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La facile victoire de deux provocateurs : Lavrilleux et Taubira

Justice au singulier - philippe.bilger, 30/08/2014

Comme la provocation est facile et la menace commode quand l'une et l'autre ont victoire acquise !

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Je suis obligé de revenir vers Christiane Taubira. Je la remercie du fond de l'esprit parce qu'elle a superbement démontré à quel point le président de la République avait été à la fois injuste, naïf et pour tout dire ridicule en la préservant, elle seule, de l'exclusion. Et le Premier ministre abusé.

Alors qu'on pouvait penser qu'elle n'avait pas dû cacher à Manuel Valls ses sympathies intellectuelles et politiques pour Arnaud Montebourg, sa mouvance et les Frondeurs, par "le fait du Président" elle avait bénéficié d'une grâce et de son maintien. Pourtant, selon un proche du Premier ministre, lors de sa rencontre avec celui-ci, elle avait manifesté son soutien total à la ligne économique et sociale du gouvernement. Qui croire ? Serait-elle, cette intègre affichée, une adepte du double jeu ?

Connaissant la psychologie de notre garde des Sceaux, je ne doute pas une seconde qu'elle a été en même temps comblée et presque humiliée par cette mansuétude qui faisait passer l'audace du côté de ceux qui étaient chassés. Plus que jamais tentée aussi d'exploiter une équivoque qui d'un côté lui garantissait un soutien officiel et de l'autre une aura de de dissidente à bon compte.

Il était évident qu'elle n'allait pas en rester là. Par une provocation facile puisqu'elle ne ferait pas bouger à son détriment les chefs de l'exécutif, elle les tournerait pourtant en dérision l'un et l'autre.

Au cours de la matinée du 30 août, elle a rendu visite aux Frondeurs qui l'ont accueillie avec bonheur, ne lui tenant pas rigueur du fait de n'avoir pas été sacrifiée. Feignant de s'étonner devant l'émoi de sa venue, elle a déclaré notamment qu'"on a laissé se perdre le moral et les Français ne plus croire en leur avenir(...)on doit avoir le courage de s'interroger sur les choix politiques". Elle a ajouté qu'elle "assumait les conséquences de ses déclarations face aux frondeurs"... "Nous n'avons pas le choix, ce matin j'ai pris ma partie et j'en tirerai les conséquences" (son propos rapporté dans un tweet d'un député PS).

Jérôme Guedj, dont l'alacrité intellectuelle et la passion de la discussion m'ont à plusieurs reprises séduit, se photographie avec elle : "Heureux d'avoir accueilli Christiane Taubira à la rencontre de "Vive La Gauche" à UEPS. Bravo Madame". Pour le député François Lamy : "ça va faire mal !".

On sent bien que le souci à La Rochelle n'est pas la justice ni la sécurité des Français mais des jeux, des rapports de force internes, une profusion d'encens ou du mépris à foison.

Ce qui est indécent tient à la manière dont cette ministre repêchée spécule sur un double registre pour satisfaire sa vocation à être célébrée par les uns et par les autres, légitimistes et opposants. Par cette démarche qui survient quelques jours après Valls 2, elle affecte gravement une autorité dont le Premier ministre avait été crédité - une autorité de quatre jours, selon Eric Ciotti - et offense le président de la République qui se voit bien mal récompensé pour son aveugle obstination à la faire durer comme ministre.

Le pire est qu'elle sait ne rien risquer. Le gouvernement ne va pas s'engager dans une crise qui, après trois ministres, lui en ferait chasser, trop tard, un quatrième qui aurait dû l'être en même temps qu'eux si la cohérence avait été respectée et la compétence privilégiée. Mais il est vrai qu'il ne s'agit pas d'un garde des Sceaux mais d'une icône qui circule modestement à vélo ! Manuel Valls nous affirme que "la cohésion du gouvernement est maintenue". Le Premier ministre n'entend vraiment que ceux qu'il a programmé d'écarter.

Je n'aime pas ces ambiguïtés calculées qui laissent forcément indemne. Ces provocateurs trop habiles. Christiane Taubira joue sur du velours : gagnante partout.

Le rapprochement que j'opère avec Jérôme Lavrilleux n'est pas incongru. Dans tous les partis, à gauche comme à droite, il y a des personnalités qui s'estiment tellement qu'elles sont prêtes à tout pour se garder.

Jérôme Lavrilleux a osé : "Si on m'exclut de l'UMP, je parlerai".

Comment comprendre autrement cette affirmation que comme une menace, un chantage à parti ouvert, un ultimatum sans fard ? Cela signifie à l'évidence que des secrets devraient être révélés, que la morale publique le justifierait, que des agissements et des turpitudes devraient être dénoncés, que l'honnêteté républicaine l'exigerait. Derrière cette intimidation, il y a la certitude d'un homme : il dispose de tout ce dont il aura besoin si jamais on en venait à ces extrémités regrettables pour le parti.

Si jamais une imprudente éthique incitait à le priver de l'UMP à cause de trop de scrupules et de conscience et contre un sage réalisme, quelle catastrophe tomberait non pas sur lui mais sur elle !

Provocateur facile, Jérôme Lavrilleux, car, comme il l'avait sans doute prévu avec cet avertissement même pas voilé, on a vite commencé à rentrer dans le rang à l'UMP, on s'est dit que Lavrilleux sera moins dangereux au sein de l'UMP qu'en dehors et "qu'il vaut mieux l'avoir avec nous que contre nous" (Le Parisien).

Son passage devant la commission des recours a déjà été reporté à sa demande et je suis persuadé, à moins que la justice se mêle efficacement de tous ceux qui ont trempé dans cette gravissime affaire de comptes truqués, que Jérôme Lavrilleux sera, dans un proche avenir, plus courtisé que dédaigné. Il va remonter dans l'estime à proportion des confidences explosives qu'il ne fera pas.

Il a des armes. Mieux vaut être Fouché, pour se sauver, que Louis XVI par exemple.

Reste que l'odeur démocratique de cet épisode et des coulisses qu'il laisse entrevoir n'est pas bonne et imposera le premier chantier du futur président de l'UMP. Celui de la propreté et de la tenue.

Avec l'obligation d'une parfaite exemplarité pour celui qui assumera cette mission, cet honneur.

Comme la provocation est facile et la menace commode quand l'une et l'autre ont victoire acquise !


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