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Virer les Roms, c’est pas si simple

Actualités du droit - Gilles Devers, 23/11/2013

La CEDH a plein de défauts, mais elle a quand même de sacrés qualités, et...

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La CEDH a plein de défauts, mais elle a quand même de sacrés qualités, et elle vient de rendre un magnifique arrêt (Winterstein, 17 octobre 2013, n° 27013/07),  qui va jouer comme un sublime plaquage aux jambes des lascars genre le petit nerveux ou l’ami des blancos qui rêvent de reprendre trois points dans les sondages à chaque expulsion de camps de Roms. Cet arrêt est moins une nouveauté qu’un aboutissement, car il ponctue tout un travail d’analyse de la Cour européenne et du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), mais désormais tout est en place pour apporter une juste riposte.  

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Le principe de base, qui fait frétiller les répressifs et était hélas entériné par les juridictions judiciaires, était la défense eu droit de propriété, garantit tant par le Code civil que par le premier protocole de la Convention européenne :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

« Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Donc, les Roms, sans abris du fait des politiques iniques suivis par les gouvernements, allaient s’installer sur des terrains à l’écart, souvent inutilisés,…  mais qui avait un propriétaire. Celui-ci bondissait devant le juge des référés, et tombait la loi du plus fort, le droit de propriété. Désolé pour le non-respect des droits sociaux, mais allez-voir ailleurs. Dur, et mal jugé.

Mal jugé parce que la notion de « biens » une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété des biens corporels. Tout est là : il faut rechercher si le défendeur n’est pas titulaire d’un intérêt substantiel, qui lui aussi devient alors protégé par l’article 1 du Protocole (CEDH,  Zwierzyński, § 63). Pour la CEDH, certains droits et intérêts peuvent aussi être considérés comme des « droits de propriété », et donc comme des « biens » aux fins de cette disposition (CEDH, Iatridis, § 54 ; CEDH, Beyeler, § 100). La personne doit prouver qu’elle dispose d’une forme de créance suffisamment établie au point de pouvoir être revendiquée en justice, (CEDH, Kopecký, §§ 25-26). Une vraie révolution. Le principe de proportionnalité exige que de telles situations, où une communauté entière et une longue période de temps sont en jeu, soient traitées de façon totalement différente de situations courantes où un individu est expulsé d’une propriété qu’il occupe illégalement (CEDH, Winterstein, § 121).

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Désormais, ce droit qui s’oppose au droit de propriété bénéficie d’un régime bien défini (CEDH, Yordanova, § 118 ; CEDH, Winterstein,  § 148). Suivez bien les étapes.

1/ Lorsque sont en jeu des politiques sociales ou économiques, y compris dans le domaine du logement, la Cour accorde aux autorités nationales une grande latitude. En cette matière, elle a jugé que « dans la mesure où l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire portant sur une multitude de facteurs locaux était inhérent au choix et à l’application de politiques d’aménagement foncier, les autorités nationales jouissaient en principe d’une marge d’appréciation étendue » (CEDH, Buckley, § 75 ; CEDH, Ćosić, § 20), même si la Cour demeure habilitée à conclure qu’elles ont commis une erreur manifeste d’appréciation (CEDH, Chapman, § 92) ;

2/ En revanche, la marge d’appréciation laissée aux autorités est d’autant plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre « intime » qui lui sont reconnus. Cela est notamment le cas pour les droits garantis par l’article 8, qui sont des droits d’une importance cruciale pour l’identité de la personne, l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position au sein de la société (CEDH, Connors, § 82) ;

3/ Il convient d’examiner les garanties procédurales dont dispose l’individu pour déterminer si l’État défendeur n’a pas fixé le cadre réglementaire en outrepassant sa marge d’appréciation. En particulier, la Cour doit rechercher si le processus décisionnel ayant débouché sur des mesures d’ingérence était équitable et respectait comme il se doit les intérêts de l’individu protégés par    l’article 8 (CEDH, Buckley, § 766 ; CEDH, Chapman, § 92). L’exigence de la « nécessité » de   l’ingérence vaut sur le plan tant procédural que matériel (CEDH, McCann, § 49).

4/ La perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile. Toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant à la lumière des principes pertinents qui découlent de l’article 8 de la Convention, quand bien même son droit d’occuper les lieux aurait été éteint par l’application du droit interne (CEDH, Kay, no 37341/06, § 68; CEDH, Orlić, § 65).Cela signifie, entre autres, que lorsque des arguments pertinents concernant la proportionnalité de l’ingérence ont été soulevés par le requérant dans les procédures judiciaires internes, les juridictions nationales doivent les examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate (Orlić, précité, §§ 67 et 71) ;

5/ Pour apprécier la proportionnalité d’une mesure d’expulsion, il y a lieu de tenir compte en particulier des considérations suivantes : si le domicile a été établi légalement, cela amoindrit la légitimité de toute mesure d’expulsion  et à l’inverse, s’il a été établi illégalement, la personne concernée est dans une position moins forte ; par ailleurs si aucun hébergement de rechange n’est disponible, l’ingérence est plus grave que si un tel hébergement est disponible, son caractère adapté ou pas s’appréciant au regard, d’une part, des besoins particuliers de l’individu et, d’autre part, du droit de la communauté à voir protéger l’environnement (CEDH, Chapman, §§ 102-104) ;

6/ Enfin, la vulnérabilité des Roms et gens du voyage, du fait qu’ils constituent une minorité, implique d’accorder une attention spéciale à leurs besoins et à leur mode de vie propre tant dans le cadre réglementaire valable en matière d’aménagement que lors de la prise de décision dans des cas particuliers (CEDH, Chapman, § 96 ; CEDH, Connors, § 84), et dans cette mesure, l’article 8 impose donc aux États contractants l’obligation positive de permettre aux Roms et gens du voyage de suivre leur mode de vie (CEDH, Chapman, § 96).

Allez, c’est parti… Ça va plaider sec ! Et si l’Etat abuse, violant les droits des plus vulnérables il engage sa responsabilité et devra être condamné. Force doit rester à la loi, non mais... 

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