soi mise en cause dans, par une seule question.

J'espère qu'il y a encore des audacieux. Pour le tenter, le faire, pour s'y risquer.


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