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BHL sur un autre front

Justice au singulier - philippe.bilger, 2/06/2013

J'aurais aimé que BHL soit interpellé sur cette tendance lourde de la création d'aujourd'hui, peinture, littérature, cinéma et musique, à laisser de plus en plus le beau rôle au passif d'hier : le témoin ébloui ou dégoûté est devenu aujourd'hui, souvent, l'artisan médiat d'un ordre qui se refuse et d'une cohérence répudiée. Il crée ce que le créateur initial a eu la faiblesse, la paresse de proposer sans apprêt. Son intelligence, ses yeux, ses oreilles et ses sentiments accomplissent le vrai travail. Ils reconstruisent.

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Ce titre est évident tant la nouvelle entreprise de Bernard-Henri Lévy - Les Aventures de la vérité à la Fondation Maeght - semble avoir été décidée, menée et conduite à son terme avec la même énergie, la même passion impérieuse et vitale que celles qui l'avaient inspiré pour la Libye même si heureusement, pour l'art, les effets en seront cette fois indiscutablement bénéfiques.

A partir du 29 juin, nous aurons la possibilité de voir 150 oeuvres choisies par BHL et commentées par lui sous l'angle des rapports entre la peinture et la philosophie.

A lire le long entretien qui lui a été consacré par Le Figaro, on ne peut manquer d'être frappé par le ton d'urgence et de nécessité avec lequel il répond aux questions. Comme si sa démarche était imprégnée d'un souffle épique et lui imposait en permanence, selon la belle expression de Scott Fitzgerald, "de tout dire dans chaque paragraphe avant de mourir".

BHL, interrogé sur l'art moderne, révèle, par petites touches, des parts de lui-même qui mériteraient d'être analysées plus avant tant elles offrent des clés pour comprendre le personnage, ses forces et aussi, pour beaucoup, ses faiblesses. Il n'est en effet pas neutre qu'il souligne que pour lui "la vie est une performance" et que surtout "il a une vision guerrière de tout". Il y aurait beaucoup à exploiter dans cette dernière formule à la fois lucide et dangereuse qui constitue l'existence comme un immense combat alors qu'à l'évidence elle a ses zones de paix et qu'il y a des manières tranquilles et sereines de se battre sur le plan intellectuel et politique. Mais cet aveu de BHL est peut-être ce à partir de quoi on peut commencer valablement à appréhender sa personnalité et son implication sans répit, pour tout, dans le siècle. Je m'oppose donc je suis.

Sur l'art lui-même qui est au coeur de ces riches échanges, on n'échappe pas à tel ou tel paradoxe dont il est friand et que sa mécanique intellectuelle se contente d'exposer sans les creuser. Par exemple, quand il affirme que l'art n'est pas là pour "apporter de l'harmonie... enjoliver la vie". Un peu tout de même, me semble-t-il. L'art, sous toutes ses facettes, n'offre-t-il pas cet avantage décisif de nous restituer le sombre et le noir du réel sous une forme intense et souvent joyeuse même dans le désespoir apparent de la représentation ? L'art ne crée-t-il pas un lien, une communauté que le monde, dans son objectivité brute, met à mal ?

BHL justifie le choix de "ses" oeuvres au nom de trois critères : l'histoire qu'il souhaitait raconter, la rareté et le fait que ces tableaux ont été peu vus et, enfin, l'émotion que leur beauté lui procure.

Cette élucidation relie émotion et beauté alors que je ne suis pas persuadé, en tout cas pour moi, que ma sensibilité soit touchée par la beauté, difficile à discerner dans l'art moderne que je connais mal au demeurant, mais plutôt par l'identité singulière et troublante d'une subjectivité créatrice qui par miracle s'accorde au moins pour partie avec la mienne heureuse d'être comblée par le génie ou le talent d'une solitude qui a su, voulu, pu me rejoindre.

BHL déclare qu'on "ne fait pas si facilement le deuil de la beauté" alors qu'à mon sens, sa pensée capitale communique que "l'art est moins une question de beauté que de vérité".

Cette assertion qui distingue vérité et beauté, alors que parfois BHL les estime inséparables, est pertinente. On le sent confusément mais la rationalisation n'est pas aisée. Si la beauté en effet n'apparaît pas comme l'élément dominant pour la modernité de l'art qui paraît au contraire s'en méfier comme d'une survivance, presque d'une intrusion archaïques, comment définir la vérité, celle qui se dégagerait d'oeuvres qui n'ont pas pour ambition d'atteindre l'universel mais au contraire de jeter au spectateur le cadeau ou la provocation d'une création fière le plus souvent de ne ressembler à rien ? Comment suivre les traces de la vérité quand l'abstraction les efface et que le figuratif est médiocre ou dépassé ?

Pourtant, il arrive qu'on perçoive, soudain, devant des représentations apparemment vides de sens, autre chose que la satisfaction esthétique devant des lignes et des couleurs mais comme le défi d'une énigme à déchiffrer, d'un mystère à résoudre. Une humanité qui aurait scrupule à trop se manifester mais qui pointe sa chaleur. Timidement.

J'aurais aimé que BHL soit interpellé sur cette tendance lourde de la création d'aujourd'hui, peinture, littérature, cinéma et musique, à laisser de plus en plus le beau rôle au passif d'hier : le témoin ébloui ou dégoûté est devenu aujourd'hui, souvent, l'artisan médiat d'un ordre qui se refuse et d'une cohérence répudiée. Il crée ce que le créateur initial a eu la faiblesse, la paresse de proposer sans apprêt. Son intelligence, ses yeux, ses oreilles et ses sentiments accomplissent le vrai travail. Ils reconstruisent.

Et les peintres nous regardent et les cinéastes nous laissent faire.

J'irai voir ces "Aventures de la vérité".


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