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Délinquance juvénile : à quand un fort « Yes we can » ? (511)

Droits des enfants - jprosen, 29/01/2013

Bis repetita. Pour important qu’il soit par ses conséquences sur les règles de la filiation dans ce pays (conf. mes nombreux papiers) le débat sur le mariage ouvert aux couples homosexuels, ne doit pas empêcher de suivre les nombreux autres … Continuer la lecture

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Bis repetita. Pour important qu’il soit par ses conséquences sur les règles de la filiation dans ce pays (conf. mes nombreux papiers) le débat sur le mariage ouvert aux couples homosexuels, ne doit pas empêcher de suivre les nombreux autres dossiers qui concernent les enfants de France.

Hier, j'abordais les décisions à venir  sur le dossier "Mineurs étrangers isolés" avec certes  le souci de répartir  leur charge entre l'Etat et toutes les conseils généraux - et pas seulement ceux qui sont en première ligne -, mais aussi avec la préoccupation de garantir les droits premiers de ces enfants en conformité avec la convention internationale relative aux droits des enfants, du code civil et les grandes principes du droit universel (le débat contradictoire, la défense et les recours) : si la justice a un rôle à jouer pour défendre ces enfants encore faut-il qu'elle intervienne selon un fonctionnement judiciaire classique et non pas comme une administration gérant un problème (voir blog 510).

Je voudrais m'arrêter ce soir sur les annonces faites sur la justice par la Garde des Sceaux lors de la réception du lundi 28 janvier. Le voile se lève lentement - trop lentement - sur les projets gouvernementaux et sur le calendrier. En effet l'impatience est réelle dans les juridictions  sur le devenir de cette justice vilipendée injustement pendant 10 ans, objet de nombreuses réformes législatives (parfois 3, voire 4 la même année) au gré des faits divers ou des pulsions présidentielles sans que rien ne justifie ce prurit de lois, sans éviter les censures du conseil  constitutionnel comme en mars 2011. Au point où le texte de base - l'ordonnance du 2 février 1945 - est devenue, non pas illisible comme se complaisent à l'affirmer certains, mais trop complexe, sinon trop subtile. Ainsi je mets au défi un parlementaire de m'expliquer sans assistant la différence entre un stage d'éducation civique et un stage citoyen !

Critiques injustes car souvent datées comme si la justice n'avait pas su faire son aggiornamento, à loi égale au début des années 90, quand la délinquance juvénile a cru et mué sensiblement. Dans un premier temps la loi est venue acter ces nouvelles pratiques avec notamment le souci d'assurer des réponses plus rapides et plus systématiques aux comportements asociaux des plus jeunes. la difficulté est survenue quand à partir de 2002 la majorité politique d'alors s'est efforcée de réduire ce qui faisait l'originalité du droit pénal des mineurs à la française, tendance accentuée avec le quinquennat Sarkozy qui, lui, voulait baisser la majorité pénale à 16 ans et à défaut aligner le droit pénal des plus jeunes sur celui des majeurs avec un slogan : punir vite pour punir fort!

Certains pourraient être tentés de tenir mon propos comme excessif. Je les renvoie au rapport du sénateur Lecerf, élu UMP, sur l'avant-dernière loi Sarkozy en la matière d'août 2011,  qui affirmait que pour 5% de jeunes posant vraiment problème on pouvait se demander s'il était opportun de révolutionner la loi. Lui-même relayait ce constat que la délinquance juvénile n'était pas, toutes proportions gardées, en augmentation comme trop l'affirmaient : elle a augmenté certes, mais depuis 1999 moins que la délinquance des majeurs, et donc elle est plutôt en baisse !

Je ne reviendrai pas aujourd'hui dans le détail sur  l'évolution de la délinquance  juvénile. Je renverrai aux nombreux articles que j'y ai consacrés sur ce blog. Indéniablement - tout en entendant la critique de Laurent Mucchielli sur la manière de forcer les feux à travers les statistiques - elle est caractérisée par une plus grande violence. Comment négliger l'impact  du business mafieux de quartier sur nombre de jeunes en rupture scolaire et voués au chômage ?

En tous cas la dernière période (2007-2012) se caractérisait par un racisme anti-juge des enfants forcé confinant à l’absurde.  Après avoir semé la confusion en multipliant les intervenants judiciaires on en appelait à une cohérence.  Qui sait que 65% de la délinquance juvénile révélée et tenue pour sérieuse sont traités par le parquet, sans juge ?  En outre la loi a régulièrement forcé la main aux juges en les privant de marge d'appréciation. Par exemple en les obligeant à renvoyer devant le tribunal pour enfants les plus de 16 ans ayant commis des faits punis de 7 ans (vol d'un téléphone portable commis à deux) alors même que le jeune est rentré dans le rang par le travail conjoint de ses parents, des éducateurs et du juge.  Ne parlons pas du dispositif de peines-plancher, du retrait automatique du bénéfice de l'excuse atténuante de minorité ou des règles sur le sursis, tous dispositifs qui empêchent le juge de faire du sur-mesure et de tenir compte notamment de l'évolution du jeune : ce sont bien ces perspectives de faire dépendre la sanction du comportement du jeune qui servent de levier au juge pour le faire bouger ! En s'en privant par des peines automatiques on se tire une balle dans le pied.

Bêtement ! Comme l'affirme là-encore le rapport Lecerf, quand dans plus de 85,6% de cas les jeunes suivi par un juge et les éducateurs de la PJJ ne sont plus délinquants une fois devenus majeurs. Sachant que le 100% est impossible, on voit bien que ce résultat est loin d'être négligeable pour une institution vilipendée.

La création à partir du 1er janvier 2012 du tribunal correctionnel pour mineurs où le juge des enfants est encadré par deux juges pour majeurs censés être plus répressifs que lui a fait déborder le vase en nous ramenant à 1912. Les arguments du Conseil constitutionnel  pour qui désormais la justice pénale est spécifique dès lors qu'on y applique une procédure originale - peu importe que les juges ne soient pas spécialisés -  ne convainquent personne. Reste que cette institution du TCM est chronophage en consommant trois magistrats pour deux ou trois affaires par demi-journée quand jusqu'ici nous jugions 8 ou 10 de ces  jeunes de plus de 16 ans et récidivistes avec un juge des enfants et deux assesseurs civils ! Nous avons même du mal à remplir les rôles d'audience alors que trois magistrats sont convoqués et nous avons dû supprimer des audiences.

En confirmant sa suppression pour répondre aux engagements de campagne du candidat François Hollande, la ministre a raison de dire que ce dispositif est lourd. Il n'a pas été étudié. Mme Taubira se défend de toute approche idéologique : j'aurai moins de pudeur. Ce dispositif-gadget voulait marquer que les jeunes de plus de 16 ans devaient être jugés comme des adultes. Il est temps de remettre les pendules à l'heure en affirmant qu'une personne de moins de  de 18 ans n'est pas un adulte. Pour autant on le punira si besoin est. Et on s'en prive pas.

Et il faudra également revenir sur la loi de septembre 2007 en ce qu'elle enlève automatiquement le bénéfice de l'excuse atténuante de minorité dans certains cas.

D'accord avec Mme Taubira pour insister sur la mise en oeuvre de la césure du procès pénal qui veut que dans un premier temps on se prononce sur la culpabilité et les éventuels dommages et intérêts aux victimes pour ensuite attendre avant de se prononcer sur une sanction en laissant se développer des mesures éducatives qui permettront d'éviter une peine dans la meilleure des hypothèses.

Mais on attend plus de la ministre. Il lui revient de redonner un souffle et des utopies à ce secteur essentiel de la justice par un discours qui s'adresse tant aux travailleurs sociaux qu'aux magistrats qui ont le nez dans le guidon avec chevillée au corps cette idée que tout n'est pas joué pour le pire des jeunes.

Ainsi quand la ministre annonce également la création de 250 postes d'éducateurs à la PJJ, alors qu'il faut en moyenne 40 jours pour qu'une mesure décidée par un juge soit exercée, on se réjouira de penser que dans certains endroits on prendra moins de temps. Reste que  c'est dans l'autre sens qu'il faudrait prendre le problème en exigeant que toute mesure éducative décidée soit assumée le jour même, quitte à adopter, en lien avec les tribunaux, une gestion de l'urgence comme à l’hôpital où on répond à toutes les sollicitations en les hiérarchisant.

Mme Taubira a déjà eu raison dire que si les centres éducatifs fermés sont utiles il ne sont pas la seule réponse possible pas plus qu'on ne peut résumer la médecine à la chirurgie et l'hôpital à la salle d'opération. Reste qu'il ne peut pas y avoir 12 jeunes à problèmes concentrés dans un même lieu et qu'un  CEF n'est pas une fin en soi.

Je maintiens qu'il faut aussi mobiliser la société civile en réanimant le dispositif des délégués bénévoles à la liberté surveillée créés en 1945. Il n'est pas vrai que tout seul un éducateur puisse suivre 25 jeunes.

Plus important encore : arrêtons de dire "no"n et "c'est impossible" à l'égard des jeunes difficiles  On joue sans arrêt à la patate chaude. Ainsi on voit des CEF refuser des jeunes dits trop remuants!  Affichons un "Yes we can! " et ne lâchons pas prise pour un jeune. Si trop de magistrats interviennent désormais que dire des parcours éducateurs qui sont encore plus désordonnés que le désordre familial initial. Comme il y a des médecins généralistes et des spécialistes  il faut des éducateurs fil rouge qui ne lâchent pas prise pour les cas les plus durs.

Enfin, et je me limite volontairement à trois interpellations fondamentales, quel programme sur la prévention de la délinquance ? je le dis depuis 40 ans : il faut mener les deux de pair si on  veut rassurer l'opinion publique et offrir plus d'espaces d'innovation indispensables au travail social. Une illustration qui nous ramène à l'actualité et à l'occasion perdue : il faut légitimer les beaux-pères dans les familles recomposées sans pour autant tuer les pères. C'est la loi sur les tiers que nous n'avons toujours pas adoptée. Il faut aussi développer les dispositifs d'aide à la condition parentale. Il faut encore lutter contre l'économie souterraine qui casse toute chance à l'école de la République. Et il y a plein d'autres pistes à suivre s'il y a là encore un objectif politique affiché et un pilote dans l'avion.

En d'autres termes, réformer l'ordonnance du 2 février 1945, pour nécessaire que ce soit, ne suffit pas. Il  faut un souffle. Et peut être déjà commencer symboliquement (et utilement) par mettre en chantier le code de l'enfance que nous demandons, Claude Goasguen, député UMP et moi-même (1), depuis des années avec quelques relais majeurs comme l'UNICEF. Ce code aurait toute autre allure que le code de la justice pénale des mineurs sarkoziste avec la possibilité d'une démarche consensuelle au parlement qui ne ferait pas de mal dans les  temps d'affrontement que nous vivons.

 

(1) Quelle justice pour les mineurs ? Ed. Autrement- La Croix


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