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Céder à la foule ou écouter le peuple ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 24/11/2014

Ne jamais céder à la foule, se tenir debout comme Alain Juppé à Bordeaux. Mais écouter le peuple. Sinon, un jour, il grondera.

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Avec satisfaction j'ai relevé qu'avec Anne Sinclair, sans nous être évidemment concertés, nous avions fait "tweets communs" au sujet du meeting de Bordeaux où Alain Juppé, hué par une multitude de militants sarkozystes, avait maintenu son point de vue.

Non sans avoir proclamé haut et fort :"Je ne me laisse pas impressionner par les mouvements de foule", en visant la démagogie lâche de Nicolas Sarkozy face aux partisans de l'abrogation de la loi sur le mariage pour tous, réunis à l'initiative de Sens commun.

A Bordeaux, Nicolas Sarkozy était devenu sourd puisqu'il n'a pas entendu "les sifflets".

Anne Sinclair a tweeté :"Juppé s'est fait huer au meeting de Sarkozy. Mais Juppé n'a pas cédé à la foule !" (Le Parisien).

J'avais tweeté le 22 dans la soirée :" Alain Juppé hué au début de son discours par un public sarkozyste a démontré, en ne cédant pas, qu'il était un homme d'Etat".

Cette attitude d'Alain Juppé, quoi qu'on pense de sa personnalité, est évidemment à porter à son crédit, tant nous sommes habitués, au contraire, à des fluctuations que l'opportunisme suscite ou justifie jour après jour.

Nicolas Sarkozy, sans doute piqué par les critiques qui avaient suivi sa dérobade rigolarde sur le mariage pour tous, a éprouvé le besoin de se justifier à Nancy :"J'ai vu qu'on s'étonnait que je discute et que je dialogue avec des jeunes responsables qui sont venus à la politique récemment. si on ne discute pas avec ceux qui ne sont pas exactement comme nous, comment ferait-on pour les faire revenir chez nous ? Si on ne va pas au contact, comment les convaincre?" (Le Monde).

Une argumentation habile mais inadaptée. Car, face à Sens commun, Nicolas Sarkozy n'avait pas dialogué ni cherché à convaincre, il avait abandonné sans combattre sa position initiale et subi une défaite en rase campagne sur le plan de l'intégrité intellectuelle et du courage politique.

Il n'empêche qu'un débat passionnant mérite d'être ouvert sur la distinction qui doit être opérée entre le refus de céder à la foule, qui est noble et républicain, et la volonté de ne jamais écouter le peuple en ne satisfaisant jamais ses attentes, qui est perverse et guère démocratique.

Il faut prendre garde au fait que la première démarche renvoie à une détermination personnelle, au souci honorable de soi, à la résistance d'un être face à une multitude confuse et excitée : une foule.

Alors que la seconde, quand elle est infiniment attentive à ce qui sourd des profondeurs du pays, représente le respect lucide et collectif de ce qui doit inspirer les actes d'un gouvernement et la politique d'un pouvoir.

On peut en effet alors opposer la foule au peuple, une masse qui n'apprend rien et devant laquelle il serait dangereux de plier à une société dont les aspirations sont légitimes. Il y a des militants à guider et des citoyens à écouter. Une effervescence à contrôler mais une espérance à combler.

Si Christiane Taubira depuis le mois de mai 2012 s'était souvenue qu'elle avait un peuple réel sous la main, nous aurions une politique pénale effective, efficace et humaine. Le dogmatisme compassionnel a fantasmé sur un peuple fabriqué pour sa cause : abstrait et sans douleur.

En ce sens, rien ne me semble pire que le mépris affiché à l'encontre de révoltes, protestations, désespoirs, indignations et peurs qualifiés de populistes et forcément illégitimes puisqu'ils émanent de mouvements et de partis aux antipodes les uns des autres mais ayant en commun, quel que soit leur poids électoral inégal, de ne pas être pris au tragique par les gestionnaires officiels de la chose publique. Le peuple, en effet, est cette immense cohorte qui, sous cette étiquette unique, si on tend l'oreille, adresse à la République une infinité de messages complémentaires, contrastés, contradictoires ou furieux.

L'art de la vraie politique serait de leur trouver une cohérence et de dégager leur utilité pour tous.

Ne jamais céder à la foule, se tenir debout comme Alain Juppé à Bordeaux.

Mais écouter le peuple. Sinon, un jour, il grondera.


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