Réalités de la laïcité française : une implication publique généralisée pour garantir la pratique de la religion
Actualités du droit - Gilles Devers, 19/09/2013
Le propre de la « laïcité à la française » serait le partage strict des affaires publiques et des affaires religieuses, et ce serait la garantie de la paix publique et de la liberté des consciences. Deux sphères qui ne se connaîtraient pas. Pourquoi pas… sauf que c’est un mythe…L'Etat est totalement impliqué pour permettre une pratique effective des cultes.
I – Le concordat… compatible avec la laïcité
Le Conseil constitutionnel n’a donné que très récemment une définition de la laïcité (Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013), à propos du Concordat :
« 5. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ».
Pour des raisons historiques, les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont régis par le Concordat de 1801, qui repose sur le service public des cultes reconnus. En application du Concordat, le droit français inclut des établissements publics du culte. Les bâtiments cultuels sont publics et mis à la disposition des établissements publics des cultes, avec des ministres du culte rémunérés par comme agent de l’Etat. Les écoles primaires publiques sont de caractère confessionnel et l’instruction morale et religieuse est obligatoire. Le Président de la République nomme par décret les évêques de Metz et de Strasbourg, ce qui est cas unique.
Le blasphème est pénalement sanctionné par l’article 166 du Code pénal d'Alsace et Moselle, texte appliqué par la Cour de cassation le 30 novembre 1999.
Or, ce régime a été jugé conforme à la laïcité par le Conseil d’Etat le 6 avril 2001 et le Conseil constitutionnel le 21 février 2013, ce qui, en soi, relativise beaucoup la spécificité de la laïcité en France. Mais l’implication de l’Etat, au titre des obligations positives, est généralisée, bien dans l’esprit de l’article 9.
II – Les bâtiments
S’agissant des bâtiments, l’Etat n’a cessé de s’impliquer, et la collectivité publique dispose de nombreuses possibilités de soutien financier pour l’entretien des bâtiments privés ou la création de lieux de culte :
- La loi du 25 décembre 1942, adoptée sous le régime de l’Etat français, c’est-à-dire par le maréchal Pétain, a modifié la loi de 1905 (Art. 19 alinéa 1) prévoyant que les associations cultuelles pourront recevoir des dons et legs, alors qu’en droit commun, les associations doivent pour cela préalablement être reconnues d’utilité publique par décret en Conseil d’Etat.
- En application de cette loi, le Conseil d’Etat a jugé (12 février 1988) que ne sont pas considérées comme subvention les sommes allouées pour réparation aux édifices affectés aux cultes publics, qu’ils soient ou non classés monuments historiques. Les collectivités peuvent donc subventionner les réparations des édifices privés affectés au culte.
- L’article 1382-4ème du Code général des impôts exonère de taxe foncière les édifices du culte attribués à des associations gérés par des associations 1905.
- Le bail emphytéotique, qui offre une avantage substantiel au locataire lorsqu’il est conclu pour 99 ans, renouvelable et avec un loyer modique a été admis au bénéfice d’associations religieuses. Le premier accord a été conclu en 1936 entre Léon Blum, président du conseil et le Cardinal Verdier, archevêque de Paris, et ce type de bail a permis la création de 2000 églises paroissiales d’Ile-de-France. Ce système s’est généralisé (Conseil d’Etat, Commune de Montreuil, 19 juillet 2011, n° 320796).
- Une commune peut, par application de l’article L. 2144‑3 du code général des collectivités territoriales, mettre à disposition un local pour l’exercice d’un culte par une association à condition que cela réponde à un intérêt public local (Conseil d’Etat, Commune de Montpellier, 19 juillet 2011, n° 313518).
- L’article 11 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 1961 autorise les collectivités publiques à garantir les emprunts contractés par des associations religieuses.
- La jurisprudence admet le financement d’activités de type culturel, social gérées en annexe d’un centre religieux (CE, 12 fév. 1988, Association des résidents des quartiers Portugal-Italie).
III – L’enseignement
L’enseignement par des écoles religieuses, souvent reconnues « chargées d’une mission de service public »
L’enseignement par des groupes religieux est reconnu comme une liberté fondamentale par trois décisions du Conseil constitutionnel : 23 novembre 1977, 15 janvier 1994 et 8 juillet 1999. Cette liberté a été mise en œuvre par plusieurs lois, dont celle du 31 décembre 1959 dite loi Debré et celle du 23 novembre 1977, dite loi Guermeur. Les établissements confessionnels peuvent passer des contrats d’association (Code de l’éducation, art. L. 442-5) qui leur reconnait la qualité de structure privée gérant une activité de service public, et l’Etat prend en charge le traitement des enseignants.
La prise en compte des données religieuses dans les établissements publics
S’agissant des aumôneries, financées sur budget public, le Conseil d’Etat a jugé : « Le législateur a reconnu que dans certains établissements publics, le libre exercice des cultes ne peut être sauvegardé que par la célébration des cérémonies religieuses à l’intérieur des s établissements » (CE Ass. 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles, Rec. p. 250).
En outre, on relève :
- L’article L. 141-5 du Code de l’enseignement dispose : « dans les établissements du premier degré publics, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ». Cette condition n’est donc pas requise pour les autres établissements.
- Aux termes de l’article L. 141-3 du Code de l’éducation, les écoles élémentaires publiques vaquent un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre l’instruction religieuse.
- Pour les élèves, les absences pour les fêtes religieuses sont admises par un arrêt du Conseil d’Etat du 14 avril 1995 (Consistoire central des israélites de France et Koen, JCP 1995, II, 22347), et depuis cet arrêt, le gouvernement adopte chaque année des circulaires indiquant les fêtes religieuses reconnues.
IV – Autres domaines
L’implication de l’Etat pour garantir l’exercice des cultes se manifeste dans tous les domaines.
Relations avec les institutions religieuses
- En 1923, a été conclu entre l’Etat et l’Eglise catholique un compromis permettant la constitution des associations par diocèse, en violation flagrante de la loi de 1905, les associations ayant pour ressort une circonscription catholique.
- S’agissant des manifestations cultuelles extérieures, le Conseil d’Etat a défini un régime équilibré entre la pratique du culte et les nécessités l’ordre public : sonneries de cloches, processions ou cortèges funéraires (CE, 5 août 1908, Morel, Rec. p. 858 ; CE, 19 fev. 1909, Abbé Olivier, Rec. p. 181).
- A été institué un régime particulier d’assurance maladie, invalidité et vieillesse pour le ministre du culte, les congréganistes, et les membres des collectivités religieuses (Loi n° 78-4 du 2 janvier 1978).
- L’Etat désigne les organismes religieux compétant pour l’agrément rituel (arrêtés des 15 décembre 1994 et 27 juin 1996).
Cimetières
- Plusieurs circulaires, des 28 novembre 1975, 14 février 1991 et 19 février 2008, encouragent les maires à créer des carrés confessionnels dans les cimetières.
- Un cimetière franco-musulman a été créé à Bobigny par décret du 4 janvier 1934, et l’autorisation d’inhumation était délivrée par la direction générale de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, après avis du Recteur de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris.
Droit social
- La Cour de cassation admet le régime des entreprises de tendance pour justifier le licenciement d’une femme pasteur, enseignante dans une faculté de théologie, qui se trouvait en opposition avec la doctrine de son Eglise (Cass. Soc. 20 nov. 1986, Fischer JCP 1987, II, 20798), ou le licenciement d’une enseignante par une association gérant un établissement scolaire catholique, à la suite de son divorce» (Ass. Plén. 19 mai 1978, Mme Roy D. 1978, p. 541).
- Pour la Cour de cassation, une absence d’une journée pour participer à la fête musulmane de l’Aïd-El-Kebir ne constitue pas une faute grave justifiant un licenciement (Cass. soc. 16 déc. 1981, Bull. civ. V, n° 968, p. 719). De même, ne constitue pas un motif de licenciement le fait de prendre une pause d’une demi-heure vers 20 h 30 en période de Ramadan, si la pause ne désorganise pas le travail de l’entreprise (Paris, 6 juin 1991).
Etat des personnes
- L’article 60 du Code Civil permet au juge de modifier les prénoms d’un enfant, « en cas d’intérêt légitime », qui peut être la religion locale (Cass. Civ. 1°, 2 mars 1999, JCP 1999, II, 10089) ou une conversion religieuse (Cass. civ. 1°, 6 mars 1990, D. 1990, p. 477).
Vie publique
- Un maire, qui avait interdit le port d’un signe par une conseillère municipale, a été condamné pour discrimination religieuse. (Crim., 1 septembre 2010, n° 10-80584).
Santé publique
- La loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse a institué une clause de conscience permettant de refuser de concourir à une interruption de grossesse pour motif religieux, même dans les établissements publics
Télévision publique
- La loi du 30 septembre 1986, modifiée le 1er août 2000, prévoit la diffusion des émissions à caractère religieux par les chaînes publiques, réalisées sous la responsabilité de représentants des cultes.
Implication dans la pratique l’Islam
La place de l’Islam en France est indissociable de sa présence en Afrique, du temps de son Empire, soit deux cents ans d’histoire où la France s’affirmait comme puissance musulmane, pour faire pièce à l’Empire Ottoman, et l’Etat s’est toujours impliqué fortement dans la pratique de cette religion.
Alors que le territoire algérien était constitué de trois départements français, la loi de 1905 avait prévu un régime dérogatoire (Art. 43.2) et le décret du 27 septembre 1907 a déclaré la loi inapplicable, l’Etat continuant à gérer le culte musulman comme un service public.
Pour la construction de la Grande Mosquée de Paris, une loi du 19 août 1920 a assuré l’essentiel du financement et la Ville de Paris a fait donation du terrain, par un acte enregistré à Alger 24 décembre 1921, pour contourner la loi de 1905.
Le ministère de l’Intérieur, chargé des cultes, s’est impliqué depuis 1980 dans l’organisation d’une institution représentative de l’islam en en France, avec le CORIF, et jusqu'au CFCM.