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Contre l'acharnement politique : laissons mourir la réforme pénale...

Justice au singulier - philippe.bilger, 9/04/2014

Ce projet de réforme pénale a le droit, lui aussi, de s'effacer dans la dignité.

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Manuel Valls.

Il a une voix, une parole, de la force, parfois de l'éloquence.

Sincère quand son coeur, sa sensibilité s'expriment, il surabonde en trucs et en recettes quand il discourt de politique et qu'il prétend réconcilier par son verbe des tendances contradictoires et des principes antagonistes. Il est socialiste mais... Il est libéral mais...

Comme il est intelligent, il sait aussi que rien ne séduit plus, de la part d'un pouvoir militant, que le désir de dialogue affiché, réel ou prétendu, que l'aspiration au consensus et que la volonté proclamée d'apaisement. Ces retraits symboliques permettent, en définitive, des avancées plus confortables.

Le lendemain de la catastrophe des élections municipales qui, au milieu d'autres enseignements, avait signifié le refus d'une justice laxiste et d'une insécurité plus dénoncée que combattue, le projet de réforme programmé pour le 14 avril a été, par un avis unanime, y compris celui de la garde des Sceaux, renvoyé à une date ultérieure. Comme si même les plus idéologues percevaient à quel point le hiatus était impressionnant entre les attentes démocratiques et le gadget couvé depuis tant de mois.

Christiane Taubira n'a accepté de demeurer au gouvernement que comme garde des Sceaux parce qu'elle tenait à soutenir son projet de réforme pénale et à en débattre, le moment venu, devant le Parlement. Elle l'a concocté, mignoté, dorloté et soigné durant presque deux ans et il était hors de question que quelqu'un d'autre s'en occupât ou, pire, s'en délestât au prétexte par exemple, tellement fallacieux, que le peuple n'en voulait pas.

Personne non plus n'ignorait que Manuel Valls, qui pourtant a des sévérités conjoncturelles, était profondément hostile à cette machine surgie d'une bureaucratie n'ayant réuni que des personnes peu ou prou d'accord entre elles et prêtes à défier le sens commun au nom de concepts fumeux et surtout pas opératoires

Mais comment se priver de cette icône dans le tabernacle de la gauche pure, dogmatique et résiduelle, honorée à proportion même de son inaction, célébrée autant qu'elle s'efforçait de tenir le réel pour rien ? Je n'ai pas d'ennemis à gauche, a déclaré Manuel Valls, et il aurait dû ajouter : puisque Christiane Taubira veille sur moi, sur nous, et que nous n'aurons jamais qu'à la prendre aux mots.

Depuis quelques jours, on n'a pas été aimable avec le citoyen car on l'a fait passer par des phases d'espoir et de découragement qui sont mauvaises pour le moral d'une communauté. Le projet allait être rayé de la carte parlementaire puis seulement différé, remis en selle, enfin sacrifié.

Dominique Raimbourg, l'excellent et pragmatique député socialiste avec lequel j'ai des divergences presque plus chaleureuses que des concordances avec d'autres, a évoqué devant moi un renvoi au mois de juillet.

La présidente du Syndicat de la magistrature, qui est la mieux à même de nous informer sur les desseins de la gauche, nous annonce, elle, sans se douter de la joie qu'elle suscite, un enlisement sine die - c'est-à-dire une totale disparition.

L'Institut pour la justice qui ose affirmer que les victimes ont des droits, et, avec lui, des syndicats de magistrats et de la police exigent, dans un communiqué commun, le retrait de ce projet. Il ne serait pas inconvenant de les écouter, eux aussi sur ce plan.

Mais le Premier ministre, après avoir plaidé l'apaisement, ne semble pas vouloir en tirer les conséquences. Il le souhaite momentané puisqu'il nous menace d'un débat avant l'été. Il paraît que le mois de juin serait le mois prévu à cet effet et on murmure que Christiane Taubira, le désastre consommé, pourrait s'éloigner de son ministère, la tête haute !

Je ne comprends plus.

Si ce projet est si remarquable - et il a déjà été fortement amendé avant les municipales, en concertation entre la place Beauvau et la place Vendôme -, pourquoi oser ainsi le traiter ? Il devrait être soumis d'urgence au Parlement si la sécurité des Français, la qualité de la Justice et la dignité pénitentiaire en dépendent !

En quoi un report de trois mois, si son fond reste inchangé, va-t-il modifier quoi que ce soit au caractère déplorable de cette réforme ? Cette manière de composer avec le temps, de louvoyer ne serait-elle qu'une tactique pour amadouer Christiane Taubira avant de définitivement tordre le cou à ce sinistre projeté ?

Christiane Taubira elle-même, constatant le peu de cas qu'on fait de sa réflexion collective entre amis - le Premier ministre ne l'a même pas qualifiée aimablement comme pour les rythmes scolaires -, devrait, pour une fois, laisser son orgueil occuper tout son être et soumettre l'alternative suivante. On la prend ou on la laisse. On ne mégote pas avec elle. Donc avec moi. Elle pourrait démissionner, une faible part de la croix socialiste partirait avec elle mais au moins son honneur serait sauf.

Je crains d'avoir une vision simpliste et honnête de la vie politique.

Mais ma conclusion sera humanitaire. L'acharnement thérapeutique est à juste titre condamné. On ne souhaite plus que soient maintenues en vie des souffles, des personnalités exsangues, aux portes de la mort. Je récuse de la même manière l'acharnement politique. Il faut laisser mourir tranquillement, sereinement ce projet qui aura déjà beaucoup servi avant même d'exister.

Raymond Radiguet visitait une exposition où un peintre lui montre un tableau exécrable en soulignant qu'il n'était pas terminé.

Et Radiguet de s'exclamer : "Il serait humain de l'achever".

Ce projet de réforme pénale a le droit, lui aussi, de s'effacer dans la dignité.


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