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La validité de la prorogation des mandats des membres du comité d’entreprise ne peut être contestée par voie d’exception

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch et Gratiane Kressmann, 17/02/2014

Dans un arrêt du 4 février 2014 (n°11-27134), la chambre sociale de la Cour de cassation considère que la validité de la prorogation du mandat d’un membre du comité d’entreprise ne peut être contestée par voie d’exception à l’occasion de la contestation, par le salarié concerné, de son licenciement intervenu en méconnaissance de la procédure spéciale qui requiert notamment l’autorisation préalable de l’inspection du travail.
• Un salarié engagé en 1978 est élu membre du comité d’entreprise en 2002.

Son mandat est prorogé par un premier accord conclu le 24 juin 2004 avec la seule CGT, à l’exclusion de la CFDT pourtant également représentative dans l’entreprise.

Deux autres accords sont signés par la Direction et, cette fois-ci, les deux organisations syndicales représentatives, les 16 septembre 2005 et 26 octobre 2006, accords qui ont pour effet de proroger le mandat du salarié concerné jusqu’en octobre 2007.

Le 22 juin 2007, ce salarié, qui bénéficie donc, du fait de la prorogation de son mandat, d’un statut protecteur, est licencié sans que ne soit respectée la procédure d’autorisation préalable de l’inspection du travail.

Le 9 juillet 2007, une transaction est signée.

• En avril 2008, le salarié saisi néanmoins la juridiction prud’homale pour faire constater que son licenciement, et par conséquent la transaction signée postérieurement, sont nuls, faute pour l’employeur d’avoir respecté les règles de son statut protecteur.

Dans un arrêt du 29 septembre 2011, la Cour d’appel de Paris fait droit à ses demandes et ordonne sa réintégration.

La Cour d’appel, après avoir relevé des circonstances de fait de l’espèce que l’employeur ne pouvait sérieusement ignorer sa qualité de salarié protégé, souligne que la prorogation de son mandat jusqu’en octobre 2007 était au demeurant parfaitement régulière puisque le dernier accord de prorogation du 26 octobre 2006 avait bien été signé par les deux organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.

Elle en conclut que l’avis du comité d’entreprise ainsi que l’autorisation de l’inspection du travail étaient requis préalablement au licenciement de l’intéressé et qu’il n’est pas permis de transiger sur les matières intéressant l’ordre public, conformément aux dispositions de l’article 2046 du code civil.

• L’employeur se pourvoit en cassation et fait grief aux juges du fond de n’avoir pas vérifié, comme il le lui avait demandé, la validité de la première prorogation du mandat du 24 juin 2004 dont dépendait nécessairement la validité des prorogations postérieures des 16 septembre 2005 et 26 octobre 2006.

La première prorogation n’avait en effet été signée que par la CGT, à l’exclusion de la CFDT, seconde organisation syndicale représentative dans l’entreprise.

Elle était donc, selon l’employeur, irrégulière car seul un accord unanime passé entre le chef d’entreprise et les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise peut différer le terme des mandats des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise dont le renouvellement doit avoir lieu à échéance.

Selon l’employeur, cette irrégularité de la prorogation initiale affectait nécessairement la validité des prorogations subséquentes.

• Dans l’arrêt commenté du 4 février 2014, la chambre sociale rejette le pourvoi en considérant que «[…] l’employeur ne peut remettre en cause par voie d’exception un accord collectif prorogeant les mandats qu’il a signé et appliqué sans réserves ; qu’ayant constaté que les mandats des membres du comité d’entreprise avaient été prorogés à trois reprises par un accord signé et mis en œuvre par l’employeur, la Cour d’appel en a exactement déduit que le salarié bénéficiait, à ce titre, du statut protecteur ».

En d’autres termes, si l’employeur entendait contester la validité de la prorogation conventionnelle du mandat du salarié licencié, il lui appartenait d’engager en temps utile une action spécifique et autonome contre le premier accord de prorogation ; mais il ne peut, alors qu’il l’a appliqué sans réserves, puis signé d’autres accords de prorogation du mandat, en contester la validité par voie d’exception à l’occasion d’une autre procédure.

• Pour mémoire, la protection spéciale dont bénéficient les salariés dits « protégés » revêt un caractère d’ordre public.

Le caractère impératif de la procédure spécifique à mettre en œuvre en cas de licenciement d’un salarié protégé a été énoncé il y a près de 40 ans par l’arrêt Perrier (Cass Ch. Mixte, 21 juin 1974, n°71-91.225).

Il ne peut y être dérogé par aucune procédure amiable, qu’il s’agisse de la rupture amiable ou d’un commun accord ou encore de la transaction.

La rupture conventionnelle est, quant à elle, possible sous réserve toutefois de l’autorisation de l’inspection du travail.

Pour les membres du comité d’entreprise, cette protection trouve son expression légale à l’article L.2411-8 du code du travail, alinéa 1 : « Le licenciement d'un membre élu du comité d'entreprise, titulaire ou suppléant, ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ».

• Encore faut-il, pour pouvoir bénéficier de cette protection, que le mandat dont bénéficie le salarié soit en vigueur (étant précisé, mais cette règle n’avait pas à s’appliquer ici, que les représentants du personnel dont le mandat électif n’a pas été renouvelé, soient couverts par une protection pendant les 6 mois qui suivent l’expiration de leur mandat, et ce, pour les membres du comité d’entreprise, en vertu de l’alinéa 2 de l’article L.2411-8 précité).

En l’espèce, l’employeur mettait en cause la validité de la prorogation conventionnelle du mandat de son salarié pour conclure que la procédure d’autorisation préalable n’avait pas à être suivie.

• La prorogation conventionnelle des mandats est bien utile pour compenser une distorsion entre la durée légale des mandats et le calendrier électoral du fait notamment d’un décalage qui peut affecter la tenue des élections professionnelles.

Les partenaires sociaux s’accordent alors pour proroger les mandats. Pendant la durée de cette prorogation, la protection spéciale perdure.

La Cour de cassation considère toutefois que, sauf disposition particulière inscrite dans une convention collective, la prorogation des mandats des membres élus du comité d’entreprise ne peut résulter que d’un accord unanime entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise (Cassation sociale, 12 mars 2003, n°01-60.771 ou encore Cassation sociale 12 juillet 2006, n° 05-60.331).

• En l’occurrence, il est constant que la première prorogation ne répondait pas à cette exigence d’unanimité puisqu’elle n’avait été signée que par une seule organisation syndicale représentative ; en conséquence, un doute plus que sérieux existait sur la validité des prorogations suivantes ayant permis au salarié de se prévaloir d’une protection au moment de son licenciement.

Mais la Cour de cassation refuse de se prononcer sur ce point.

Par un attendu de principe, elle considère que l’accord collectif prorogeant les mandats ne peut être remis en cause par voie d’exception. C’est-à-dire que si l’employeur veut contester la prorogation des mandats, il doit le faire dans le cadre d’une procédure concernant spécifiquement cette prorogation.

• La Cour de cassation privilégie ici le réalisme et la sécurité juridique au bénéfice du salarié.

Il est en quelque sorte indiqué au chef d’entreprise qu’il a vécu des années avec un accord de prorogation, qu’il a lui-même signé, dont il n’a jamais songé à contester la validité jusqu’au jour où l’existence de cet accord peut lui causer un préjudice.

S’il estimait avoir de bonnes raisons de considérer que la prorogation du mandat de membre de comité d’entreprise du salarié, licencié sans respect de son statut protecteur, était contestable, il lui était loisible de saisir le tribunal, dans le cadre d’une action autonome, pour en remettre en cause la légalité en général et pas uniquement à l’occasion d’une procédure qui lui fait aujourd’hui grief.

Au fond, de nombreuses questions se posent qui ne peuvent être traitées dans le cadre restreint qui nous est ici imparti : la prorogation du mandat était-elle effectivement viciée par l’irrégularité frappant la prorogation initiale ? L’employeur avait-il au moins qualité pour contester la légalité de l’accord qu’il avait lui-même signé ? Le syndicat non signataire n’avait-il pas un droit d’opposition à faire valoir ? Une action autonome aurait-elle été encore recevable et aurait-elle conduit le Conseil de prud’hommes à surseoir à statuer ?

Quoi qu’il en soit, cet arrêt doit inciter toute partie ayant un intérêt juridique avéré à faire reconnaître l’irrégularité d’un accord ou son inopposabilité à engager son action sans délai et par le truchement d’une action principale au risque de se voir opposer l’impossibilité d’agir par voie d’exception.


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