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Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 17/06/2012

Le 14 mai tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête d’une jeune femme soucieuse d'accéder à des informations sur l’homme qui, par le don de son sperme, a contribué à lui donner la vie. L’administration hospitalière, en l’espèce le … Continuer la lecture

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Le 14 mai tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête d’une jeune femme soucieuse d'accéder à des informations sur l’homme qui, par le don de son sperme, a contribué à lui donner la vie. L’administration hospitalière, en l’espèce le CECOS (Centre d’études et de recueil des œufs et du sperme humains) de l’hôpital Jean Verdier de Bondy, détenteur sans conteste de ces informations, lui en a refusé l'accès en s’appuyant sur les lois dites bioéthiques qui interdisent la levée de l’anonymat garanti au donneur le jour de la récolte de son précieux produit de vie.

En 2009, Agathe alors âgée de 32 ans, a appris qu’elle était née d’une procréation assistée avec donneur. Sa mère a en effet eu recours , un don de sperme. Elle entend alors connaître son géniteur. Elle veut aussi savoir si cet homme a également contribué à la conception  de son  frère, lui aussi né d'une procréation médicalement assistée.

A priori, sa demande n’était pas excessive : quand d’autres entendent connaître le nom, sinon l’adresse et le téléphone de leur géniteur, elle se contenterait d’informations non identifiantes (antécédents médicaux, raisons du don, nombre d’enfants nés de l’échantillon, etc. ) sur ce père biologique

Agathe qui psychologiquement vit  mal cette situation n’hésite pas à demander de très forts dommages et intérêts – 100 000 euros – au titre du préjudice moral et médical au CECOS et au CHU ainsi qu’à l’AP-HP .

D’autres instances de cette veine sont actuellement en voie d’examen par les juridictions et il y a fort à penser que l’échec rencontré par cette jeune femme ne va pas clore le dossier. Outre l’appel qu’elle a décidé de former contre la décision de Montreuil il va nous falloir suivre de près les autres décisions à venir. Il y a même fort à parier que le combat pour le changement de la loi va reprendre de plus belle. Il rejoint celui mené par les enfants dits nés sous « X » qui ont vu leur mère refuser de décliner son identité le jour de la naissance et sont ainsi privés de leur filiation maternelle d’origine.

Avocate de profession et installée à Lyon, Agathe avait été autorisée par la présidente du TA de Montreuil à plaider elle-même sa cause à la fin de l’audience. Dixit les témoins, elle exprima d’une voix tremblante d’émotion un véritable appel au secours: «  La décision que vous allez prendre aujourd’hui est vitale pour moi et les 50 à 70 000 enfants personnes conçues de la même façon. Je souhaite que mon donneur soit consulté. Et qu’il puisse donner son consentement. Regardez la réalité qui est  la nôtre. Je crois en la justice. J’ai l’espoir d’être entendue ».

Certes Agathe a été écoutée, mais pas entendue. Ses demandes ont été rejetées.

Pour le tribunal administratif de Montreuil, suivant le rapporteur public, les informations contenues dans le dossier du CECOS constitue un secret protégé par la loi qui ne peut être levé que pour des raisons médicales.

De fait telle a bien été la volonté constante du législateur depuis 1984 date de la première loi bioéthique après que le développement de la chaine du froid eut conduit à une explosion des procréations médicalement assistées avec donneur.

Lors de la dernière révision législative on avait bien eu l’espoir de voir ce texte évoluer. La ministre de la santé elle-même, Roselyne Bachelot, y était favorable en 2010 dans la foulée du rapport Léonetti. Las, elle avait du reculer au printemps 2011 sur la seule innovation prévue dans la nouvelle loi devant un argument présenté comme massue : lever l’anonymat assécherait la filière des dons (1).

Argument non scientifique car dans des pays comme la Suède qui de longue date refusent de garantir un tel anonymat les dons restent à un bon niveau et en tous cas n’hypothèque pas le recours au PMA avec donneur.

Par ailleurs accéder à la connaissance du  géniteur ne permet pas d’établir juridiquement la filiation, mais simplement de répondre aux interrogations de la personne conçue avec ces gamètes et aux éventuels problèmes médicaux rencontrés.

Certains  donneurs ne s’opposent pas à l’absence d’anonymat, voire, comme cet homme interrogé l’autre jour sur France sont intéressés à savoir ce qu’il est advenu de leur petite graine et disposés à rencontrer et à répondre aux questions de l’enfant conçu avec on aide.

Formellement Agathe conteste que la loi française respecte l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le respect de la vie privée. La cour européenne de justice n'a-t-elle pas affirmé « l’intérêt vital » de chacun « à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle,  par exemple, l’identité de ses donneurs » ?

Notre avocate n’a pas convaincu le Tribunal administratif pour qui « la règle de l’anonymat du donneur de gamète répond notamment à l’objectif du respect de la vie familial au sein de la famille légale de l’enfant (…) n’implique par elle-même aucune atteinte à la vie privée de la personne ainsi conçue ».

Telle n’est pas l’opinion de ceux – tous ne demandent pas d’accéder à ces informations - qui souffrent de savoir que l’administration, ce monstre anonyme et sans cœur, possède ce qu’il estime être une partie d’eux-mêmes et de leur histoire. L’histoire d’un enfant n’appartient pas qu’à ses géniteurs, voire à leur environnement, il appartient aussi à l’enfant qui en résulte. C’est au moins une copropriété. Or, en l’espèce, l’enfant est dépossédé de sa part de vérité.

Le législateur français la tellement bien compris qu’il permet depuis 2002 à l’enfant objet d’un accouchement sous X de rechercher sa mère à sa majorité et via le CNAOP (Conseil national d’accès aux origines personnelles) de demander la levée de l’anonymat.

Le CNAOP recherchera cette femme, la contactera discrètement et vérifiera si elle maintient mordicus sa demande d’anonymat en lui proposant un accompagnement social et psychologique dans la levée du secret. Le temps ayant passé,  on peut être loin de l’adolescente qui aura conçu et accouché dans des conditions psychologiques et sociales difficiles. Nombre de mères qui n’ont pas oublié leur enfant ne demandent rien d’autre que de le retrouver, elles acceptent alors la demande qui leur est faite.

Si la mère maintient son veto, il sera respecté. Ce n‘est donc pas un droit absolu qui comme nous le souhaitions avec Bernard Stasi, alors Médiateur de République, a été reconnu à l’enfant, mais, somme toute, l’avancée adoptée à l’initiative de S. Royal alors ministre de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées, est notable et marque une étape dans la construction de notre droit de l'enfance.

Notre avocate aurait du, non seulement se prévaloir de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi et surtout de l’article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant qui veut -article 7 - que les Etats parties garantissent à tout enfant du droit de connaitre ses parents. En effet, et c’est là une voie essentielle que nous offre la convention qui dans la rédaction retenue parle en général des parents et vise implicitement toutes les formes de parenté.

La modernité veut qu’il y a aujourd’hui plus explicitement que jamais différentes filiations - cinq au total -  quand pour Napoléon auteur de notre code civil les choses étaient relativement simples : la femme qui accouchait d’un enfant était sa mère pour avoir porté un œuf fécondé en théorie par son mari – sinon l’enfant serait qualifié d'illégitime - et pour avoir accouché. Elle reconnaissait son enfant, le mari en devenait automatiquement le père légal – Pater is est … - et dans le même temps l’environnement le tenait pour tel : « Bon Dieu, ce qu’il ressemble à son père ». A situation simple ou présentée comme telle, législation simple.

Cette configuration linéaire a donc volé en éclat avec le développement de la chaîne du froid et des pratiques sociales. Ainsi on estime que dans 6 à 12% des cas le mari de la mère n’est pas le père réel de l’enfant ! On imagine le problème quand désormais la preuve en est aisée à rapporter. Ainsi encore on complique les choses avec l’implantation dans les trompes d’une femme d’un œuf donné par une autre femme. Ajoutons qu’avec l’adoption, une filiation est établie entre des adultes et un enfant qui ne correspond pas à la filiation biologique ; tout simplement nombre d’adultes se verront reconnaître la possession d’état de parents sans pour autant être les géniteurs du simple fait de se comporter comme parents. Sans compter que beaucoup d’enfants s’attachent à des adultes qui les élèvent sans être leurs parents biologiques.

De telle sorte qu’aujourd’hui lorsque l’on parle de filiation, il s’avère indispensable de préciser de quelle filiation l’on parle : la biologique ou génétique, la gestatrice, la sociale, la affective ou la juridique.

Dans l’immensité des cas ces filiations sont réunies : deux personnes ont conçu ensemble un enfant, la femme l’a porté, l’a reconnu, le géniteur présent à la naissance en est devenu le père légal et tout l’environnement reconnait ces deux personnes comme les parents.

Force est pourtant d’observer que fréquemment un grain de sable s’introduit dans cette belle mécanique, les cinq filiations peuvent être peu ou prou dissociées : ce sera une procréation avec donneur ou hors le mariage avec un géniteur disparu le jour de la naissance et un autre homme qui reconnait l’enfant, demain ce même enfant pourra s’attacher à un beau-père ou une belle-mère, ou à tel parent par l’adoption, etc.

Il nous faut poser pour principe que l’enfant ne doit pas être sanctionné de ces conditions de naissance. Il a le droit de connaitre s’il le souhaite – rien ne l’y oblige – ces différentes filiations si elles lui apparaissent importantes à ses yeux. Et personne n’a à lui dire si c’est bien ou pas bien pour lui. C’est un droit. Chacune le font un et unique. 1 +1 +1+ 1 + 1 = 1.

Il va nous falloir à apprendre à parler simplement la vérité. Ainsi, pour un enfant abandonné, puis adopté, connaître son géniteur, ne signifie pas qu’il n’aimera plus son parent adoptif et qu’il ne le tiendra pas pour un personnage majeur et premier de sa vie.

Décidément la décision du tribunal administratif de Montreuil ne peut pas être la dernière page du livre de l’accès à la connaissance des origines question essentielle pour nombre de personnes qui s’interroge sur ces interrogations fondamentale : « D’où viens-je ? » « Où vais-je ? » Pour ne pas dire " Qui  suis-je ? ".

La nouvelel majorité n'échappera pas à un débat sur la filiation.

(1) Dans une enquête de 2006 réalisée par la fédération des CECOS, une grande majorité des donneurs sont favorables à l’anonymat (79,3 %). 60,6 % affirment qu’ils ne donneraient plus si l’anonymat était levé mais 60,1 % seraient d’accord pour fournir des informations non identifiantes aux familles. Devant les difficultés pour récolter des gamètes, il est donc préférable, selon Louis Bujan, président de la fédération des CECOS de ne pas lever l’anonymat.

 


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