Actions sur le document

Le jour de l'ascension

Justice au singulier - philippe.bilger, 4/10/2013

Pour la droite, puisque Bruno Le Maire la désire révolutionnaire, il faudra bien qu'elle le soit, qu'elle le devienne enfin pour empêcher que le jour de l'ascension de Marine Le Pen soit celui, en même temps, de sa propre descente aux enfers.

Lire l'article...

Marine Le Pen fait un bond considérable dans les sondages tandis que François Hollande, à la suite des dernières séquences calamiteuses dont on a été les témoins ébahis, continue à descendre (Sofres-Le Figaro). La première n'est plus qu'à quelques encablures de Nicolas Sarkozy et se trouve placée au même rang que Christine Lagarde, François Fillon et Alain Juppé. Elle gagne peu au PS mais emmagasine à l'UMP.

C'est l'étonnement manifesté à la suite de cette escalade qui me surprend. Comment pourrait-il en être autrement dans notre configuration politique, sociale et culturelle au sens large ?

Marine Le Pen n'a même plus besoin de bouger, de parler, de dénoncer, de s'indigner, de se moquer. La réalité, dans sa nudité brute ou dans son exploitation par les forces classiques, la sert et elle a l'habileté de se taire pour la laisser s'exprimer à sa place.

Elle s'autorise seulement ici ou là des appréciations qui, pour être partisanes, ne sont pas dénuées de pertinence, notamment quand elle souligne "que Nicolas Sarkozy fait beaucoup de mal à son camp avec ses "je reviens ou pas" qui tétanisent l'UMP" (Le Figaro).

Entre une gauche irresponsable - dont les quelques élans de bon sens et de fermeté sont impitoyablement châtiés par la doxa socialiste - et une droite exsangue, le champ politique conventionnel s'est considérablement réduit, l'offre se raréfie alors que la demande civique, contrairement aux apparences, ne diminue pas d'intensité.

La logique est quasiment mécanique qui permet au FN - le Front de gauche étant, lui, miné par des dissensions internes et peu clair dans son positionnement - de prendre possession de l'espace qui se vide et de proposer des solutions qui, aussi peu opératoires qu'elles puissent apparaître dans les secteurs économique, financier, social, européen et international, ne sont plus rejetées aussi violemment qu'hier pour la simple raison que les gestions convenables, réalistes, modérées semblent à beaucoup de plus en plus convenues et pour tout dire inefficaces.

Pour ne pas évoquer le consensus de plus en plus partagé autour des exigences de sécurité et de justice, moins parce que le FN aurait des remèdes que leur fermeté rendrait rassurants pour notre société qu'à cause de ses adversaires, UMP et PS, qui dans des genres différents n'ont jamais été capables de décrédibiliser, bien au contraire, le discours offensif et extrémiste de leur adversaire aujourd'hui principal. La mansuétude dogmatique et pleine de bonne conscience de la gauche, l'incohérente stratégie sarkozyste faite de pulsions et de retraits, d'exacerbations et et de reculades ont pu, peuvent complaire à certaines catégories mais sont incapables de réconforter la majorité de notre pays tentée par d'autres chemins. Tout simplement parce que les voies classiques de la démocratie paisible et un tantinet masochiste ne sont pas une réussite. Taubira seule désespère. Même avec Manuel Valls, elle fait douter. Valls seul est surveillé.

On pourra continuer à se faire plaisir, à se dorloter l'âme et les principes en opposant avec constance tout ce qu'il y a de bienséant dans notre conception de la République aux menaces du FN et à son emprise de plus en plus concrète sur notre vie publique - demain, les municipales - et notre vision européenne - il fera un malheur à ces élections en 2014!- ! -, cela, à l'évidence, n'aura aucun effet.

Le centrisme renaissant sera-t-il porteur d'espoir ? Peut-être s'il veut bien sortir pour une fois du culte de la méthode, de la forme, de l'union - aimez-vous les uns les autres! - pour s'attacher au fond, à la rénovation à la fois technique et morale d'une politique qui, socialiste ou hier inspirée exclusivement par Nicolas Sarkozy, montre plus ses limites et ses insuffisances que ce dont elle serait riche pour demain. Son ancrage à droite, pour des motifs politiques, ne devra pas lui faire oublier que l'intelligence dont il se prévaut se trouve évidemment à l'étroit avec des frontières partisanes.

Je persiste. Pas de quoi s'émouvoir mais juste faire un constat.

Entre cette gauche irresponsable dont on penserait qu'elle est encore une apprentie du pouvoir et cette droite qui se penche peu sur le présent - il y aura le devoir d'inventaire et il y a les ambitions de l'avenir -, le FN est conduit, comme dans un fauteuil, vers des succès plus grands encore. On ne pourra pas toujours compter sur le père pour ruiner le lendemain par des propos provocateurs les progressions dont sa fille aura bénéficié la veille !

Plus rien à exiger à gauche. Le président a oublié ceux qui l'ont fait élire et qui n'étaient pas du tout socialistes. Il se console, paraît-il, en disant que sa personnalité n'est pas rejetée (Le Monde). C'est sûr. Mais si l'être de Sarkozy a plombé gravement ses actions et fait mal juger son agitation parfois positive, celui de François Hollande ne réparera pas tout le temps du quinquennat les lacunes, les carences et les couacs d'une présidence chahutée.

Pour la droite, puisque Bruno Le Maire la désire révolutionnaire, il faudra bien qu'elle le soit, qu'elle le devienne enfin pour empêcher que le jour de l'ascension de Marine Le Pen soit celui, en même temps, de sa propre descente aux enfers.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...