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Le FN pour les nuls !

Justice au singulier - philippe.bilger, 21/06/2013

Une autre grille de lecture est nécessaire. Pour les Nuls hier, elle sera contrainte, par aujourd'hui et pour demain, à ne plus prendre les citoyens pour des idiots mais à offrir de bonnes réponses aux interrogations que le FN a fait surgir dans une société française troublée, déboussolée et prête à s'accrocher au premier "il n'y a qu'à" venu.

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Trop longtemps, les politiques et les médias ont pu s'abandonner à la facilité et aux dénonciations stéréotypées du Front national.

Il suffisait de dire que son programme était absurde et ses solutions pour lutter contre l'insécurité non républicaines. Sans avoir à aller au-delà de ces pétitions sans appel.

Le FN était méchant, un point c'est tout, et cette pancarte était affichée sur la porte de la démocratie comme d'autres nous préviennent, ici ou là, de l'existence de "chiens méchants".

En même temps, les plus honnêtes éprouvaient comme un malaise devant la contradiction quotidiennement manifestée entre un parti validé dans l'espace républicain et des controverses et mises en cause qui semblaient sans cesse le traiter comme s'il était de fait interdit.

Mais cela ne gênait pas la plupart des journalistes et des personnalités politiques qui trouvaient leur compte dans ces polémiques qui leur assuraient un gain immédiat, leur donnaient ou redonnaient une fraîcheur éthique et les constituaient comme les remparts farouches d'une démocratie qui à l'oeil nu pourtant tenait fortement sur ses bases.

Cette approche de paresse confortable et d'indignation rentable était largement favorisée par Jean-Marie Le Pen dont les provocations souvent judiciarisées nourrissaient l'hostilité civique et sans doute son penchant profond pour des protestations mais heureusement sans risque de pouvoir. On a pu constater en 2002 comme la honteuse cérémonie démocratique entre les deux tours de l'élection présidentielle l'a plus comblé que révolté.

Marine Le Pen, tenue par une fidélité filiale d'autant plus à respecter à la lettre qu'elle avait fréquemment des fourmis dans l'esprit et des envies de contradiction, a commencé à rendre infiniment plus artificielle la comédie politique et médiatique qui jouait à se faire peur pour nous faire peur - avec le décret jamais élucidé ni argumenté de "la bête immonde" qui se trouvait là et nous menaçait à chaque seconde de son populisme autoritaire.

D'aucuns continuaient à nier qu'une véritable différence existât entre le père et la fille mais le consensus inverse était à la longue dominant. Marine Le Pen a renvoyé aux oubliettes les obsessions nauséabondes et historiques de Jean-Marie et a mis en oeuvre une stratégie redoutable et efficace où le social s'est ajouté à la sécurité et où les peurs et les angoisses diffuses de la société ont trouvé un ancrage et un apaisement ciblés et sommaires. Donc enthousiasmants pour les simples, les modestes, les frustrés, les exclus, les rejetés, les dépossédés, les malheureux et les pourfendeurs d'élites. Tout ce qui est officiel et institutionnel leur est étranger, offensant (lepoint.fr).

Nicolas Sarkozy, qui avait étouffé le FN en 2007, l'a paradoxalement enrichi d'un lustre considérable en 2012 - et durable - en prétendant le combattre mais en pillant son fonds. D'où le résultat impressionnant de Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle.

Hénin-Beaumont, l'Oise, enfin Villeneuve-sur-Lot. Des échecs mais des montées pour le FN. Et une espérance pour son candidat de 23 ans en face de l'UMP arrivée de justesse en tête dans la circonscription de Jérôme Cahuzac. Le 23 aura lieu un test capital dont l'issue, si elle est défavorable au parti de Copé, conduira forcément celui-ci à revoir sa stratégie d'ostracisme simpliste. Si elle lui est bénéfique, la révision sera seulement retardée.

Quand la bagatelle de 30 à 40% d'électeurs de gauche se porte dès le premier tour sur le champion du FN, difficile de se voiler l'esprit et la lucidité. Il y a une configuration qui évidemment n'est pas née de la seule déconfiture de Jérôme Cahuzac, contrairement à ce qu'a affirmé le président de la République, mais d'un ensemble de forces, de ressentiment et d'aigreur qui, composites, exploseront sans doute de plus en plus souvent à la face des partis routiniers et classiques. Il suffit pour s'en persuader de relever le nombre de candidats PS ou UMP quittant les structures classiques pour rejoindre le FN dans la perspective des Municipales 2014 (Le Parisien).

Tout est prêt pour une analyse en profondeur de notre tissu républicain, des attentes et des désespoirs du peuple, pour un constat sans démagogie de notre réalité nationale sous toutes ses facettes, de notre éloignement d'une Europe qui s'occupe trop de ce qui nous regarde et, pour ce qui concerne son rôle propre, est bureaucratique, incompréhensible et perçue comme impuissante.

Nous sommes mûrs pour autre chose que le FN pour les nuls. S'il est détesté par principe, pourquoi serait-on soumis à l'obligation d'être intelligent et clairvoyant à son sujet ? Pourtant, des articles et des contributions montrent le chemin et ouvrent la voie. Gérard Courtois, le politologue Laurent Bouvet, l'excellente émission de Michel Field "Politiquement Show" sur LCI, où Olivier Duhamel, Jérôme Jaffré, Alexis Brézet ont proposé une vision pertinente, guère contrastée, du FN et des explications cohérentes, sans le refuge de l'opprobre démocratique, sur ses avancées substantielles. Je suis triste d'avoir dû constater que le seul sur ce plateau, obstiné à ne rien comprendre de cette problématique et de l'impasse de l'UMP, a été Christian Jacob.

Dimanche prochain, le FN l'emporte ou est battu de forcément très peu. Il y aura des questions à poser. Les politiques de tous bords et les médias seront condamnés à sortir de leur facilité et à nous éclairer sur une problématique que durant des années une tonalité de "perroquet républicain" leur a permis de ne jamais aborder, ou alors seulement du bout du coeur.

Le FN est-il contre la démocratie et ses électeurs de mauvais Français ? Pourquoi n'est-il pas dans l'espace républicain ? Est-il xénophobe et raciste parce qu'il refuse le maintien sur le territoire national d'étrangers en situation irrégulière ou délinquants ?

Le projet du FN en matière de sécurité et de justice est-il différent de celui de la Droite populaire au sein de l'UMP ?

Le Front de gauche, s'il parvenait au pouvoir, au nom de la lutte des classes et de son idéologie radicale et haineuse, serait-il moins dangereux que le FN ?

Le FN n'étant pas interdit, et ses succès électoraux lui donnant une légitimité que perd l'UMP, celle-ci pourra-t-elle se contenter de regarder, de laisser venir et de se draper dans une dignité guère éclatante ni plausible depuis 2007 ?

Les médias continueront-ils à "se payer" le FN pour laisser croire qu'ils sont vertueux, à défaut d'être compétents ?

L'absence de politique pénale, le verbe compassionnel et, plus globalement, le déni de réalité ne feront-ils pas le lit, à force, d'une appétence pour une rigueur, une répression mais délestées de toute humanité ?

La très médiocre manière de s'opposer de l'UMP, pour le fond et la forme, et l'habileté dangereuse de François Hollande croyant pouvoir se servir du FN contre la droite ne vont-elles pas, l'une et l'autre, amplifier un mouvement qui fera du parti de Marine Le Pen un réceptacle pour tous problèmes et tous électeurs ?

Une autre grille de lecture est nécessaire. Pour les Nuls hier, elle sera contrainte, par aujourd'hui et pour demain, à ne plus prendre les citoyens pour des idiots mais à offrir de bonnes réponses aux interrogations que le FN a fait surgir dans une société française troublée, déboussolée et prête à s'accrocher au premier "il n'y a qu'à" venu.


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