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Une obscure fascination...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 24/08/2018

Qui sont donc ces personnes, qui ont été ces êtres dans le même monde que nous mais si loin, tellement ailleurs ? Une obscure fascination pour tous ceux dont la seule obsession était de se séparer du commun des mortels.

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Ce n'est pas d'aujourd'hui que je porte en moi la passion et la curiosité de l'extrême, des intensités et des singularités de la vie. La cour d'assises durant plus de vingt ans m'a permis d'assouvir ces appétences en me plongeant dans l'univers toujours extraordinaire des crimes, aussi banale que soit parfois leur apparence. Cette traduction judiciaire du besoin qu'avait mon tempérament de se colleter avec le paroxysme de natures sans frein ni limites me satisfaisait car elle expliquait pourquoi je n'avais jamais considéré au fond mon rôle comme accusateur tel un métier mais plutôt comme une respiration, presque une délivrance.

Ces dernières semaines je me suis interrogé sur le fait que j'avais une attirance détachée de tout support professionnel pour des destinées dont les dérives, les dérèglements, les débauches et les excès représentaient l'essentiel. Une sorte de fascination trouble et obscure pour les débordements et les délires, les extravagances et les folies de personnalités dont le point commun était de vivre l'existence telle une fête, parfois magique parfois sombre, avec une manière d'irresponsabilité et de désinvolture qui laissait pantois les besogneux de la quotidienneté.

Je songe à ces lectures - livres, hebdomadaires et quotidiens - qui, racontant des parcours ou des désastres hors norme, m'enchantaient à proportion de leur incandescence atypique et de leurs dépassements vertigineux de la mesure.

La biographie de Serge Gainsbourg, qui comportait des séquences et des péripéties incongrues, peu communes, était pourtant le livre le moins perturbant par rapport à d'autres histoires.

J'ai été subjugué par le très beau livre de Vanessa Schneider sur sa cousine actrice, Maria Schneider, notamment dans le Dernier tango à Paris avec Marlon Brando et dans d'autres films ayant moins défrayé la chronique que le premier pour de mauvaises raisons. Drogue et alcool, attitudes erratiques et violentes, destruction de soi, dilapidation des dons et malaise constant dans une vie perçue comme douloureuse et inhospitalière.

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Je n'ai pas pu me déprendre d'une véritable addiction pour cette série du Monde consacrée à Karl Lagerfeld et notamment à la double page "Le vice et la vertu", qui décrit ses liens avec le dandy français Jacques de Bascher ayant eu aussi une liaison avec Yves Saint Laurent éperdument amoureux et possédé. On tente de percer, sur les photographies de Jacques de Bascher, les secrets de son aura. C'est évidemment impossible quand tout démontre entre nuits, alcool, drogue, frénésie homosexuelle, luxe et tous les dérèglements imaginables. Une existence aux antipodes de l'utilité ordinaire, l'éclat nocturne contre la fadeur du jour.

J'ai pris ces exemples pour manifester comme, sans que l'empathie soit nécessaire, un certain monde, avec ses outrances, sa liberté folle et son refus obstiné de la norme, me trouble. Parce qu'il est aux antipodes du mien sans doute mais en même temps je sens que l'extrémisme, où qu'il se place et s'agite, quel que soit son champ d'action ou de délire, m'apparaît de loin comme une sorte de territoire entier et absolu, d'une étrangeté perverse, d'un souffle délétère comme s'il révélait des espaces dont on a légitimement peur mais qui sont à observer, à scruter derrière la vitre de la vie sereine de tous les jours.

Il ne s'agit en aucun cas - il faut être sincère - d'une fascination qui s'attacherait à des actes ou à des comportements, à des extravagances ou des comédies parce qu'ils représenteraient l'horizon obscur et désiré de soi. Je ne le crois pas une seconde. Il y a plutôt une forme d'incrédulité, de stupéfaction face à tout ce que l'humain est capable d'engendrer pour le pire, le meilleur, l'absurde, le futile ou le suicidaire.

Qui sont donc ces personnes, qui ont été ces êtres dans le même monde que nous mais si loin, tellement ailleurs ?

Une obscure fascination pour tous ceux dont la seule obsession était de se séparer du commun des mortels.


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