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Une mère à la barre

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/09/2015

Lire un roman d’une traite et s’entendre murmurer, au fil des pages : « C’est ça, c’est exactement ça. » En concevoir à la fois du bonheur et du dépit de ne pas l’avoir écrit. Surmonter le deuxième, garder le premier et avoir envie de … Continuer la lecture

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Lire un roman d’une traite et s’entendre murmurer, au fil des pages : « C’est ça, c’est exactement ça. » En concevoir à la fois du bonheur et du dépit de ne pas l’avoir écrit. Surmonter le deuxième, garder le premier et avoir envie de vous le faire partager. Tels sont les sentiments nés à la lecture de La nuit commencera (Buchet Chastel). L’auteur, Thierry Illouz, est avocat, ce qui ne gâche rien. Une mère assiste au procès de son fils, accusé de meurtre. « Que doit faire une mère à ce moment de sa vie ? Que fait-on des pensées qui se battent en soi-même ? Est-ce de la honte, est-ce de la rage, ce sentiment qui monte devant de la ville entière, curieuse et méprisante ?»

J’attendais le passage où cette femme, vendeuse de chaussures dans une petite ville de province, serait appelée à la barre des témoins. Comme tous ceux auxquels les audiences criminelles sont familières, je sais l’intensité de ces moments là. Le corps de l’accusé qui se recroqueville et s’écrase dans le box. Et la mère, face à la cour et aux jurés, qui voudrait si bien faire pour le fils. « On ne sait pas comment prendre la parole, on ne sait pas par quoi commencer (…) Mais il faut le faire, ils attendent, ils demandent. Alors on essaie, c’est maladroit, c’est bancal (…) “Un bon garçon…gentil, prévenant, jamais, jamais méchant, jamais violent, au contraire.” » Et elle voit, la mère, dans les regards des jurés, que « déjà, ils semblent prêts à condamner de la tête les efforts qu’elle fait pour qu’un garçon perdu, assis au box des accusés avec sa chemise, avec ses cheveux mal coupés, avec ses chaussures d’enfant, puisse être appelé à haute voix ici et maintenant ne serait-ce qu’une seule fois, fût-ce par sa mère, un bon garçon.»

Cette femme en évoque une autre de papier, la mère de Charles Alavoine, jugé pour le meurtre de sa maîtresse dans Lettre à mon juge de Simenon. Son regard perdu croise celui de son fils. « Je sais bien, moi, ce qu’elle m’aurait dit si elle avait pu m’adresser la parole. Elle m’aurait demandé pardon, pardon d’être si maladroite, si empruntée, si ridicule ou, si vous préférez, pas à sa place. »  

Elles sont nombreuses, ces mères, dans ma collection personnelle de chroniqueur judiciaire. Je me souviens d'Estelle Lavignasse, dont le fils de 17 ans, avait été tué lors d'une tentative de cambriolage d'un café à Lavaur.  Son témoignage devant la cour d'assises du Tarn, à Albi, avait fait chavirer l'audience.

Je me souviens aussi de cette mère, petite souris grise, qui trottinait chaque jour sur les trottoirs enneigés de Vilnius (Lituanie) entre l'appartement qu'elle avait loué et le palais de justice, où son fils Bertrand Cantat était jugé pour avoir donné la mort à sa compagne, l'actrice Marie Trintignant. Indifférente aux objectifs, aux caméras et aux micros braqués sur elle, elle n'avait d'yeux que pour l'homme traqué assis derrière la vitre du box. Un jour, à une suspension d'audience, l'un des amis musiciens du chanteur, lui avait tendu un sac de supermarché pour qu'elle l'apporte à son fils. Elle l'avait ouvert et murmuré: "Oh, tu lui as pris ces gâteaux? Ce sont ses préférés".

Ou encore de cette image, aperçue dans un documentaire consacré à une audience d'assises, celle d'une vieille dame grignotant une biscotte pendant que dans une salle voisine, des juges et des jurés délibéraient sur son fils.

La mère du roman de Thierry Illouz est un peu toutes ces femmes à la fois.

 


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