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Emmanuel Macron : le narcissisme de l'écoute

Justice au Singulier - philippe.bilger, 26/09/2019

Je ne crois pas. Il me semble plutôt que, les idées étant les succédanés des chagrins, le président a tiré les leçons de ses limites, de ses faiblesses pour choisir son terrain d'élection On comprendra que ce billet a été rédigé avant la mort de Jacques Chirac et que j'ai dû l'adapter à cause de l'annulation de la venue du président à Rodez.

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Je ne me lasse pas de tenter d'analyser les ressorts du pouvoir quand l'intelligence, l'habileté et le talent les irriguent.

Le président de la République aurait dû dialoguer à Rodez, dans la salle des fêtes de la préfecture, avec cinq cents citoyens qui s'étaient inscrits, pour présenter, expliquer et justifier le projet de loi sur le régime des retraites, la réforme à venir.

Mais la mort de Jacques Chirac a modifié évidemment son programme.

Même si je ne suis pas totalement ignorant de cette matière, capitale préoccupation des Français, je n'ai pas la compétence pour appréhender toutes les finesses techniques et les alternatives chiffrées qui se préparent.

Ce qui me passionne est la manière dont Emmanuel Macron aurait cherché, à côté du verbe officiel, à maintenir une parole plus libre, quoique organisée, plus spontanée, quoique préméditée, et en tout cas apparemment moins régalienne. Ce n'est pas seulement un président qui aurait parlé du haut de son pouvoir mais un homme face à ses concitoyens, qui se serait efforcé de les convaincre et de les rassurer.

Il y a eu, chez Emmanuel Macron, depuis qu'il a été élu, cette tentation de dériver vers des formes d'expression inédites et de substituer, quand il le pouvait, la désinvolture d'échanges parfois vifs au caractère corseté des communications officielles.

Je n'ai jamais été scandalisé par les premières même si j'ai compris pourquoi leur vérité était désobligeante pour les Français : toutes, elles les critiquaient. Il paraît que Brigitte Macron a attiré son attention sur les conséquences dévastatrices, dans l'esprit public, de ses saillies passant pour du mépris quand lui les percevait comme les répliques libres, sans fard, du président atypique qu'il souhaitait être.

S'il les a raréfiées, il arrive encore qu'il les frôle.

Il a décidé - découverte étonnante pour un homme de sa stature -que dorénavant l'écoute, la compréhension et le dialogue seraient à l'honneur de la part du Gouvernement et de sa part évidemment. On aurait pu penser que ces dispositions étaient consubstantielles à la politesse républicaine mais sans doute fallait-il que l'ivresse d'un pouvoir autarcique se dissipât !

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Il est intéressant de constater comme avec maîtrise il a su remplacer un narcissisme par un autre ! Il sait qu'il n'est pas un orateur naturellement doué (j'évoque ses prestations improvisées et souvent longues), qu'il n'est pas un tribun à la Mélenchon (quand ce dernier domine son extrémisme pour ne laisser parler que son talent) et que son excellence se révèle dans les face-à-face démocratiques et médiatiques.

Lors de la campagne présidentielle, et bien davantage lors des entretiens qu'il a donnés quand sa parole est devenue vite moins rare, il a pu et su porter à son comble une aptitude à l'oralité tranquille, empathique et explicative qui était vraiment son style.

Les Gilets jaunes en définitive lui ont rendu un service en le contraignant à trouver une parade à sa fragilisation politique temporaire : ce fut le Grand Débat national où selon des modalités qui ressemblaient plus à un monologue démocratique face à des publics pas forcément acquis, il a retrouvé la tonalité de ses meilleurs moments de candidat. Il a eu l'opportunité de faire surgir un second souffle en renouvelant la substance d'une campagne dans son présent présidentiel.

Ce que les Gilets jaunes ont obtenu est apparu à beaucoup d'entre eux insuffisant. Il n'empêche que leur cause, si elle n'est pas forcément réduite à rien, a du mal à ressusciter avec la force d'avant. Et le soutien populaire qui allait avec.

La soirée de Rodez aurait été la continuation d'une démarche visant à situer le président, malgré la présence, presque l'entrave de tous les corps intermédiaires, dans une démocratie directe qui pourrait donner l'illusion au citoyen qu'enfin il allait pouvoir parler véritablement au président. En offrant à ce dernier l'avantage de s'adresser aux Français sur le mode qu'il préfère et dans ce pour quoi il est le plus doué. Démocratie de proximité, micro-climat républicain où face à un pays en réduction on aurait pu se persuader qu'on avait enfin pu quitter les orages du quotidien.

Si j'évoque le narcissisme de l'écoute, cela tient au fait que cette attention à autrui décrétée, cette empathie proclamée constituent la qualité qu'il se prête, une vertu dont il se crédite et une bienveillance dont il se vante. Cette disposition est fondamentale pour qu'Emmanuel Macron puisse être accueilli à la fois comme un président, et comme un homme simplement curieux de ce qu'il va entendre. Alors que c'est lui qui aurait parlé.

Est-ce à dire que sur le plan de la forme tout n'est que réflexion et tactique ?

Je ne le crois pas. Il me semble plutôt que, "les idées étant les succédanés des chagrins", le président a su tirer les leçons de ses faiblesses pour choisir son terrain d'élection.

Même si le 26 septembre il a été obligé de différer la rencontre avec ces Français.

On comprendra que ce billet a été rédigé avant la mort de Jacques Chirac et que j'ai dû l'adapter à cause de l'annulation de la venue du président à Rodez.


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